Al-Ahram Hebdo, Une | Un toit ne suffit pas
  Président Morsi Attalla
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 20 au 26 février 2008, numéro 702

 

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Dossier

Habitat. Face au recul du rôle de l’Etat, classe moyenne et démunis sont exclus du marché qui ne fait désormais que dans le luxe. La notion du droit au logement comme droit fondamental a disparu.

Un toit ne suffit pas

« Le droit au logement ». Cette notion éclipsée depuis quatre décennies est remise en avant grâce à une association qui tente de remplir un véritable besoin. « La plupart des organisations de la société civile travaillent dans le domaine des droits politiques et civils. Mais face à un taux de pauvreté qui atteint les 40 % en Egypte, ces droits sont considérés comme un luxe puisque d’autres plus élémentaires, comme le droit au logement, ne sont pas souvent garantis au citoyen », explique Mohamad Abdel-Azim, avocat et coordinateur de projets de l’association à Guéziret Al-Dahab.

Bien que l’Egypte soit inscrite dans la liste des pays signataires du Pacte international des droits économiques et sociaux de l’homme, c’est bien la première fois que le droit au logement figure sur l’agenda, car il faut préciser que le prix de l’immobilier a augmenté de façon vertigineuse au cours des cinq dernières années. Une simple tournée dans la rue égyptienne suffit pour le prouver. « Trouver un toit » au Caire ou dans les grandes villes relève de l’impossible. En fait, la crise du logement date de 4 décennies. « Dans les années 1960, on pouvait encore louer des appartements, car la politique de l’Etat prenait en considération l’intérêt des couches défavorisées. Des cités ouvrières garantissaient le logement pour une grande tranche de la classe moyenne et défavorisée. Avec l’infitah, la situation s’est aggravée. Face à un tel changement, beaucoup d’Egyptiens ont été contraints de partir vers les pays du Golfe pour gagner plus d’argent », explique Mahmoud Zayed, sociologue. Il ajoute que durant la monarchie et la période nassérienne, les régimes en place croyaient fermement au droit au logement pour les démunis comme moyen de garantir la stabilité sociale en Egypte. Aujourd’hui, avoir un appartement est devenu un véritable casse-tête. Face à une explosion démographique (80 millions d’habitants qui vivent sur 5 % seulement de l’étendue du territoire), la difficulté de quitter le pays pour aller se fixer ailleurs, les loyers qui ne cessent de flamber et ne concordent pas avec les revenus, la nouvelle génération ne parvient pas à sortir de ce cercle vicieux. « Il faut qu’une famille économise toute une vie pour pouvoir s’offrir un appartement pour lequel elle devra débourser un minimum de 200 000 L.E. Et ce, sans compter la facture des travaux de peinture, plomberie, etc. ».

Et ce qui aggrave la situation, c’est la politique floue qui règne autour de l’immobilier. Le gouvernement actuel, composé en général d’hommes d’affaires, a opté pour la politique du marché libre, sans en étudier les conséquences. Du coup, le citoyen reste méfiant vis-à-vis de l’Etat. Il préfère encore posséder un logement que d’en louer. Pour lui, avoir un bien immobilier est un symbole d’assurance. « Les politiques changent tout le temps, rien n’est garanti en Egypte. Il vaut mieux disposer d’un bien, car avec la location, je serai constamment à la merci d’un propriétaire qui pourrait me mettre dehors suivant son humeur et parfois de manière légale », commente Sayed, 40 ans, comptable.

Selon une étude effectuée par l’urbaniste Abou-Zeid Ragueh, l’Egypte ne souffre pas réellement d’une crise de logement, mais plutôt d’une anarchie en ce qui concerne la politique du logement. Bilan : le nombre de logements proposés sur le marché atteint environ les 12 millions, alors qu’il suffit de 9 millions pour mettre fin à la crise. Mais face au changement de politique de l’Etat, la privatisation et le marché libre, le coût des logements dépasse le pouvoir d’achat de la couche défavorisée et moyenne.

A la quête de gains rapides, les nouveaux projets s’adressent seulement à la couche aisée. D’ailleurs, l’Etat, à son tour, a tendance à encourager aujourd’hui les projets de construction d’immeubles luxueux, alors que le marché a besoin de HLM, logements destinés aux familles à revenus modestes. Résultat, la carte urbaine de la capitale a subi une transfiguration au cours des 10 dernières années. Le Caire présente aujourd’hui deux styles d’habitats, des somptueux dans les nouvelles villes huppées, à l’instar du Tagammoe Al-Khamis et d’autres dans les agglomérations urbaines destinées aux pauvres comme à Nahda, etc. « Les services sont plus accessibles dans les régions où les habitants ont les moyens de claquer de l’argent, en plus de la qualité. Par contre, pas d’eau potable, ni d’électricité pour les pauvres », ajoute Manal Al-Tibi, présidente de l’association qui poursuit qu’il s’agit donc d’une discrimination.

Injustice flagrante

Cette crise du logement s’aggravant de plus en plus a imposé la présence d’ONG qui activent dans ce domaine et considèrent ce droit au logement comme étant le plus élémentaire. Il est vrai que le problème des sans-abris existe dans beaucoup de pays d’Europe et même aux Etats-Unis, cependant en Egypte, il s’observe nettement. Une injustice en ce qui concerne la répartition de l’immobilier qui a provoqué un véritable désastre. Les bidonvilles déforment le paysage des villes. Selon une étude effectuée par l’Organisme central de la mobilisation et de la sensibilisation, l’Egypte compte 909 zones sauvages, alors que le ministère du Logement estime leur nombre à 1 034. Les habitants des bidonvilles ont atteint les 12 millions d’après les chiffres du Comité du logement au Parlement, alors que ceux de l’Organisme central de la mobilisation et des statistiques les restreint à 5,7 millions. Il suffit de mentionner que la croissance démographique dans les bidonvilles du Caire a atteint les 3,2 %. Autrement dit, presque 200 000 enfants sont nés chaque année et vivent dans des conditions inhumaines, sans compter les immeubles qui s’effondrent et l’exode rural (1 Egyptien sur 5 change de lieu d’habitation une fois au moins dans sa vie) à cause de l’augmentation du taux de chômage dans les provinces, ce qui a donné naissance à diverses sortes d’habitats précaires. Aujourd’hui, la qualité de la maison égyptienne laisse à désirer. D’après une étude effectuée par le Centre égyptien au droit de logement, il existe aujourd’hui deux sortes d’habitats pour les pauvres : habitat informel, habitat semi-formel (occupation des terrains seulement) et habitat formel (les quartiers défavorisés, les unités et les pièces communes, les tentes et les huttes qui deviennent parfois des abris permanents).

Et selon Mohamad Abdel-Azim, une maison, ce n’est pas seulement des murs et un plafond, il existe encore quatorze critères cités dans le Pacte international des droits économiques et sociaux de l’homme. En Egypte, pour qu’une maison soit conforme, elle doit obéir au minimum à 9 critères, à savoir disposer dans sa maison d’eau potable, d’électricité, de drainage sanitaire et de sécurité (aux niveaux légal et humain). Les mesures écologiques doivent être aussi prises en compte, ainsi que les traditions des habitants (à savoir les besoins des paysans par exemple diffèrent de ceux des citadins), ce que l’on appelle le critère culturel car l’intimité est aussi un droit à respecter. Cela veut dire que la superficie doit être adaptée au nombre de personnes qui vont y loger. D’après une étude effectuée par l’Université d’Al-Azhar, une maison censée accueillir deux personnes doit être au moins de 32 m2 et ce outre la salle de bain. Une surface qui augmente de 12 mètres carrés pour chaque individu.

« On intervient lorsqu’un de ces critères n’existe pas », poursuit Abdel-Azim. Comme cela a été le cas dans un bidonville, les habitations ne respectaient aucun critère. Des abris construits au sous-sol servant de refuges pour abriter des personnes dont les maisons se sont écroulées. Ces trous à rats, privés des services les plus élémentaires, sont devenus des logements quasiment durables. Une nouvelle génération n’a connu comme gîtes que ce style d’habitat. Des endroits qui étaient réservés pour stocker de la marchandise sont devenus aujourd’hui des aires de stockage pour les vivants, selon Manal Al-Tibi.

Dans cet univers inhumain, une famille composée d’une quinzaine de personnes doit s’entasser comme des sardines. Une boîte métallique en guise de WC dégage une odeur écœurante. Les pères n’osent pas envoyer leurs filles ou femme dans les toilettes publiques, craignant le harcèlement sexuel ou le viol. L’Etat qui a abrité ces citoyens dans ces logements trouve actuellement de la difficulté à y pénétrer. Les trafiquants de drogue imposent leurs lois et bloquent les efforts des ONG, puisque le développement entrave les intérêts de cette mafia. « Cette région est en fait un archétype de tant d’autres qui, face à la pauvreté, ne cessent de pousser comme des champignons en Egypte. Notre défi donc comme ONG est d’aider ces démunis à avoir accès à un logement plus décent. Il est temps de sensibiliser le citoyen, lui faire comprendre que le logement est un droit, non pas un cadeau ou une aumône de la part de l’Etat », conclut Abdel-Azim.

Dossier réalisé par Dina Darwich


 

« La sensibilisation des gens défavorisés est la question-clé »

La première association égyptienne œuvrant pour garantir le droit au logement a plusieurs objectifs. Une mission semée d’embûches. Interview avec Mohamad Abdel-Azim, responsable de l’ONG.

Al-Ahram Hebdo : Vous êtes la première ONG en Egypte qui lutte afin de garantir aux citoyens le droit au logement. Quels sont donc vos objectifs ?

Mohamad Abdel-Azim : Notre but est de répandre cette nouvelle vision qui vise à considérer le droit au logement comme essentiel au citoyen égyptien. Et ce à travers le travail sur le terrain, la formation de bénévoles, la sensibilisation de jeunes universitaires à travers des rencontres permanentes et la formation d’avocats aptes à exploiter les conventions internationales des droits de l’homme devant les tribunaux égyptiens. On tente aussi de garantir aux couches défavorisées le minimum de critères pour une maison habitable, comme l’exige le Pacte international des droits de l’homme. D’ailleurs, l’association comprend un bureau de documentation et de recherche qui effectue des études urbaines, car les informations nécessaires sur l’évolution de la crise du logement manquent parfois de crédibilité et de précision.

Le problème du logement est très complexe, comment pouvez-vous donc envisager des solutions efficaces ?

— Il existe plusieurs formes d’interventions. Le problème des sans-abris exige une solution rapide, car ce sont des gens qui se retrouvent dans la rue. L’ONG leur offre un abri provisoire, comme par exemple les 60 tentes que l’on a distribuées à des sinistrés. Dans ce genre de crises, la vision adoptée par l’Etat n’est pas très claire. La solution sur le terrain n’est souvent pas efficace. On doit parfois recourir à la justice et intenter un procès contre l’Etat. Et ce, après avoir répertorié les cas des habitations n’obéissant pas aux neuf critères fondamentaux grâce à une unité de recherche sur terrain. Parfois, on doit recourir à une organisation internationale pour mettre fin à une injustice. Dans la région de Doweiqa, on a résolu le problème grâce à l’intervention du coordinateur du logement à l’Onu. Celui-ci a mis fin à l’injustice commise par l’Etat qui voulait retirer les tentes qui servaient d’abri à des personnes dont les maisons se sont écroulées sous prétexte qu’ils gênaient la route. Mais ces citoyens n’avaient pas eu d’autres choix. Et, parfois, on se contente de faire des démarches, rédiger des rapports, donner des conférences et sensibiliser les gens pour leurs droits comme ce fut le cas à Guéziret Al-Qorsaya au Caire.

Alors quels sont donc les dossiers les plus importants que vous avez pris en charge dernièrement ?

— Le problème des Nubiens est un dossier sensible, surtout qu’il est en rapport avec la sécurité nationale. Ces derniers estiment avoir sacrifié leurs maisons et terrains au cours du siècle précédent pour la construction du Haut-Barrage et du réservoir d’Assouan. 39 villages nubiens ont été inondés par l’eau du lac Nasser. Les indemnités qu’ils ont reçues ont été dérisoires par rapport à ce gros sacrifice. Les Nubiens pensent qu’ils devraient être les premiers à bénéficier de lots de terrain à Tochka ou sur les rives du lac après la stabilité de son niveau. Pourtant, le gouvernement a distribué ces lots à des investisseurs. On a donc donné une conférence pour offrir la chance à ces Nubiens de s’exprimer. Cette conférence s’est tenue en avril dernier et a permis d’attirer l’attention sur leurs problèmes.

Qui finance votre ONG, surtout que l’on accuse toujours celles qui œuvrent dans le domaine des droits de l’homme de recevoir des dons provenant de sources occidentales douteuses ?

— Pour garantir la transparence, il faut dire que notre budget provient de plusieurs institutions et projets européens. L’institution ecclésiastique allemande intitulée Mezarow est notre sponsor le plus important.

Quel est donc votre rapport avec l’Etat, surtout que vous touchez à des dossiers sensibles ?

— La relation avec l’Etat passe par des hauts et des bas. Tout dépend de la personne avec qui l’on a affaire et à quel degré il croit au droit des démunis à un logement décent. Si cette personne est compréhensive, on entame les négociations avec elle. Ce qui n’est souvent pas le cas, car les conflits ne manquent pas. On lutte contre certaines formes d’injustice et de corruption dominant surtout dans les municipalités. Là, les responsables utilisent un subterfuge lorsqu’un immeuble s’effondre. Ils recensent les gens qui doivent être relogés dans les HLM et retirent ceux qui n’ont pas les moyens en glissant d’autres bénéficiaires contre un pot-de-vin qui varie entre 3 000 et 5 000 L.E. Parfois, les attestations de relogement dans les projets publics sont vendues à 7 000 L.E. l’unité.

D.D.

 




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