Habitat.
Face au recul du rôle de l’Etat, classe moyenne et démunis
sont exclus du marché qui ne fait désormais que dans le
luxe. La notion du droit au logement comme droit fondamental
a disparu.
Un toit ne suffit pas
«
Le droit au logement ». Cette notion éclipsée depuis quatre
décennies est remise en avant grâce à une association qui
tente de remplir un véritable besoin. « La plupart des
organisations de la société civile travaillent dans le
domaine des droits politiques et civils. Mais face à un taux
de pauvreté qui atteint les 40 % en Egypte, ces droits sont
considérés comme un luxe puisque d’autres plus élémentaires,
comme le droit au logement, ne sont pas souvent garantis au
citoyen », explique Mohamad Abdel-Azim, avocat et
coordinateur de projets de l’association à Guéziret Al-Dahab.
Bien que l’Egypte soit inscrite dans la liste des pays
signataires du Pacte international des droits économiques et
sociaux de l’homme, c’est bien la première fois que le droit
au logement figure sur l’agenda, car il faut préciser que le
prix de l’immobilier a augmenté de façon vertigineuse au
cours des cinq dernières années. Une simple tournée dans la
rue égyptienne suffit pour le prouver. « Trouver un toit »
au Caire ou dans les grandes villes relève de l’impossible.
En fait, la crise du logement date de 4 décennies. « Dans
les années 1960, on pouvait encore louer des appartements,
car la politique de l’Etat prenait en considération
l’intérêt des couches défavorisées. Des cités ouvrières
garantissaient le logement pour une grande tranche de la
classe moyenne et défavorisée. Avec l’infitah, la situation
s’est aggravée. Face à un tel changement, beaucoup d’Egyptiens
ont été contraints de partir vers les pays du Golfe pour
gagner plus d’argent », explique Mahmoud Zayed, sociologue.
Il ajoute que durant la monarchie et la période nassérienne,
les régimes en place croyaient fermement au droit au
logement pour les démunis comme moyen de garantir la
stabilité sociale en Egypte. Aujourd’hui, avoir un
appartement est devenu un véritable casse-tête. Face à une
explosion démographique (80 millions d’habitants qui vivent
sur 5 % seulement de l’étendue du territoire), la difficulté
de quitter le pays pour aller se fixer ailleurs, les loyers
qui ne cessent de flamber et ne concordent pas avec les
revenus, la nouvelle génération ne parvient pas à sortir de
ce cercle vicieux. « Il faut qu’une famille économise toute
une vie pour pouvoir s’offrir un appartement pour lequel
elle devra débourser un minimum de 200 000 L.E. Et ce, sans
compter la facture des travaux de peinture, plomberie, etc.
».
Et ce qui aggrave la situation, c’est la politique floue qui
règne autour de l’immobilier. Le gouvernement actuel,
composé en général d’hommes d’affaires, a opté pour la
politique du marché libre, sans en étudier les conséquences.
Du coup, le citoyen reste méfiant vis-à-vis de l’Etat. Il
préfère encore posséder un logement que d’en louer. Pour
lui, avoir un bien immobilier est un symbole d’assurance. «
Les politiques changent tout le temps, rien n’est garanti en
Egypte. Il vaut mieux disposer d’un bien, car avec la
location, je serai constamment à la merci d’un propriétaire
qui pourrait me mettre dehors suivant son humeur et parfois
de manière légale », commente Sayed, 40 ans, comptable.
Selon une étude effectuée par l’urbaniste Abou-Zeid Ragueh,
l’Egypte ne souffre pas réellement d’une crise de logement,
mais plutôt d’une anarchie en ce qui concerne la politique
du logement. Bilan : le nombre de logements proposés sur le
marché atteint environ les 12 millions, alors qu’il suffit
de 9 millions pour mettre fin à la crise. Mais face au
changement de politique de l’Etat, la privatisation et le
marché libre, le coût des logements dépasse le pouvoir
d’achat de la couche défavorisée et moyenne.
A la quête de gains rapides, les nouveaux projets
s’adressent seulement à la couche aisée. D’ailleurs, l’Etat,
à son tour, a tendance à encourager aujourd’hui les projets
de construction d’immeubles luxueux, alors que le marché a
besoin de HLM, logements destinés aux familles à revenus
modestes. Résultat, la carte urbaine de la capitale a subi
une transfiguration au cours des 10 dernières années. Le
Caire présente aujourd’hui deux styles d’habitats, des
somptueux dans les nouvelles villes huppées, à l’instar du
Tagammoe Al-Khamis et d’autres dans les agglomérations
urbaines destinées aux pauvres comme à Nahda, etc. « Les
services sont plus accessibles dans les régions où les
habitants ont les moyens de claquer de l’argent, en plus de
la qualité. Par contre, pas d’eau potable, ni d’électricité
pour les pauvres », ajoute Manal Al-Tibi, présidente de
l’association qui poursuit qu’il s’agit donc d’une
discrimination.
Injustice flagrante
Cette crise du logement s’aggravant de plus en plus a imposé
la présence d’ONG qui activent dans ce domaine et
considèrent ce droit au logement comme étant le plus
élémentaire. Il est vrai que le problème des sans-abris
existe dans beaucoup de pays d’Europe et même aux Etats-Unis,
cependant en Egypte, il s’observe nettement. Une injustice
en ce qui concerne la répartition de l’immobilier qui a
provoqué un véritable désastre. Les bidonvilles déforment le
paysage des villes. Selon une étude effectuée par
l’Organisme central de la mobilisation et de la
sensibilisation, l’Egypte compte 909 zones sauvages, alors
que le ministère du Logement estime leur nombre à 1 034. Les
habitants des bidonvilles ont atteint les 12 millions
d’après les chiffres du Comité du logement au Parlement,
alors que ceux de l’Organisme central de la mobilisation et
des statistiques les restreint à 5,7 millions. Il suffit de
mentionner que la croissance démographique dans les
bidonvilles du Caire a atteint les 3,2 %. Autrement dit,
presque 200 000 enfants sont nés chaque année et vivent dans
des conditions inhumaines, sans compter les immeubles qui
s’effondrent et l’exode rural (1 Egyptien sur 5 change de
lieu d’habitation une fois au moins dans sa vie) à cause de
l’augmentation du taux de chômage dans les provinces, ce qui
a donné naissance à diverses sortes d’habitats précaires.
Aujourd’hui, la qualité de la maison égyptienne laisse à
désirer. D’après une étude effectuée par le Centre égyptien
au droit de logement, il existe aujourd’hui deux sortes
d’habitats pour les pauvres : habitat informel, habitat
semi-formel (occupation des terrains seulement) et habitat
formel (les quartiers défavorisés, les unités et les pièces
communes, les tentes et les huttes qui deviennent parfois
des abris permanents).
Et selon Mohamad Abdel-Azim, une maison, ce n’est pas
seulement des murs et un plafond, il existe encore quatorze
critères cités dans le Pacte international des droits
économiques et sociaux de l’homme. En Egypte, pour qu’une
maison soit conforme, elle doit obéir au minimum à 9
critères, à savoir disposer dans sa maison d’eau potable,
d’électricité, de drainage sanitaire et de sécurité (aux
niveaux légal et humain). Les mesures écologiques doivent
être aussi prises en compte, ainsi que les traditions des
habitants (à savoir les besoins des paysans par exemple
diffèrent de ceux des citadins), ce que l’on appelle le
critère culturel car l’intimité est aussi un droit à
respecter. Cela veut dire que la superficie doit être
adaptée au nombre de personnes qui vont y loger. D’après une
étude effectuée par l’Université d’Al-Azhar, une maison
censée accueillir deux personnes doit être au moins de 32 m2
et ce outre la salle de bain. Une surface qui augmente de 12
mètres carrés pour chaque individu.
« On intervient lorsqu’un de ces critères n’existe pas »,
poursuit Abdel-Azim. Comme cela a été le cas dans un
bidonville, les habitations ne respectaient aucun critère.
Des abris construits au sous-sol servant de refuges pour
abriter des personnes dont les maisons se sont écroulées.
Ces trous à rats, privés des services les plus élémentaires,
sont devenus des logements quasiment durables. Une nouvelle
génération n’a connu comme gîtes que ce style d’habitat. Des
endroits qui étaient réservés pour stocker de la marchandise
sont devenus aujourd’hui des aires de stockage pour les
vivants, selon Manal Al-Tibi.
Dans cet univers inhumain, une famille composée d’une
quinzaine de personnes doit s’entasser comme des sardines.
Une boîte métallique en guise de WC dégage une odeur
écœurante. Les pères n’osent pas envoyer leurs filles ou
femme dans les toilettes publiques, craignant le harcèlement
sexuel ou le viol. L’Etat qui a abrité ces citoyens dans ces
logements trouve actuellement de la difficulté à y pénétrer.
Les trafiquants de drogue imposent leurs lois et bloquent
les efforts des ONG, puisque le développement entrave les
intérêts de cette mafia. « Cette région est en fait un
archétype de tant d’autres qui, face à la pauvreté, ne
cessent de pousser comme des champignons en Egypte. Notre
défi donc comme ONG est d’aider ces démunis à avoir accès à
un logement plus décent. Il est temps de sensibiliser le
citoyen, lui faire comprendre que le logement est un droit,
non pas un cadeau ou une aumône de la part de l’Etat »,
conclut Abdel-Azim.
Dossier réalisé par Dina Darwich