Comédienne, metteuse en scène, productrice et fondatrice de
la compagnie Moderne en Jordanie,
Magd Al-Qassas est une
artiste de théâtre accomplie. Avec sa récente création Blanc
et Noir, elle est en tournée dans le monde arabe.
Militante sur les planches
Coquette et posée. La voix, la gestuelle sont des éléments
intégrants du théâtre physique prôné par Magd Al-Qassas.
Présente au dernier Festival du théâtre expérimental, elle a
présenté sa toute dernière mise en scène Blanc et Noir où
elle soulève à travers huit sketchs les divers maux du monde
arabe. Il n’y était plus question d’évoquer la cause
palestinienne, la crise iraqienne ou les conflits
interarabes. Magd parle franchement de la guerre. Son
message est plutôt universel. « C’est ma quatrième
participation officielle au Festival du théâtre
expérimental. Les critiques jugeaient souvent mes créations
comme élitistes, surtout avec Lear le soufi ou Le Masque. Au
cours des éditions précédentes, j’ai quand même attiré une
certaine audience ». Les deux performances cairotes furent
largement applaudies et une troisième fut donnée pour
satisfaire la foule dense réunie devant la salle. « En
regardant les différents spectacles, je découvre de
nouvelles significations et de nouveaux éléments qui
enrichissent mon imaginaire. Les jeunes créateurs arabes
tombent dans le piège d’imiter aveuglément les spectacles
étrangers sans pouvoir communiquer avec le public »,
déplore–t-elle.
Magd Al-Qassas fume sa cigarette à grande bouffée et ajoute,
non sans enthousiasme : « Le problème avec ce genre de
festival est qu’il se situe loin du cadre académique. Il y a
un grand écart entre ce que l’on étudie à l’Académie des
arts et l’évolution théâtrale des 10 dernières années. Il
faut tout reformuler et présenter l’étonnant ». Sa voix
change d’intonation, ses mains traduisent ses émotions …
Magd Al-Qassas use toujours le langage du corps.
Le théâtre, elle l’a dans la peau. Et déjà à quatre ans,
elle jouait le rôle du lapin sur les planches de son école
catholique. « Ma mère se plaignait souvent parce que je
n’étais pas une fille sage. Méfie-toi, me disait-elle. Si tu
veux jouer dans la pièce de fin d’année, tu dois être polie
», raconte-t-elle avec humour, imitant sa mère. « Je me
forçais à avoir de bonnes manières toute l’année afin de
pouvoir jouer sur scène ».
Au cycle secondaire, ce petit lapin devint plutôt un
caractère humain. Magd Al-Qassas, malgré sa beauté et sa
fragilité de jeune fille, a remplacé un élève malade et
devait jouer un personnage comique. « J’ai raccourci mon
pantalon, j’ai mis un tarbouche et dessiné des moustaches.
J’ai changé de voix, etc. Dès mon apparition sur scène, les
éclats de rire se déchaînaient. Mes professeurs disaient à
ma mère : voici une star prometteuse. Et elle ne prenait
jamais leurs mots au sérieux. Au contraire, elle se moquait
de moi, du garçon manqué et burlesque que je fus ».
Malgré sa passion pour le théâtre, cette jeune originaire de
Naplouse (Palestine) aspirait plutôt à devenir une militante
et non pas une actrice. Magd Al-Qassas se vante d’appartenir
à la génération des années 1960. Elle a eu la chance aussi
de s’ouvrir aux idées nassériennes dès l’âge de 10 ans. Elle
le dit ouvertement : « Notre génération est le symbole de la
dignité arabe, du militantisme et du nationalisme ».
En 1975, elle joignit la faculté des sciences politiques
pour libérer la Palestine ! « Ne vous moquez pas de moi,
prie-t-elle. J’étais encore romantique. Je pensais qu’à
travers mes études, et avec des jeunes de mon âge, on
pouvait faire quelque chose pour libérer le pays. Des
rencontres, des réunions, des négociations … Tout me
paraissait possible », dit-elle sur un air nostalgique.
Des mois plus tard, l’artiste jordanien Zoheir Al-Noubani
faisait une audition pour choisir des jeunes comédiens pour
une pièce de théâtre. Magd a été sélectionnée et quelques
mois après, elle a été embauchée comme comédienne au Théâtre
national jordanien, jouant deux pièces par an contre 17
dinars. Un salaire qui ne tarderait pas à atteindre 30
dinars.
Belle et jeune, Magd Al-Qassas a joué avec des comédiens
jordaniens et égyptiens dans des feuilletons télévisés. Mais
le théâtre a toujours constitué pour elle quelque chose à
part. « Evidemment, j’étais diplômée de la faculté des
sciences politiques sans libérer la Palestine »,
réplique–t-elle en riant. « Mais j’ai appris que le
militantisme se faisait de plusieurs façons. Des gens
militent par l’écriture, le chant … Et au théâtre, j’ai
choisi de défendre les valeurs esthétiques et de militer non
seulement pour la Palestine, mais aussi pour le monde arabe
», estime Magd avec beaucoup de dévotion. En fait, ses
spectacles témoignent de sa position politique, de sa
condamnation de la guerre et de son esprit révolutionnaire :
Lear soufi, Macbeth, etc.
La nouvelle vie professionnelle de comédienne a émerveillé
la jeune universitaire. Mais sa mère, assez conservatrice,
se méfiait de l’atmosphère artistique dans laquelle allait
plonger sa fille. Comment, dans cette société arabe et
masculine, Magd peut-elle devenir actrice ? Qui donc
voudrait l’épouser ?
Dans tout cela, son père a été un vrai soutien. Il
encourageait sa fille à jouer en disant : « Je veux que tu
sois Faten Hamama de la Palestine ».
Son deuxième époux, Talal, constitue lui aussi un autre don
du ciel. Architecte et homme de lettres, il est le critique
dont Magd apprécie l’opinion. Leur histoire d’amour ? Elle
n’en parle pas trop. Mais elle se félicite d’avoir un mari
aussi cultivé et ouvert d’esprit. Puis résume en quelques
mots : « Je ne sais pas ce qui s’est passé, il est tombé
amoureux de moi ».
Al-Qassas décide d’étudier la mise en scène à l’âge de 40
ans. « J’ai découvert qu’en travaillant avec des grands
metteurs en scène, je deviens obéissante comme une bonne
élève. Mais je suis à l’origine comédienne et je veux jouer
dans divers spectacles. Je n’ai pas toujours eu la chance de
travailler avec de grands noms. Avec les autres metteurs en
scène qui sont moins forts, j’interviens beaucoup dans la
mise en scène ». En 1999, étudier la mise en scène est
devenu pour elle un désir impérieux. « Je participais à un
spectacle dont le metteur en scène s’absentait souvent. Nous
avions signé des accords avec le Festival de Garach et
diverses salles de spectacle. Il fallait donc que le
spectacle voie le jour. J’ai tout fait. Les journaux
décrivaient la beauté de la mise en scène. Sur les affiches,
je ne pouvais pas mettre mon nom parce que je n’étais pas
académicienne ni membre du syndicat des artistes ».
Magd a toujours été une femme avide de savoir et n’éprouvait
aucun embarras quant à assister aux cours théâtraux avec les
jeunes étudiants de l’Université Yarmouk. « C’était une
grande joie », dit-elle. Une fois diplômée, elle fut nommée
pour une bourse d’études à Londres. Mais faute de moyens,
elle l’a perdue. « Pour pouvoir voyager, il fallait mettre
en crédit une maison, un appartement. Ma maison d’origine
est en territoires occupés. J’ai emprunté à ma mère 5 000
dinars, à mon mari 5 000, à la Banque 12 000. Et l’attachée
de communication auprès du ministère de la Culture a pu
rassembler 5 mille dinars. J’ai choisi de faire une étude
intensive d’un an ».
Au départ, Magd Al-Qassas conciliait difficilement les
études et la solitude. Un jour, son professeur anglais lui
dit : « Magd, tu dois venir ici comme une feuille de papier
blanc. Oublie tes soucis, ne retiens du passé que ton savoir
et ton expérience professionnelle. Tout va bien se passer ».
De retour, Al-Qassas gagne plus de crédibilité parmi les
responsables et hommes du théâtre. Aujourd’hui, elle défend
encore son théâtre ainsi que ses créations et réussit à
obtenir les subventions nécessaires. « Depuis les années
1990, je produis mes pièces de théâtre. Je suis productrice,
et une très bonne mendiante », rigole-t-elle. « C’est vrai,
jusqu’à présent, je cherche à obtenir de l’argent des
organismes officiels. J’ai un projet que je sais bien
défendre. Au départ, j’emprunte de l’argent à ma famille,
mes amis et j’ai eu recours à des crédits bancaires. De
retour à Londres, mon mari m’a dit : ça suffit. Aujourd’hui,
tout ce que je gagne du théâtre, je le dépense pour évoluer
et monter d’autres spectacles. Je n’ai pas fait de fortune,
mais je suis fière de mes 55 spectacles ».
En Jordanie, avant de jouer en public, elle revisite les
planches. « Je sens à ce moment que les planches deviennent
un cheval fougueux. Je lui parle en disant : c’est moi qui
vais te guider, je ne te permets pas de me rejeter ». Magd
relève le défi. Pourtant, elle avoue avoir un penchant pour
la mise en scène. Car, selon elle, le metteur en scène
contrôle tout, le jeu des comédiens, l’éclairage, la
scénographie … « C’est une autre joie ». En jouant sur
scène, ou en faisant la mise en scène, elle ne craint rien.
« Les toutes premières cinq minutes sont les plus
effrayantes. Je m’interroge : comment le public va me
recevoir ? Va-t-il accepter ma nouvelle perspective ? ». Dès
qu’elle entend les applaudissements des spectateurs, elle
retrouve son salut. « Le théâtre m’a fait vivre un grand
amour qui ne cesse de se renouveler », souligne-t-elle avec
gratitude.
May
Sélim