Al-Ahram Hebdo, Littérature | Mekkawi Saïd; La terre tourne
  Président Morsi Attalla
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
Nos Archives

 Semaine du 3 au 9 décembre 2008, numéro 743

 

Contactez-nous Version imprimable

  Une

  Evénement

  Enquête

  Dossier

  Nulle part ailleurs

  Invité

  Egypte

  Economie

  Monde Arabe

  Afrique

  Monde

  Opinion

  Société

  Arts

  Livres

  Littérature

  Visages

  Environnement

  Voyages

  Sports

  Vie mondaine

  Echangez, écrivez



  AGENDA


Publicité
Abonnement
 
Littérature

Mekkawi Saïd tente, dans son dernier recueil de nouvelles Serri al-saghir (mon petit secret, éditions Akhbar Al-Youm), de capter les moments humains qui ressortent en pleine décadence. En voici une de ses nouvelles, Al-Donia betlef.  

La terre tourne 

Les gouttes de pluies se prolongeaient et se précipitaient et, en quelques secondes, la rue se transforma en marée de boue avant de se vider complètement des flâneurs. Je me protégeai sous la tenture des autobus et je remarquai un minuscule fantôme, celui d’une silhouette de jeune fille émincée qui apparaissait à peine à la lueur de la pâle lune. Elle était poursuivie par quelques gamins qui s’amusaient à la draguer, puis ils s’approchèrent d’elle et se mirent à la bousculer et à la toucher. La situation se dramatisa et prit une plus grande ampleur lorsqu’elle se retourna pour les remettre en place. Ils se recroquevillèrent sur eux-mêmes à cause des injures grossières et insolentes qu’elle leur lançait. A force d’insultes, ils reculèrent de quelques pas, l’air abattu. Elle se retourna subitement, découvrit ma présence, me dévisagea et se précipita vers moi. Les gamins la suivaient sans trop de vigueur. Je remarquai à peine ses traits. La large robe à la manière des pays du Golfe cachait son corps mince alors que le fard bon marché couvrait le visage émincé de cette jeune fille qui n’avait pas atteint ses seize ans et dont la bouche mâchait à grands bruits une mastique de manière péremptoire comme pour crier bien haut et fort : « Je suis une prostituée ».

Elle s’arrêta devant moi, me sourit et je fus frappé par sa vulgarité alors qu’elle disait :

« Dieu me protège, et personne d’autre que toi va me prendre dans ses bras et me laisser dormir à ses côtés ».

Je regardais les gamins qui avaient l’air sidéré par la scène. Ils sentaient que la situation leur échappait. Ils lancèrent alors des grossièretés en se moquant de nous tout en ne dissimulant pas leur envie et leur jalousie.

« Alors, mon vieux, tu es chanceux ! N’oublie pas de bien prendre soin d’elle. Elle est après tout de l’âge de ta fille ! ».

Lorsque la situation prit ce tour et qu’ils se mirent à ricaner de ma personne, de mon âge, de ma tête chauve et de mes lunettes, je les bombardais de mes regards perçants tout en lançant des mots calmes pleins de sous-entendus. Il ne se passa pas longtemps avant qu’ils ne prennent la fuite, les uns après les autres, en réalisant parfaitement que le tour était joué …

D’un regard aigu et avec un sourire, elle surveillait leur retrait tout en insistant à se cantonner contre mon corps. Sa robe humide caressait mon corps et me faisait frissonner. Elle se serra contre mes coudes en s’exclamant avec affection :

« Bravo ! J’étais sûre que tu allais me sauver d’eux ! ».

J’éloignai mon corps en affirmant paternellement :

« Ils sont partis, tu peux partir maintenant ».

D’un regard perçant et souriant, elle me fixa : « Tu croyais que je rigolais ? Je veux vraiment dormir chez toi ».

Mon regard traversa sa robe, alors que je disais : « Tu veux coucher chez moi ? ».

Elle fit oui de la tête en se collant plus à mon corps et en plongeant son visage contre ma poitrine. Elle soufflait : « Ta maison est proche ? ».

Je répondis calmement : « Il faut quatre heures pour y arriver ».

Elle s’insuffla alors qu’elle faisait quelques pas en arrière et qu’elle disait avec douceur : « Pourquoi 4 heures ? Tu habites la Libye ? ».

Je souriais : « Non, j’habite Qalioub ».

Elle me demanda étonnée : « C’est où ce bled ? ».

Je montrais du doigt le chemin : « Nous allons prendre un taxi jusqu’à Ramsès, puis nous prendrons une Peugeot pour Qalioub ».

Elle me fit un câlin : « Tu rigoles ? ».

Je fis un signe de la tête : « Je te jure que je ne rigole pas ! ».

La détresse remplaça le sourire qui éclairait auparavant son visage : « Je ne peux pas partir loin d’ici. Je n’ai jamais voyagé ».

Je sortis quelques livres égyptiennes de ma poche et les lui donnai. Fermement, elle évita ma main en disant :

« Tu pensais que j’allais coucher avec toi pour de l’argent ! ».

Surpris, j’inventai un mensonge : « Certes pas ! ».

Je la regardais alors qu’elle m’examinait à nouveau : « C’est donc pour ça que tu m’as dis que tu habitais à Qalioub ! ».

Je me précipitai pour dire : « Je te jure que j’habite à Qalioub et que je ne me moque pas de toi ! Tu veux voir ma carte d’identité ! ».

Elle avança de quelques pas, puis dit suppliante : « Tu pars tout de suite ».

Je fis oui de la tête. Elle avança sa main droite vers sa taille et sa main gauche de l’autre côté. Je fus pris par l’étonnement, croyant au premier abord qu’elle allait ouvrir sa robe pour me laisser admirer ses trésors et les détails de son corps. Je restai cloué au sol en espérant que cela arriverait. Pourtant, je fus surpris en la voyant sortir de ses poches droites et gauches une panoplie de louanges et de versets du Coran. Je lui soufflai, perplexe : « Tu vends ces choses ? ». Elle me dit avec un large sourire en me tendant l’un des versets : « La vie est dure, Monsieur ».

Je retournai dans ma main la sourate de Yassine qu’elle m’avait offerte et je m’arrêtai subitement alors qu’elle me lorgnais d’un regard offensé en me voyant plonger la main dans ma poche : « De nouveau, Monsieur ! ».

Ma main s’arrêta à mi-chemin alors que je soufflai : « Pourquoi tu m’offres cela ? ».

Avec un sourire que je n’oublierai jamais, elle répondit : « C’est du Coran, Monsieur ! Pour te protéger durant le voyage ! ».

La lune avait éclairé le ciel et le temps était lumineux et serein. Alors qu’elle s’éloignait, elle m’entendit dire :

« Je vais te revoir ? ».

Elle s’exclama avec ferveur alors qu’elle était de l’autre côté de la rue :

« Mais bien sûr, Monsieur ! La terre tourne et moi, Dieu m’aime beaucoup ! ».

Elle s’éloignait doucement alors qu’une chaleur douce m’envahissait ... .

Traduction de Soheir Fahmi

Retour au sommaire

Mekkawi Saïd 

Il est né au Caire en 1955. Directeur de la maison d’édition Al-Dar, il a commencé sa carrière d’écrivain par des scripts de documentaires et scénarios de courts métrages, puis il s’est dirigé vers l’écriture littéraire. Il a écrit cinq œuvres, trois recueils de nouvelles dont Al-Rakd waraä al-douë (courir derrière la lumière) en 1981, Halet romançiya (état romantique) en 1992, Rakébet al-maqaad al-khalfi (la passagère du siège du fond) en 2001. Et deux romans : Feiran al-safina (les rats du bateau) en 1991, et Taghridet al-bagaa (le chant du cygne) en 2007. Ce dernier roman lui a valu la sélection au prix Booker du roman arabe dans la courte liste de dix romanciers arabes. Mekkawi Saïd écrit également des contes pour enfants dans de nombreuses revues arabes et ses scénarios ont été primés dans des festivals internationaux.

 

 

 




Equipe du journal électronique:
Equipe éditoriale: Névine Kamel- Howaïda Salah -Thérèse Joseph
Assistant technique: Karim Farouk
Webmaster: Samah Ziad

Droits de reproduction et de diffusion réservés. © AL-AHRAM Hebdo
Usage strictement personnel.
L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la Licence

de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.