Bourse.
La chute de la Bourse égyptienne, formée en grande partie de
petits porteurs, a bousculé la vie de beaucoup de familles.
On a enregistré 3 morts, sans compter ceux qui, sous le choc
des grosses pertes, ne savent plus comment s’en sortir.
Rêves fracassés
Obsédé
par le rêve de faire fortune, Mohamad Atta, 45 ans, un
enseignant originaire du village de Maghagha, au gouvernorat
de Minya (à 300 km du Caire), a décidé d’investir l’argent
qu’il a économisé durant de longues années en Bourse. Ayant
goûté à la prospérité de la Bourse, cette fois, ce fût la
déchéance. Il a tout perdu. Mohamad Atta demande donc à sa
femme Howayda, 40 ans, de l’aider à subvenir aux besoins de
la famille. Mais celle-ci refuse catégoriquement. Une
discussion violente éclate entre le couple. La tension
monte. Mohamad se dirige vers la cuisine, saisit un couteau,
poignarde sa femme et sa fille de 16 ans et brûle leurs
cadavres avant de se donner la mort. Un drame qui a mis fin
à une vie conjugale qui a duré plus de 17 ans.
L’indicateur de la Bourse est en chute continue, annonçant
pour certains la grande faillite et pour d’autres le choc
mortel. La police a enregistré, au cours de ces dernières
semaines, 3 cas de décès, dus au fléchissement de la Bourse
(deux suicides et le troisième par crise cardiaque). La
tendance est mondiale, l’OMS a ainsi lancé cette semaine un
signal d’alarme craignant que le nombre de suicides et de
dépressions nerveuses augmente suite à ce « tsunami
financier » qui a secoué les institutions financières dans
le monde.
Les journaux ont aussi rapporté le cas de ce citoyen
américain, semblable à l’égyptien. Agé de 45 ans, il a
retourné l’arme contre lui après avoir tué cinq membres de
sa famille et ce pour avoir tout perdu en Bourse.
L’ambiance est tendue à la rue Al-Charifeine, siège de la
Bourse, et les nerfs sont à fleur de peau. Dans le café d’Al-Borsaguiya,
le krach boursier a bouleversé tout le monde. C’est là où se
retrouvent particuliers, courtiers et traders. « Pour les
petits investisseurs, la Bourse égyptienne a été la seule
lueur d’espoir dans un marché qui reste le monopole des
puissants », explique Mohamad, 40 ans, comptable. Ce dernier
vient de perdre 650 milles L.E. à la suite de cette crise
boursière. « J’ai travaillé durant 6 ans en Arabie saoudite
où j’ai pu économiser une bonne somme d’argent. De retour au
pays, je n’ai pas réussi à investir mon argent dans un
projet », avance Mohamad. Il ajoute que le prix de
l’immobilier était inabordable et pas à la portée de tout le
monde. « Je voulais monter un projet et pour cela, il
fallait verser des pots-de-vin, des sommes énormes que je ne
pouvais me permettre, en plus des papiers que cela demande
et les lenteurs bureaucratiques. La Bourse a été pour moi la
seule solution pour gagner de l’argent et rapidement »,
poursuit Mohamad, 40 ans qui a pu, grâce à l’argent gagné en
Bourse, s’offrir un appartement plus spacieux et inscrire
ses enfants dans une école internationale (où le coût des
frais de scolarité s’élève à 30 000 L.E.).
« Mon revenu atteignait les 18 mille L.E. quand la Bourse
était en prospérité ». Aujourd’hui, Mohamad doit faire très
attention à son budget, car il n’a plus d’autres ressources
que son salaire de comptable qui ne dépasse pas les 1 500
L.E. « Je devrai changer l’école de mes enfants et vendre
l’appartement pour pouvoir rembourser mes dettes », dit-il
avec amertume.
Une déception qui se lit sur le visage de beaucoup de
particuliers, attablés dans ce café. Saad, 63 ans, à la
retraite et père de trois enfants, confie que face aux
pensions très modestes (950 L.E., tel est la pension maximum
+10 % augmentation annuelle), la Bourse a été la dernière
bouée de sauvetage pour un homme de son âge. Il a misé 100
mille L.E. en Bourse, une somme qu’il a rassemblée après 36
ans de dur labeur. « Les chances de travail sont très
limitées pour un retraité. Commencer une carrière à 60 ans
n’est pas souvent une chose facile, surtout que la santé
n’est pas bonne comme autrefois. Avec une somme de 100 mille
L.E., la Bourse m’a donné l’espoir de rêver pour pouvoir
préparer le trousseau de ma fille et garantir l’éducation de
mon petit-fils », ajoute Saad. Mais la chute était
désastreuse. Le prix de ces actions baisse de 100 à 9 L.E.
Il perd plus de 90 % de son capital.
La mélancolie s’observe partout. Malgré les efforts déployés
pour compenser les pertes, l’issue paraît encore vague et
sombre. Mohab, ingénieur de 35 ans, assure qu’il a fait tous
ses biens pour éviter la perte et pour tenter de comprendre
les labyrinthes de la Bourse, mais en vain. « Mon
portefeuille compte des actions de plus de 10 entreprises.
J’ai essayé de tisser des relations avec les courtiers, de
fréquenter le café et d’essayer de faire des connaissances
dans les grandes sociétés pour apprendre la règle du jeu.
Cependant, je viens de perdre une somme de 400 mille L.E.,
tout mon héritage », lance-t-il désabusé.
L’économiste Samer Soliman assure que les petits porteurs
constituent une partie importante de la Bourse égyptienne.
Et ce sont les premiers à avoir payé le prix de cette chute.
Armés du rêve de devenir riches, ces derniers ont oublié que
la Bourse est un jeu où les gros poissons engloutissent les
plus petits. Ce jeu a besoin d’un expert en la matière,
habile et futé, ayant toutes les informations nécessaires
pour prédire et lire les fluctuations du marché. Des atouts
que beaucoup ne possèdent pas en Egypte. Il arrive parfois
que des économistes chevronnés ne fassent pas preuve d’une
grande prévoyance. Ces petits porteurs, surtout ceux qui ont
réalisé de gros bénéfices, oublient parfois qu’il s’agit là
d’une question de perte et de profit. Ils se réjouissent de
leur victoire et continuent d’agir avec imprudence et
cupidité, croyant toujours pouvoir tirer de gros profits.
Et de la rue Al-Charifeine à la rue d’Al-Matbaa au quartier
des Pyramides, la scène est la même. Là encore, la Bourse a
fait une nouvelle victime. Abou-Hicham, 56 ans, a mis fin à
sa vie. Toute la rue est en deuil. Impossible pour les
médias de couvrir cet événement tragique. Quelques voisins
ont même lancé des remarques sur un ton acerbe pour arrêter
les journalistes qui veulent « s’imposer à chaque fois dans
ce genre de drames », estime un habitant du quartier.
« Il faut respecter la douleur de cette famille qui vient de
perdre à la fois son patriarche et tout son argent »,
susurre un autre. Quant à la famille, elle refuse de parler
ou de recevoir quiconque. Elle s’est contentée d’alerter la
police et de déclarer à plusieurs reprises que « c’est la
volonté de Dieu ». Mais l’histoire a défrayé la chronique.
Et tout le monde en parle. Abou-Hicham, commerçant
d’appareils électroménagers, est revenu du Koweït où il
s’est fait une petite fortune. Il a vendu son magasin et a
décidé d’acheter des actions en Bourse. Mais cette fois, la
chance ne lui a pas souri comme à son habitude. Il a perdu
en une semaine 200 mille L.E. Abou-Hicham, père de 3
enfants, fait une dépression, s’enferme une journée entière
dans un appartement mitoyen au sien et qu’il a loué. Le
lendemain, sa femme le retrouve pendu à une corde. «
Abou-Hicham était une personne normale. On a du mal à croire
qu’il ait pu se donner la mort. Il n’était pas tellement
riche pour pouvoir surmonter une aussi grosse perte et
tout recommencer à zéro », témoigne un voisin.
Le psychiatre Walid Abou-Hindi, qui travaille souvent avec
les victimes de la Bourse, estime que ce n’est pas la
première fois que l’Egypte fait face à une crise pareille. «
Lors de la baisse des actions de la Cité de la production
médiatique avec l’aube du troisième millénaire, les cas de
dépression ont enregistré un chiffre record », confie le
psychiatre en ajoutant que la personne qui investit tout son
argent en Bourse possède une psychologie assez particulière.
Généralement, ce genre de personnes aime le goût du risque,
mais n’admet pas la défaite. Et ce qui complique la
situation, c’est qu’aujourd’hui et avec les conditions
difficiles que connaît le pays, il n’est pas facile de se
relever après un tel choc.
Dina
Darwich