UE-Israël.
L’Europe s’est prononcée pour le « rehaussement du niveau et
d’intensité de ses relations bilatérales » avec Tel-Aviv,
faisant craindre un virage de la politique européenne
vis-à-vis du Proche-Orient.
Un cadeau non mérité
Au
lieu de sanctionner Israël pour ses violations quotidiennes
du droit international et des droits de l’homme dans les
territoires occupés, l’Europe a préféré le récompenser en
lui accordant un nouveau statut. Un statut qui s’est négocié
à la demande d’Israël et dans la plus grande opacité. Le
vieux continent s’est ainsi prononcé par un oui pour le
« rehaussement du niveau et d’intensité de ses relations
bilatérales » avec Tel-Aviv en adoptant un texte intitulé «
Council Conclusions Strengthening of the EU Bilateral
Relations with its Mediterranean Partners — Upgrade with
Israel ». Une longue annexe au texte précise les
lignes directrices pour ce « Upgrading » du dialogue
politique avec Israël. Elle prévoit entre autres la tenue
périodique de réunions des chefs d’Etat et de gouvernement
de l’Union Européenne (UE) et d’Israël, un privilège
jusque-là accordé à quelques grandes puissances comme la
Chine ou la Russie. Un premier sommet UE-Israël pourrait
avoir lieu dans les prochains mois, peut-être dès le premier
semestre 2009 sous la présidence tchèque de l’UE, selon le
ministre tchèque des Affaires étrangères, Karel
Schwarzenberg. On évoque au moins trois réunions annuelles
au niveau des chefs de la diplomatie. Cette mesure permettra
aussi l’invitation régulière de responsables du ministère
des Affaires étrangères israélien au comité pour la
politique et la sécurité de l’UE et d’experts israéliens
dans les comités travaillant notamment sur la lutte contre
le terrorisme et le crime organisé par exemple. L’UE se dit
prête aussi à envisager « la possibilité d’inviter Israël à
participer aux missions civiles » menées dans le cadre de sa
politique de défense et de sécurité, « au cas par cas et
lorsque l’intérêt commun s’y prêtera », et à avoir avec
Israël, « au moins une fois par an », un dialogue informel
sur les questions stratégiques.
Un forcing de Paris ?
En gros, le texte permet à Israël de conquérir les droits
d’un quasi-Etat membre de l’UE. Il faut voir Paris derrière.
C’est sur impulsion de la France que ce document a été
approuvé, alors qu’une semaine auparavant, le Parlement
européen, appelé à voter sur le renforcement des relations
euro-israéliennes, s’est prononcé pour le report du vote. On
dit qu’une première version présentée par la France avait
suscité des réserves chez certains partenaires européens, le
Royaume-Uni et la Belgique en particulier, qui ont demandé
un « rééquilibrage » du texte qui faisait la part belle à
Israël. En juin dernier, Francis Wurtz, président du Groupe
confédéral de la gauche unitaire européenne/gauche verte
nordique, a adressé une lettre au président Sarkozy, au
président de la Commission européenne, Manuel Barroso, et au
haut représentant de la politique étrangère de l’UE, Javier
Solana, pour leur demander des éclaircissements au sujet de
négociations secrètes que mènerait depuis une année l’UE
avec Israël. « Il apparaît que des négociations secrètes
sont en cours depuis un an entre l’Union européenne et les
dirigeants de l’Etat d’Israël. Non pas, hélas, pour tenter
de débloquer le processus de paix avec les Palestiniens mais
pour examiner une demande proprement inimaginable de la part
de Tel-Aviv : celle de conquérir les droits d’un quasi-Etat
membre de l’Union européenne ! », écrit-il dans sa lettre.
D’après Wurtz, « la demande israélienne en question date du
5 mars de l’année dernière ; un groupe de réflexion s’est
réuni sur le sujet le 4 juin 2007 ; une seconde réunion
s’est tenue le 9 octobre dernier pour préparer une
Déclaration du Conseil. Et tout cela sans que la moindre
information n’en ait été donnée à la représentation
parlementaire de l’Union ! ». Tzipi Livni, ministre des
Affaires étrangères israéliennes, a fait le déplacement de
Bruxelles pour faire son propre lobbying et convaincre les
réticents, 2 jours avant le vote. Le quotidien israélien
Haaretz précise ainsi dans son édition du 9 décembre que
Livni, qui a rencontré ses homologues européens, a à un
moment de la rencontre demandé à voir Bernard Kouchner en
tête-à-tête et à ce que les autres sortent de la salle.
Durant cette conversation, les deux sont tombés d’accord sur
le fait qu’il n’y aurait pas de lien entre le rehaussement
des relations UE-Israël et les négociations de paix. La
ministre israélienne aurait aussi empêché l’adoption d’un
texte stratégique d’action qui rappellerait la position de
l’Union européenne sur le conflit du Proche-Orient. Forte de
ce soutien, Livni a donné un discours très tranché : « Votre
rôle est de nous aider, mais laissez-nous faire sur le
terrain » ! Effectivement, peu importe la situation
catastrophique dans la bande de Gaza, plus personne n’évoque
le « nouveau mur de l’apartheid » ni la politique
expansionniste d’Israël.
Des questions
Faut-il y voir un virage de la politique européenne
vis-à-vis du Proche-Orient ? L’accord d’association entre
l’Union européenne et Israël signé en 1995 ne pose-t-il pas
comme condition le « respect partagé des valeurs
démocratiques et des droits de l’homme ? ». De quoi pousser
le Parlement européen à voter une résolution en 2002
exigeant la suspension de cet accord. Or, la réalité est
autre et l’Union européenne semble avancer sur ce processus
d’encouragement d’Israël à poursuivre ce même chemin de
violation.
Il suffit de citer quelques exemples : l’Europe est le plus
grand partenaire commercial d’Israël (lire page 5). 40 % des
importations et 30 % des exportations israéliennes sont
réalisées avec l’Union européenne. Ils sont liés par des
traités de libre-échange commercial et de politique
industrielle et bientôt par un accord de coopération
spatiale. Israël dispose déjà d’un statut de « membre
observateur » au Conseil de l’Europe, et participe à presque
toutes les manifestations européennes, comme le concours de
l’Eurovision. Et depuis 1991, les clubs israéliens
participent aux compétitions sportives européennes. Tel-Aviv
reçoit une aide européenne annuelle de 14 millions d’euros.
Une tentative d’explication
Parallèlement, le gouvernement français a signé avec Israël
un accord de reconnaissance mutuelle qui permet aux sociétés
israéliennes d’intégrer la Bourse française sans être
soumises aux vérifications de régulateurs. Cet accord
boursier pourrait être étendu à toute l’Union européenne. Le
militaire n’y échappe pas. Des programmes de
recherche-développement dans ce domaine ont été mis en
place. L’Otan a, de son côté, entériné un accord
renforçant et élargissant ses liens sécuritaires et
diplomatiques avec Israël. Cet accord permettra aux
Israéliens de coopérer plus étroitement avec l’Alliance dans
divers domaines, en particulier la lutte antiterroriste et
l’échange d’informations sécuritaires. Un tel accord devrait
accroître le nombre d’exercices militaires communs et
permettre de collaborer dans l’action contre la
prolifération des armes nucléaires. L’Union européenne
justifie souvent ce rapprochement avec Israël par le fait
qu’une amélioration des relations faciliterait sa mission
d’influencer Israël et sa politique vis-à-vis des
Palestiniens. Des liens plus étroits ne seraient destinés
qu’à encourager les protagonistes du conflit
israélo-palestinien dans leurs efforts de négociations de
paix. C’est du moins ce qu’a affirmé le porte-parole du Quai
d’Orsay, Eric Chevalier, au lendemain du rehaussement des
relations avec Israël. « Les ministres ont insisté pour que
cet approfondissement incite les autorités israéliennes à
faire plus pour améliorer les conditions de vie sur le
terrain (gel immédiat de la colonisation, ouverture des
points de passage vers Gaza, allégement des restrictions à
la circulation qui étouffent l’économie et entravent la vie
quotidienne des Palestiniens) et faire progresser le
processus de paix », a-t-il précisé. Et que veut dire «
insister » figurant ci-dessus ? Dire clairement les choses
(...). Il s’agit donc de rappeler les principes et de
continuer à réaffirmer la position politique de l’Union
européenne sur le processus de paix. Même son de cloche chez
le Tchèque Karel Schwarzenberg, qui a déclaré que le
renforcement de ces relations « ne sera pas uniquement de
l’intérêt d’Israël mais également à plus d’un titre de celui
du peuple palestinien ».
Des mots qui peinent à convaincre même les Palestiniens,
estimant qu’Israël doit d’abord faire davantage pour
résoudre la crise humanitaire et avancer sur le processus de
paix avant d’être récompensé. C’est-à-dire des signes
tangibles d’un changement politique d’Israël. Il semble
pourtant que l’Union européenne n’a pas été interpellée par
le contexte politique dans la région. Le vote du Parlement
européen pour la suspension de l’accord d’association ou
encore le report du vote du rehaussement n’ont finalement
qu’une portée symbolique. Alors que concrètement, l’Europe
pourrait user de cette carte et faire preuve de davantage de
fermeté envers Israël ; au moins au nom des principes de
droits de l’homme et du droit international qu’elle
véhicule. Mais l’UE fait plutôt preuve d’une divergence
importante entre rhétorique et pratique. Laïla Chahid,
déléguée générale de Palestine auprès de l’Union européenne,
souligne que l’UE « met Israël au-dessus du droit ». La
question se pose peut-être autrement, est-ce que l’Union
européenne veut vraiment avoir son mot à dire dans le
conflit israélo-palestinien ? A-t-elle une stratégie définie
dans ce sens ? Et le plus important, dispose-t-elle des
moyens adéquats pour apporter sa part face aux Etats-Unis,
et pas forcément dans le sens opposé ? Historiquement, le
conflit lui-même a été généré par une décision européenne
concernant la création d’Israël, suite à une bavure
également européenne qu’est l’holocauste. Oslo aussi,
rappelle-t-on, le premier accord isarélo-palestinien, voire
le seul intégral, c’était l’Europe. Madrid, c’est pareil.
Les Européens, pas l’Union européenne en particulier,
étaient les médiateurs qui ont réussi à décrocher ces
rencontres historiques. L’Europe continue à plaider pour des
partenariats assez larges entre Arabes et Israéliens, à
travers tantôt un processus de Barcelone, aujourd’hui
agonisant, tantôt par de nouvelles initiatives, à l’instar
de l’Union pour la Méditerranée, cherchant à promouvoir le
développement économique. Politiquement, l’Union a lancé le
Quartette, qui englobe aussi la Russie, les Etats-Unis et
les Nations-Unies. Le porte-parole de ce groupement pour la
paix au Proche-Orient n’est que « l’Européen », le
Britannique Tony Blair. Il est vrai, on ne l’entend pas
assez. Les envoyés spéciaux ou représentants, Miguel
Moratinos ou Javier Solana, n’ont vraiment rien changé à la
situation, mais il faut dire que l’Europe, si motivation
existe, pourrait changer les choses sur le terrain ; surtout
qu’elle n’a pas certainement intérêt à voir prédominer un
conflit à ses frontières sud-est. On parle au moins des
souffrances quotidiennes des Palestiniens, de leur situation
économique et encore du mur de la honte. A ce jour, la
situation catastrophique à Gaza, par exemple, ne semble pas
émouvoir les Européens. Bien au contraire ! L’Etat israélien
continue à bénéficier d’une immunité absolue. La Commission
européenne n’a pas eu honte de célébrer les 60 ans de
l’occupation de la Palestine, ou de la création d’Israël.
Les fonds alloués aux Palestiniens ont été bloqués depuis la
victoire du Hamas aux législatives et les observateurs
européens se sont retirés du point de passage de Rafah pour
punir les Palestiniens pour leur choix démocratique. On dit
souvent que l’Union européenne a une marge de manœuvre
limitée, due aux approches divergentes de ses Etats membres,
ainsi est-elle passée de « pro-arabe » à « pro-israélien ».
Ce clivage européen bloque alors tous ces moyens d’action et
du coup, elle s’est affaiblie aux yeux des Palestiniens et
des Israéliens à la fois. Les plus pragmatiques avancent
qu’elle n’est pas en mesure de concurrencer Washington qui
simplement détient toutes les ficelles du jeu.
Samar
Al-Gamal