Initiative.
Un premier concours organisé par la délégation de la
Commission européenne en Egypte a permis à de talentueux
photographes amateurs de saisir sur le vif un quotidien. Ils
s'expriment sur leurs expériences.
Vie en image
« Sens dessus dessous »
Nour Al-Rifai, architecte.
C’est
l’état de tout le pays, c’est ainsi que je le vois. Tout est
sens dessus dessous. Un désordre total, un chaos. Tel est le
sentiment qui m’a dominé quand j’ai pris cette photo. Elle
exprime avec des détails très simples la situation actuelle
de l’Egypte et tous ses contrastes. Dans l’arrière-plan, on
trouve les maisons, les mosquées, les usines et tous les
indices d’une vie quotidienne normale. Mais sur le devant de
la scène, on constate ce déséquilibre choquant entre le
citoyen et le pouvoir. Cet enfant debout bien droit semble
impuissant face à ce garçon renversé, qui a l’air plus
robuste et semble en position de force, car il détient tout.
Cette incapacité et cette soumission ne font que refléter
notre statut face à toutes les formes d’injustice. Nous
sommes tous là, les bras croisés, et nous regardons ceux qui
décident de notre destin sans pouvoir même nous opposer.
« Et si demain n’arrive pas »
Rania Al-Sayed, traductrice.
La
crainte et la tristesse se dégageant des yeux de la petite
villageoise disent tout. Elle regarde l’horizon, comme si
elle voulait savoir à quel avenir s’attendre. Elle partage
les maux de toute une génération née et élevée dans les
villages d’Egypte et dont les conditions de vie assez
précaires promettent un lendemain incertain. Pauvreté,
maladie, ignorance, tant de drames qui contribueront à
tracer le destin de cette petite fille. Ma photo aborde ces
conditions inhumaines privant nos enfants de leurs droits
les plus élémentaires. J’ai essayé d’imaginer dans quel état
serait cette jolie fille dans une dizaine d’années, tout en
me rappelant le passé glorieux des villages d’Egypte et
constatant leur état lamentable d’aujourd’hui. Ce sont ces
mêmes villages qui donnaient autrefois naissance à des
intellectuels, savants et écrivains, et où ils obtenaient le
meilleur enseignement, avaient droit à une vie saine et à
une ambiance inspiratrice.
« La course des ânes »
Mohamad Hassan Haggag, architecte.
Tout est
arrivé par coïncidence. J’assistais à une course de chevaux
dans un village du Fayoum. Soudain, un troupeau d’ânes
conduit par de jeunes villageois a fait son apparition sur
le champ de course. Dynamiques, agiles, le regard déterminé,
ces jeunes ont réussi à attirer toute l’attention sur eux. A
ce moment, j’avais senti que cette course des ânes était
plus émouvante que celle des chevaux. Ce contraste entre
chevaux et ânes m’a fait penser à deux autres scènes de vie,
celle des fonctionnaires à la sortie de leur travail, dont
les visages illustrent la paresse et l’indifférence, et
celle des paysans travaillant la terre avec beaucoup de
détermination et d’enthousiasme. Deux scènes de vie qui
reflètent deux mondes différents.
« L’homme de la fumée »
Abdel-Hakim Moustapha, professeur de sciences.
Comme
l’a fait Gamal Hemdane en géographie humaine et Chadi
Abdel-Salam au cinéma, je suis à la recherche de scènes de
vie en Egypte à travers la photo. C’est plus une passion
d’observer et de capter. Son modèle : un potier près du
four, au milieu de la fumée, tout en fumant sa cigarette, au
village Al-Towayrate, à Qéna. Un moment qui mérite d’être
enregistré. Pour moi, il représente l’Egyptien poursuivant
son travail malgré toutes les difficultés. La fumée
représente la pollution. Pourtant, l’homme semble avoir une
volonté de fer, il poursuit sa vie, son travail tout en
jouissant de son temps, en fumant avec plaisir sa cigarette.
J’ai l’intention de faire une collection de photos sur la
Haute-Egypte, à la recherche de la vraie identité
égyptienne.
« Attente »
Mohamed Ezzeddine, ingénieur.
J’ai
réalisé au cours de mon trajet quotidien dans le métro à
quel point nous passons du temps à attendre. Dans la vie,
nous sommes en état d’attente perpétuel. Nous attendons ce
microbus ou métro qui va nous conduire à la destination
désirée. Nous attendons encore cette opportunité de travail
qui va nous permettre de faire carrière et améliorer nos
conditions de vie, nous attendons cet amour qui pourrait
donner un sens à la vie, nous attendons peut-être un bébé
pour lequel nous ferons de notre mieux pour lui assurer une
vie meilleure. La vie est ainsi une série d’attentes. Et à
chaque phase, c’est l’aspiration à la prochaine étape qui
donne du piment à notre existence, qui nous encourage à
déployer plus d’efforts pour découvrir le reste de
l’aventure. Cette attente est le sentiment de cette
génération qui attend ce grand changement, cette lumière au
bout du tunnel.
« Le jour de la sortie des filles »
Ali Hassan, ingénieur chimique.
Avoir
le sens de la tolérance et accepter l’autre. C’est ce que je
voulais dire à travers la photo ... 4 filles voilées se
promènent et sautent par dessus le mur à la région de
Qaïtbay à Alexandrie. Elles jouissent de leur vie avec
gaieté et vivacité. Une image différente des stéréotypes de
la femme voilée, liée à l’oppression, la régression et la
faiblesse. Ce jour, j’ai réalisé qu’il ne faut pas juger les
gens à travers leur apparence et selon leur manière de
s’habiller, surtout que le voile devient presque une
uniforme de beaucoup de femmes en Egypte. Cependant, ça ne
veut pas dire que les femmes voilées sont renfermées sur
elles-mêmes, mais des filles qui mènent un train de vie
normal et exercent beaucoup d’activités.
« L’encombrement du métro »
Mohamad Abdel-Wahab Al-Séheiti, étudiant à l’université.
C’est
la vie en Egypte. Embouteillage partout. Cohue, bousculades,
encombrements, attouchements et disputes. Le transport
public est une souffrance quotidienne que vit le peuple. Un
peuple qui recourt essentiellement aux moyens de transport
en commun. Cet embouteillage n’exclut pas le métro. Cette
scène d’encombrement dans le métro montre des mains qui
s’étendent pour trouver une place où poser les pieds et se
tenir en équilibre. En fait, les gens évitent les bus
publics et les microbus pour leur lenteur dans une ville où
le trafic est intense. Aujourd’hui, même le métro qui est
plus rapide devient insupportable avec tant de cohue.
« De leurs mains, ils rament vers leur propre monde »
Marwa Morgan, étudiante à l’université.
Des pêcheurs modestes et peut-être analphabètes forment des
files bien organisées avec leurs bateaux. Chacun sait ce
qu’il doit faire et le fait en toute harmonie. Une scène qui
me fait rappeler les contrastes de notre société. Des gens
éduqués mènent un train de vie anarchique, ils ne savent pas
s’organiser tandis que d’autres beaucoup plus modestes et
spontanés sont plus méthodiques. Nous vivons dans une
société pleine de contrastes.
« Le pain subventionné, le défi »
Dani Eid, directeur général d’une société privée.
Un
enfant qui vend du pain à une époque où en avoir une galette
en Egypte devient un défi. Un petit dont le rêve est d’aller
chercher du pain pour le revendre. Pour moi, la photo doit
transmettre un message. Je suis membre de plusieurs ONG, je
pense qu’à travers des photos de la vie quotidienne en
Egypte, nous pouvons mettre l’accent sur beaucoup de
problèmes, un premier pas vers les solutions.
Libanais, je séjourne en Egypte depuis 5 ans, je pense que
c’est un grand pays, riche en tout et plein de scènes qui
incitent les caméras des photographes. Différents lieux,
traditions, modes de vie et cultures dans les quartiers
populaires. L’Egypte, ce n’est pas seulement les Pyramides
et le Nil comme le pensent beaucoup d’étrangers.
« Café »
Mohamed Hassan Abdel-Aal, photographe en herbe.
Le
café baladi, aspect typique de la vie quotidienne. L’Egypte
c’est un café. Un lieu où l’on se rassemble, se côtoie, se
défoule et se connaît. Un élément indissociable du décor de
chaque quartier populaire. Ici, tout coexiste en pleine
harmonie. Jeux, activités et loisirs, mais aussi jeunes,
adultes et vieillards. Même au niveau des boissons, vous y
trouverez pour tous les goûts. Chicha, thé à la menthe, café
et même du capuccino. Un mélange de cultures et d’états
d’âme. Des visages souriants, d’autres tristes. Sur ce café
du quartier populaire d’Al-Omraniya, j’ai rencontré des
jeunes qui ont fait l’école buissonnière, des chômeurs, des
personnes à la retraite et des fonctionnaires. Un témoin de
la vie des gens qui a réussi malgré tout à survivre. Et même
si aujourd’hui, on voit pousser dans tous les coins de la
capitale ces nouveaux cafés à l’américaine, un café baladi
reste une expérience à part. Ici, même les serveurs ont leur
propre charme. Difficile d’imaginer un café baladi sans ces
anciennes maisons, ce linge suspendu aux balcons, ces cris
de vendeurs ambulants.
« Le barbier égyptien »
Mohamad Azab, consultant technique en vente et marketing.
Durant
le mois de Ramadan et en flânant dans le quartier d’Al-Azhar
et Al-Hussein, j’ai croisé ce barbier qui a aguiché ma
caméra. Une scène purement égyptienne, un barbier dont la
porte de l’échoppe située dans une petite ruelle est
entrouverte. Une scène de film en noir et blanc. ça
représente les vieilles traditions de l’Egypte, une partie
intégrante de la hara. Ce barbier « old style » est une
spécificité égyptienne comme le taxi noir et blanc. J’ai
vécu plus de 15 ans à l’étranger. Quand je venais en
vacances, j’aimais me balader dans les différents coins de
l’Egypte pour les découvrir. J’observais des scènes de vie
reflétant nos traditions et qui n’existent nulle part
ailleurs.
Propos recueillis par Doaa Khalifa et Amira Doss