Unesco.
Washington et Tel-Aviv s’efforcent de mettre les bâtons dans
les roues devant la candidature de Farouk Hosni à la tête de
l’organisation internationale. Des pays européens sont
entrés dans une valse hésitation.
Combattu par la mauvaise foi
Il n’est pas étranger aux critiques, dit-on. Et de chaque
campagne aussi acerbe soit-elle, Farouk Hosni parvenait à
sortir presque indemne. Le voilà, encore une fois, face à
une attaque virulente, émanant non de milieux hostiles, mais
de l’autre rive de la mer Rouge, en Israël. Une attaque
orchestrée par Tel-Aviv et pilotée, semble-t-il, par
Washington. L’objectif ultime est d’empêcher le ministre
égyptien de la Culture de devenir le nouveau directeur
général de l’Unesco. Et la classique accusation à chaque
fois que les Israéliens ne parviennent pas à être obéis au
doigt et à l’œil est l’antisémitisme.
L’affaire remonte au mois de mai. Hosni, appelé à se
prononcer sur la présence de livres israéliens en Egypte,
déclare spontanément que s’il en trouve, « il y mettra le
feu ». Une formule qui en égyptien voudrait simplement dire
qu’il n’existe pas de livres israéliens dans les
bibliothèques égyptiennes. Israël y trouve son alibi et
ouvre le feu sur le ministre égyptien. L’ambassadeur
israélien au Caire, Shalom Cohen, écrit ainsi dans une note
confidentielle adressée à son ministère des Affaires
étrangères, et publiée par le quotidien israélien Yediot
Aharonot, que ces déclarations sont « dures et surtout
brutales, de façon à rendre impossible à Israël et à la
communauté internationale de poursuivre un agenda normal
avec l’Egypte ». Plus encore, le centre Simon Wiesenthal,
spécialisé dans la recherche d’anciens criminels nazis,
écrit au directeur général de l’Unesco, Koïchiro Matsuura,
qualifiant Hosni de « menace majeure aux valeurs de l’Unesco
». Il l’accuse d’être « antisémite » pour avoir invité en
Egypte l’écrivain français Roger Garaudy. « Ses préjugés,
intolérances, et manque de respect lui excluent toute
possibilité de mener le dialogue de civilisation de l’Unesco
». Et donc le centre Wiesenthal « engagera les
pays-électeurs sur l’impossible scénario » de Farouk Hosni
comme directeur général de l’Organisation onusienne.
On le voit bien, on oublie souvent que c’est lui qui a «
œuvré en faveur du patrimoine culturel des juifs d’Egypte et
fait restaurer les synagogues ». (Lire entretien page 4).
L’accusation d’antisémitisme, ce n’est que l’arbre qui cache
la forêt. Les Israéliens sont surtout furieux du rejet de
Hosni et des intellectuels égyptiens de toute «
normalisation culturelle » avec Tel-Aviv. Voilà 30 ans que
l’Egypte et Israël ont signé le fameux accord de paix de
Camp David, mais sans véritable rapprochement entre les deux
peuples. Des relations politiques existent bel et bien,
économiques aussi, mais le culturel est loin d’être surmonté
par les Israéliens. Les Egyptiens ont opté pour le boycott
des livres, des films et des œuvres israéliens, au moins
jusqu’à la fin du conflit palestino-israélien. « Une telle
normalisation ne peut avoir lieu qu’après une paix juste et
globale », avait déclaré Farouk Hosni. Des mots qui peinent
à convaincre des Israéliens, peu soucieux, semble-t-il, de
l’impact de leurs pratiques quotidiennes dans les
territoires occupés, sur la rue arabe. Et si Hosni décide
aujourd’hui de faire le déplacement en Israël, toutes ces
accusations cousues de fil blanc retourneront au tiroir.
Farouk Hosni « rêve de normaliser les relations » avec
Tel-Aviv, écrit cette même presse israélienne qui le cible.
Rien à voir donc avec l’antisémitisme, mais de la pure
politique. Et pour ce poste de l’Unesco, la politique joue
son jeu. Selon un diplomate européen au Caire, « les
Israéliens ne veulent pas d’Arabe à la tête de
l’Organisation ».
L’Amérique au secours de son allié
C’est donc David contre Goliath, disent en quelque sorte les
Israéliens, confortés à ce jour par le soutien des
Américains. Selon des informations officieuses, les
Etats-Unis auraient épousé le point de vue israélien, ce qui
a changé la donne. Tel-Aviv seul ne semblait pas vraiment
avoir les moyens d’influencer les électeurs de l’Unesco. Des
pressions américaines seraient déployées de manière
renforcée sur les pays européens, surtout ceux qui avaient
déjà apporté leur appui à la candidature du ministre
égyptien. Appelée à se prononcer, l’ambassade américaine au
Caire est restée discrète. Un haut responsable de
l’ambassade, parlant sous couvert de l’anonymat, a ainsi
déclaré que « ce n’est pas dans la coutume des Etats-Unis de
faire des commentaires en public sur leur vote des candidats
dans les organisations internationales ». Les informations
publiées par la presse sont-elle vraies ou fausses ? « No
comment ». Des termes diplomatiques qui confortent peu,
surtout si l’on sait qu’avec l’Amérique, Israël est
l’élément capable de briser n’importe quelle équation.
L’Alignement de l’un sur l’autre n’est pas un secret. Ainsi,
les Israéliens seraient en train de bien préparer leur
dossier avec l’Administration Bush pour qu’enfin la nouvelle
Administration Obama, à son arrivée fin janvier, se retrouve
devant le fait accompli, avec un Non à l’élection du
candidat égyptien. Entre-temps, les actuels responsables
américains exerceront toutes formes de pression sur les
pays-électeurs, la France en tête. La menace brandie, un
retrait américain de l’organisation, à l’instar de 1984
(lire page 5) et donc une suppression des 22 % du
financement qu’apportent les Etats-Unis au budget de
l’organisation.
Une ambiguïté française
Les Français avaient très tôt affiché leur soutien au
candidat égyptien. Un marché aurait été conclu entre les
présidents Moubarak et Sarkozy en personne, en vertu duquel
Le Caire soutiendrait Straus-Kahn à la tête du Fonds
monétaire international et Paris épaulerait Hosni pour
succéder au Japonais Koichiro Matsuura en 2009. Des proches
du ministre égyptien affirment que le président français lui
avait lui-même assuré le soutien de son pays. Des
déclarations de hauts responsables français sont ouvertement
allées également dans ce sens. Ce qui n’est pas le cas
aujourd’hui. L’ambassade de France au Caire, invitée à
préciser sa position à la suite de ces « rumeurs de pression
», a précisé que « cette élection ne fait que commencer et
que le processus de dépôt de candidature n’est pas terminé
et dans ce cas, il est évident que nous ne pouvons pas
rendre publique une quelconque décision ». L’attaché de
presse belge Birgit Stevens a tenu des propos similaires.
Des propos trop diplomatiques qui témoignent d’une
marche-arrière évidente, au moins par rapport à la première
position française. C’est dire, d’une façon peu
diplomatique, que la France, qui s’identifiait par son poids
culturel et ses idées progressistes mais aussi par son
indépendance vis-à-vis des Américains, semble jouer leur
jeu. Au lieu de faire l’équilibre sur le plan international,
la France de Sarkozy s’engouffre dans cette polarisation
pro-israélienne.
En effet, la nomination du directeur général de l’Unesco est
effectuée par scrutin au sein du conseil exécutif de
l’Organisation. La formule veut que le lauréat doit obtenir
au moins la moitié des voix + un, d’un total de 58. Soit 30
voix. L’Egypte a obtenu un soutien ferme à la candidature de
Hosni de la part des pays arabes, qui pour une fois ont uni
leurs rangs en se mettant d’accord sur un seul candidat
après que le Maroc a cordialement retiré sa candidate. Le
monde arabe dispose de 7 voix. Le Caire a encore réussi à
obtenir le soutien de l’Afrique lors d’une conférence des
ministres africains de la Culture en octobre dernier. Les
Africains détiennent 13 voix au sein de l’organisation, mais
sont la proie facile d’influences. Des pays comme l’Espagne,
la Grèce et l’Italie se sont également prononcés en faveur
du candidat égyptien. Hossam Nassar, coordinateur de la
campagne de Farouk Hosni, estime que « des indices majeurs
montrent que nous sommes sur la bonne voie. Nous poursuivons
notre campagne assurés des chances de notre candidat et peu
soucieux de ce genre de rumeurs ». L’Egypte, en effet,
dispose de pas mal de chance. Elle est un des 21 Etats
fondateurs de l’Unesco en 1945 et fait partie du monde
arabe, à qui, en principe, le prochain mandat devait
revenir, puisque les autres groupes géographiques ont déjà
été représentés à la tête de l’Unesco. Deux autres candidats
de Bulgarie et Lituanie sont en lice avec des chances moins
importantes.
Ce n’est pourtant pas dans la poche. Le facteur américain
est assez décisif, il faudrait peut-être penser au cas de
Boutros Boutros-Ghali qui a été empêché de briguer un second
mandant en tant que Secrétaire général de l’Onu à cause
surtout des bâtons américains. (Témoignages page 5).
Les plus optimistes comptent d’ailleurs sur le nouveau
locataire de la Maison Blanche. Un Obama qui affiche une
volonté de réconcilier l’Amérique et le monde, le monde
musulman en particulier, ne pourrait entamer son mandat par
une crise avec l’Egypte et le monde arabe. « Ça serait un
coup de Trafalgar », affirme un proche de la campagne du
candidat égyptien. Ce n’est pas un combat sur un simple
poste, mais un duel civilisationnel et moral.
Samar
Al-Gamal