Soutien Pédagogique.
Eviter le retard scolaire en formant des classes au sein de
l’hôpital 57357 permet aux enfants atteints de cancer de ne
pas rater l’année scolaire. Cette initiative, prise par une
école privée, MSE, est d’un grand secours pour ces malades.
Visite.
Guérir, réussir : le double pari
Il
est 10h30 du matin, Amr, professeur d’arabe, commence par
pointer avant de retirer son agenda de son cartable pour
revoir son emploi du temps. Un programme adapté aux
conditions de chaque élève. Aujourd’hui, Amr doit donner
deux cours au deuxième étage, un autre au quatrième et deux
au cinquième. Ses cinq élèves sont de différents cycles
scolaires. Guidé par une infirmière, il note leurs numéros
de chambre. En fait, cet enseignant n’est pas là pour donner
des leçons particulières, mais un cours normal sauf qu’il a
lieu à l’hôpital 57357 des enfants cancéreux. Avant de
pénétrer dans chaque chambre, Amr applique un masque sur son
visage, une mesure de précaution, car les malades qui
suivent des cures chimiothérapiques sont particulièrement
vulnérables aux infections. Dès qu’il apparaît, Hind, toute
pâlotte, lui esquisse un sourire effacé. Cette fille, âgée
de 12 ans, l’attend avec impatience chaque jour, malgré sa
souffrance. La main immobilisée par un cathéter, Hind a du
mal à ouvrir les yeux ; pourtant, elle a préparé ses livres
pour prendre son cours. A ses côtés, sa maman, qui surveille
le flux du liquide passant dans les veines, se presse pour
relever son lit. D’une voix douce, le professeur commence
par expliquer la leçon avec des mots simples. Soudain, Hind
a envie de vomir. Sa maman se presse pour lui tendre un
sachet en plastique.
Etudes à la carte
Comprenant
son malaise, le professeur arrête son cours qui normalement
doit durer 45 mn, seulement aujourd’hui, il ne dépassera pas
les 15 mn. « Les enfants atteints de cancer sont de vrais
combattants. Tous les jours, ils doivent faire face à leur
thérapie, un traitement lourd avec des effets secondaires.
Cependant, le maintien d’une scolarité, malgré les séances
de chimiothérapie et leurs conséquences, est nécessaire à
leur équilibre psychologique.
Une scolarité aménagée à la carte durant laquelle l’élève
essaie d’oublier temporairement ses souffrances, en
transformant le milieu hospitalier en lieu d’apprentissage,
car apprendre c’est aussi continuer à grandir », explique
Amr, incapable de porter son regard sur cette fille qui sait
déjà ce que c’est la souffrance. Et d’ajouter : « Durant mes
visites à l’hôpital, j’ai remarqué la détresse des parents
en apprenant que leur enfant est atteint par cette maladie
grave. Désespérés, ils se demandent si leur enfant va
pouvoir être sauvé. Quant à l’enfant, il se pose d’autres
questions : comment va-t-il dormir, combien de jours va-t-il
manquer l’école et comment va-t-il rattraper son retard ? Il
est soulagé quand il comprend que des solutions pratiques
lui sont proposées. L’atmosphère familiale et détendue de la
classe rassure les parents qui sont associés aux moments
scolaires ».
En effet, Amr n’est qu’un professeur parmi d’autres nommés
par la Modern School of Egypt (MSE) pour donner des cours
spécialement aux enfants cancéreux et hospitalisés et les
aider à poursuivre leur cursus scolaire. Selon Rafida Askar,
PDG, cette école privée fait fonction de soutien
pédagogique. Son rôle ne s’arrête pas aux élèves qui la
fréquentent, d’où est venue l’idée de réajuster les
modalités d’apprentissage et d’aider l’enfant à gagner le
double pari, celui de guérir et réussir. « Quand leur état
le permet, ces enfants hospitalisés ont très envie de
reprendre leur train de vie normal et de prendre le chemin
de l’école. Ce système d’enseignement dynamise l’enfant et
sa famille et lui permet de vivre et supporter ces mois
difficiles », souligne-t-elle, tout en ajoutant qu’il faut
éviter que cette épreuve douloureuse fasse basculer sa vie.
Cependant, les absences scolaires, bien que variables en
fonction du type de tumeur et du traitement médical, sont
inévitables pendant le traitement et demeurent un grand
problème. D’ici est née l’idée de ramener des enseignants
compétents, indépendants de notre école MSE et détachés de
l’éducation officielle, au chevet de ces enfants malades.
L’objectif étant d’éviter à ces enfants de redoubler ou de
se détacher de l’école et de leur permettre une réinsertion
rapide à la fin du traitement, d’être sans cesse tournés
vers des projets, et donc vers l’avenir.
Or, l’initiative d’aider ces enfants malades n’est pas la
première en son genre, puisque la collaboration entre MSE et
l’Institut des tumeurs a commencé depuis longtemps bien
avant la construction de cet hôpital situé au quartier de
Sayeda Zeinab. Toute une équipe de bénévoles et de
professeurs sont impliqués et veillent au bien-être de ces
enfants. Ils visitent souvent ces malades. Et pour leur
rendre le sourire, ils organisent des activités qui leurs
sont spécifiquement dédiées. « Nous avons aussi proposé au
Dr Chérif Aboul-Naga, directeur de l’hôpital, de réserver
une salle à l’Institut national du cancer : une salle de
rêves, pleine de jouets, où les enfants peuvent s’amuser et
se distraire en oubliant leur maladie. Une salle qui n’a pas
vu le jour à l’institut faute de places. Pourtant, dans ces
nouveaux locaux, on a aujourd’hui l’occasion d’aider ces
enfants et de leur fournir tout le matériel nécessaire :
professeurs et livres », raconte Rafida, la directrice.
Il est midi. Amr a fini ses cours avec les enfants qui ne
peuvent pas se déplacer de leur chambre. Il a rendez-vous
maintenant avec d’autres élèves, et cette fois, dans une
classe, toujours à l’hôpital. Des cours qui ont lieu à la
bibliothèque de chaque étage et qui s’est transformée, pour
l’occasion, en un espace d’études. Le décor est magnifique
avec des murs bariolés de dessins d’enfants, des portes
peintes en rose et des baies vitrées qui donnent sur une
terrasse. L’objectif étant de dépasser l’aspect froidement
clinique d’une chambre d’hôpital, totalement inapproprié au
séjour de jeunes enfants qui ont à subir au quotidien un
traitement lourd. Mais pourquoi une classe au sein de
l’hôpital ? « La classe est un lieu qui permet à l’enfant de
sortir de l’ambiance macabre de la chambre, des soins et des
consultations », souligne Rola, une des bénévoles dépendant
de l’école. Ces petites classes médicalisées accueillent
entre trois et six élèves et ont pour objectif de maintenir
leur niveau scolaire. Une initiative très appréciée par les
élèves, aussi par les parents. Mona, mère de Sarah, âgée de
14 ans et souffrant d’une leucémie, confie que la maladie de
sa fille a bouleversé tout son univers. Elle a décidé d’y
faire face malgré ses moyens modestes. Sarah a dû abandonner
l’école, car elle s’absentait fréquemment. « C’est un
véritable bouleversement physique et émotionnel que les mots
ne peuvent pas exprimer. La détresse et la peur nous ont
touchés moralement et financièrement. Mais grâce à ces
enseignants, ma fille a aujourd’hui l’espoir de guérir et de
réussir à l’école », explique-t-elle, tout en ajoutant
qu’elle ne verse aucun sou à ces professeurs. Quant à sa
fille, elle est heureuse de trouver quelqu’un qui puisse lui
expliquer et lui faire réviser ses leçons. « En plus des
traitements qui sont durs, j’avais souvent envie de vomir à
cause de la chimiothérapie. De plus, j’étais séparée de mes
amis, de ma classe et de mon entourage. Non seulement mon
corps est malade, mais aussi mon âme. J’étais d’humeur à ne
rien faire. Je voulais juste que tout se termine, mais cela
me poursuivait toujours : les douleurs, la souffrance et la
solitude. Ces cours m’ont permis d’oublier un peu. Je n’ai
pas le temps d’avoir mal. Ici, je suis heureuse, je ne me
sens pas différente et je n’ai pas honte de n’avoir plus de
cheveux sur la tête », dit-elle.
Amr rencontre son collègue Mohamad, qui enseigne les
mathématiques, mais il n’a pas le temps de discuter avec
lui, car il a cours au quatrième étage. Trois élèves du
cycle préparatoire l’attendent impatiemment. Assis autour
d’une longue table avec chacun son dispositif à perfusion.
Etre malade ne les a pas empêchés d’apprendre et de réviser
leurs leçons. Ces enfants sont souvent accompagnés par leurs
mamans. « Ils viennent de loin pour un long séjour à
l’hôpital, souvent plusieurs mois, parfois des années.
Arrachés de leur monde familier, coupés de ceux qu’ils
aiment et de leurs amis, à des centaines de km de chez eux,
ils luttent contre la maladie, supportant les terribles
souffrances physiques. Qui pourrait prendre la place d’une
maman, dont chaque fibre ressent les douleurs de son enfant
? », précise Miss Azza, responsable de cet étage. Tout en
expliquant la leçon, Amr tient à suivre chaque élève pour
savoir s’il assimile correctement ou pas. Une heure plus
tard, il remarque que ses élèves sont fatigués, il termine
son cours, mais n’oublie pas de leur donner un petit
exercice ou une petite révision.
Et la même scène se répète jusqu’à la fin de la journée
scolaire. Une journée qui se termine à 16h et qui, de temps
à autre, est interrompue à cause d’une séance de
chimiothérapie ou de radiothérapie. Pourtant, ces cours
particuliers sont destinés non seulement aux malades qui ne
peuvent pas quitter l’hôpital, mais aussi à ceux qui
reçoivent des soins ambulatoires. « Nous soignons des
enfants pour lesquels la vie continue malgré la maladie.
Tous les matins, ils sont incités à se lever, à s’habiller,
à vaquer à leurs occupations : jouer, travailler et saisir
l’opportunité des activités comme les ateliers de musique ou
d’écriture … Les couloirs reflètent ces moments, il y a de
l’animation, de la vie. Même si le besoin de détente n’est
pas oublié. A chaque instant, ces enfants ont la force de
puiser une part de rêve, ils profitent de la vie. Ils ne
restent pas dans l’attente d’un soin ou du passage du
médecin. Au contraire ! Et c’est à nous de nous adapter à
leur emploi du temps », conclut le Dr Nermine Abdel-Salam,
responsable du groupe de bénévoles.
Chahinaz Gheith