Al-Ahram Hebdo, Visages | Charbel Rouhana , Le Liban dans le coeur
  Président Morsi Attalla
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 3 au 9 décembre 2008, numéro 743

 

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Visages

Compositeur, luthiste et académicien libanais, Charbel Rouhana évoque par sa musique l’âme du temps présent, avec un soupçon de dérision. 

Le Liban dans le coeur 

La salle est aménagée pour recevoir un petit takht (ensemble oriental) de trois musiciens. Sur scène, trois chaises, des micros et des pupitres. Et puis Charbel Rouhana apparaît, moustachu avec des lunettes, chemise et pantalon. Sans faire un sourire, il s’assoit en faisant signe à ses amis et se penche sérieusement sur son oud (luth oriental). Commence alors le concert. Le musicien libanais fait salle comble. Il a acquis des cœurs en Egypte, étant réputé comme le disciple de Marcel Khalifé, la voix authentique du Liban.

Rouhana chante Ah men al-wagd (ô l’affection), Telaat ya mahla nourha (le beau soleil s’est levé), un air du compositeur alexandrin Sayed Darwich. Ensuite, il renoue avec son propre répertoire. L’audience chante avec lui dans une grande émotion. Les applaudissements et les youyous de joie donnent la cadence. Les yeux de Rouhana pétillent et un grand sourire se dessine sur ses lèvres. Il introduit les nouveaux arrangements et les nouvelles compositions qu’il a présentés dans le cadre du dernier Festival de jazz au Caire. En fait, il a juste joué une séquence d’une demi-heure, expliquant : « C’était difficile de jouer entre deux troupes spécialisées de jazz, le fameux Peter Lipa et la troupe égyptienne Al-Dor al-awal. Le jazz est une musique qui ouvre ses bras pour accueillir tous les genres. Ma musique, aussi. Parfois, je vais vers le folklore, les compositions du passé, les chansons du patrimoine, les nouvelles techniques … Pourtant, j’avoue que je ne fais pas de jazz. J’aime tout simplement l’écouter ». En fait, le musicien se plaît à mélanger les styles occidental et oriental. Avec lui, l’improvisation est souvent de mise. Et le dialogue débute entre violon, percussions et luth. Le tempo s’accélère, de quoi enflammer la salle. « N’importe quel instrument traduit la pensée de son joueur. C’est lui qui le manipule et le fait voyager dans son propre monde », estime Rouhana sur un ton posé et confiant. Il ajoute : « On a l’habitude de juger tout ce qui est différent à notre musique comme bizarre. Pourtant, un genre comme le jazz a ses règles et ses techniques. Moi, je joue toujours de la musique arabe, c’est ma langue ».

Non sans humour, Rouhana se montre assez critique à l’égard de sa propre société libanaise. Il déclare ouvertement Bil arabi ahsane (c’est mieux en arabe). Une chanson sarcastique, dénonçant l’usage fréquent des langues étrangères par les Libanais, mélangeant arabe, français et anglais dans une seule conversation.

De temps en temps, il chante pour s’exprimer, jouer et dénoncer quelque chose qui lui déplaît. Ses chansons touchent le public, car parlant de leurs soucis sociopolitiques. Un chanteur engagé ? Il ne veut pas l’être vraiment. Mais comment s’en empêcher ? « On est forcément influencé par la situation sociopolitique du pays. Mais au moment de la composition ou de l’écriture d’une chanson, j’essaye de trouver ma sérénité, c’est un moyen de faire la paix avec soi-même. Donc, il faut prendre un peu de distance pour pouvoir créer », explique Rouhana, qui tente toujours de ne pas être négativement influencé par l’actualité politique. Plutôt, il la tourne en dérision, comme il l’a fait il y a quelques années avec la chanson La chou al-taghyir (pourquoi le changement ?, 2004), où il cassait les rêves d’opérer un changement. En fait, il y critiquait la passivité et l’indifférence des gens. A quoi donc sert le changement ? Mais quand même, le dernier couplet souffle un peu d’espoir.

Ses chansons, sa musique et ses albums traduisent alors une voix contestataire. Pour lui, chose tout à fait naturelle, voire évidente. C’est l’influence de son entourage.

« Celui-ci m’a initié à la musique arabe et au luth », lance-t-il. Un frère joueur de nay (flûte orientale), un autre de tabla (percussions) et un cousin qui n’est que le fameux Marcel Khalifé. Voilà ses références. Comment donc Rouhana peut-il échapper à son sort ? « Marcel Khalifé a joué un grand rôle dans ma formation musicale. C’est un modèle pour tout musicien », dit-il. En fait, les deux cousins ont chanté et joué ensemble à divers concerts. Rouhana faisait partie de la troupe de Khalifé, Mayadine (places). « Ma relation avec Marcel Khalifé est assez belle et attirante. Sur le plan artistique et humain, j’étais content. C’est difficile alors de se séparer de lui. Mais comme j’ai mon propre projet musical, j’ai des rêves que je cherche à réaliser, il fallait s’en sortir sans problèmes, ni conflits. Jusqu’à présent, nous avons une très bonne relation. Nous pouvons travailler ensemble … Toutes les options sont ouvertes ».

Avant de jouer au luth, l’adolescent qu’il fut voulait faire du piano. A 14 ans, il a suivi des cours de piano pendant deux ans. Mais à cause de la guerre, sa professeure ne pouvait pas se rendre jusqu’à chez lui près de Byblos. Plus de cours alors. Le jeune Charbel prend le luth dans les bras et commence à jouer. Un jeu du hasard ? « Au départ, j’ai voulu découvrir le piano. Si j’avais suivi mes cours, je serais peut-être devenu pianiste. On ne sait jamais. Mais franchement, au fond de moi, je sentais un certain contraste entre ce que nous, ma famille, mon entourage et moi, chantons et jouons et ce que le piano représente. Le luth était donc un choix naturel, mais de temps en temps j’aime fouiller la musique classique, le jazz, la musique du monde, la musique de fusion … ».

Le jeune Rouhana a poursuivi ses études de musique arabe, avec le luth comme spécialisation. Diplômé du Conservatoire du Liban, il a été recruté comme professeur de musique arabe et de oud. Tout au long de sa carrière académique, il a élaboré un ouvrage de 8 tomes portant sur son instrument de prédilection. C’est devenu plus tard le programme enseigné aujourd’hui aux étudiants du Conservatoire. « C’étaient tout simplement des notes et des remarques que j’ai écrites, portant sur le jeu et l’instrument. Juste un pont qui relie le jeune étudiant à la musique arabe, entre présent et passé. C’est aussi un lien entre la musique déjà existante, écrite et composée et celle que nous composons aujourd’hui. Cet ouvrage est toujours soumis à des modifications et à des changements. Il n’est pas sacré. Mais j’espère avoir le temps pour continuer cette mission. A l’académie, règne toujours une ambiance conservatrice », dit-il, ajoutant : « Ma tâche sur scène est plus facile. Je me sens plus à l’aise. Le public et moi, nous sommes dans un état de joie ».

Depuis les années 1980, Rouhana a sorti 8 albums, assez variés. Tous ses concerts, sa musique d’avant 1997, date de la sortie de son album Salamat (salutations), ne faisaient que préparer la suite. Car cet album constitue un vrai tournant. Ses compositions d’auparavant, il ne les dénigre pas. Au contraire, il les reprend pour leur donner un autre sens, à travers une interprétation plus contemporaine. C’est son jeu préféré. Mazaj Alaani (2000) est un autre album qui a regroupé des œuvres remontant aux années 1980, avec un nouvel arrangement. « Tous ces albums, c’est moi. Je cherche toujours à faire quelque chose de différent ».

Cependant, d’aucuns l’accusent ouvertement d’imiter Marcel Khalifé ou Ziad Rahbani. D’autres avancent qu’il cherche, de par sa musique, à flirter avec l’Occident. Et lui, il fait la source oreille, ignorant ces accusations. sur un ton diplomatique, il répond : « Marcel Khalifé et Ziad Rahbani sont des grands noms. Ce sont des modèles que l’on respecte beaucoup. C’est un grand honneur d’être comparé à eux. Même si j’anime des concerts en Europe ou loin du Liban, l’idée de suivre la mode occidentale ne me préoccupe pas. Je m’attache à ma culture, à ma musique et à mes origines arabes. Toute ma carrière est au Liban. Je suis professeur au Conservatoire de Beyrouth, j’ai épousé ma femme pendant la guerre, mes deux enfants sont nés dans ce pays … J’ai vécu là-bas tous mes 43 ans. Ma physionomie ne trahit pas mon âge, n’est-ce pas ? ».

Un concert au Caire, à Montréal ou ailleurs …, l’agenda de Charbel Rouhana est surchargé. Ses nouvelles sont diffusées rapidement sur les blogs, les sites musicaux, le Facebook …. A-t-il un bon agent, un directeur de la communication ? « C’est ma femme. Sans même le lui demander, elle le fait … Une manière de me suivre au sens positif ou négatif », plaisante-t-il, ajoutant : « La femme qui vient assister à un concert de Charbel Rouhana, et qui l’admire pour une demi-heure, n’est pas la même femme qui peut vivre avec lui 24 heures sur 24. Mon épouse supporte ma mauvaise humeur, mon inquiétude, mes soucis … ». La gratitude l’emplit et lui procure satisfaction. « Ma vie est axée autour de deux projets : la musique et la famille. L’un ne peut dominer l’autre. J’essaye le plus possible de maintenir l’équilibre nécessaire », souligne-t-il.

Déjà la nouvelle circule entre les navigateurs d’Internet, Rouhana se produira en concert durant le mois de décembre. Avis aux mélomanes.

May Sélim

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Jalons 

1965 : Naissance à Amchit, au Liban.

1986 : Diplômé de la faculté musicale, de l’Université du Saint-Esprit. Spécialiste du luth.

1987 : Magistère en musicologie et professeur de luth au Conservatoire et à l’Université du Saint-Esprit.

1995 : Jadal, un duo avec Marcel Khalifé.

1997 : Sortie de son album Salamat.

1998 : Sortie de Mada, en coopération avec Hani Siblini.

2008 : Choghl beit (hand made), dernier album et animation de l’atelier de Remix Plus dans le cadre du Festival du jazz au Caire.

 

 

 




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