Al-Ahram Hebdo,Nulle part ailleurs | La pêche miraculeuse
  Président Morsi Attalla
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 26 novembre au 3 décembre 2008, numéro 742

 

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Nulle part ailleurs

Pisciculture. Pour la première fois à l’oasis d’Al-Farafra, dans la Nouvelle Vallée, un projet d’élevage permet aux habitants de goûter aux poissons frais. Cette initiative, lancée par l’Association caritative de la mosquée de Moustapha Mahmoud, a été une véritable réussite. Reportage. 

La pêche miraculeuse 

Aujourd’hui, c’est une journée exceptionnelle à l’oasis d’Al-Farafra. Tôt le matin, les habitants ont commencé à affluer vers le lac artificiel. Apparemment, personne ne veut rater l’événement. L’ingénieur court dans tous les sens et montre aux habitants de Aïn Al-Chaga comment lancer et fixer le grand filet au fond du lac. « Tenir le haut du filet d’une main, de l’autre, ancrer le bas à quelques mètres du sol. Mettez-vous en rang, espacés autour du filet, et avancez en ligne droite tout le long du bassin », lance Nagwa Ibrahim, ingénieur et spécialiste en pisciculture. Les pêcheurs, très attentifs, suivent ses moindres gestes. Les yeux rivés sur l’étendue d’eau, les habitants implorent Dieu pour que cet effort soit récompensé. Les femmes, vêtues de leurs tobs (robes) brodés et tenant des ustensiles à la main, attendent le fruit de cette pêche. Quant aux enfants qui n’ont jamais vu de poissons frétiller dans l’eau, ils ne tiennent pas en place. Ils veulent participer à la manœuvre et demandent à tenir un bout du filet. Les premières tentatives commencent. Le filet est remonté lentement avec des mouvements précis, comme si quelqu’un était en train d’explorer un champ de mine. Des caméras sont braquées sur les pêcheurs, en pleine action. Le souffle coupé, chacun attend cette pêche miraculeuse. Une tâche qui semble pour eux bien plus ardue que celle de chercher de la poudre d’or dans une mine. Les pêcheurs doivent toucher le fond du lac afin de capturer une grosse quantité de poissons. C’est le moment fatidique. Le filet apparaît, tout le monde crie : « Allah Akbar ». Des youyous fusent de partout. Fous de joie, les hommes s’agenouillent pour embrasser la terre et remercier Dieu. Ils courent chercher des caisses. Une, deux, trois, quatre … dix. Des dizaines de caisses se remplissent de poissons et les habitants ont du mal à y croire. Les poissons frétillent entre leurs mains. Des poissons fraîchement pêchés avec des branchies rouges, des yeux bombés, une peau bien luisante, un corps rigide et une chair blanche nacrée. « Est-ce vraiment un rêve ou une réalité ? C’est bien la première fois à Farafra, et dans toute la Nouvelle Vallée, que nous avons du poisson frais. J’en ai consommé une ou deux fois lorsque je descendais au Caire, quant à mes enfants, ils n’y ont jamais goûté », dit Mohamad Hussein, un des habitants et chef du conseil populaire central de la ville, tout en ajoutant que rares sont les habitants qui consomment du poisson, et si on en trouve, il est congelé. Il en arrive d’Assiout à 750 km, ou du Caire à 600 km. La radio du sud de la vallée annonce la bonne nouvelle, qui se répand comme une traînée de poudre. Un événement sans précédent dans cette oasis où la joie est indescriptible. La fête va durer deux jours, le temps de pêcher suffisamment de poissons. Un résultat inattendu : 1 800 kg de poissons frais seront distribués aux habitants.

En effet, ce rêve, qui continue de captiver les habitants, a fleuri à l’oasis de Farafra, située à 600 km du Caire, et enfouie dans les sables du désert Occidental, et plus précisément à la région Aïn Al-Chaga (tristesse), baptisée aujourd’hui Aïn Al-Hana (la joie). Tout a commencé lorsqu’une caravane de bénévoles dépendant de l’Association de la mosquée Moustapha Mahmoud est passée par cette région pour offrir ses services. Pendant leurs investigations, les membres de la caravane éprouvent de la compassion pour ces gens démunis qui souffrent du manque d’eau, un problème endémique de la population. Ils décident donc d’aider ces personnes en difficulté et d’améliorer leurs conditions de vie en leur creusant un puits. Quelques mois plus tard, l’eau a commencé à jaillir à grands flots et les habitants ont pu cultiver 150 feddans de blé. Cette région qui a été touchée par la sécheresse et désertée par ses habitants s’est transformée en un tapis verdoyant. « Ce n’est pas de leur faute si ces gens sont pauvres. Notre rôle est de les aider à mener une vie plus décente et d’œuvrer pour leur bien. Cela nous procure l’énergie de travailler et d’avancer dans la vie dans un état de juvénilité permanente », commente le Dr Ahmad Adel Noureddine, vice-PDG de l’Association de la mosquée de Moustapha Mahmoud et conseiller de la commission sociale. Ses yeux pétillent de joie lorsqu’il raconte comment il a bouleversé leur existence pour que la génération à venir ait une vie meilleure. Et d’ajouter : « J’ai pu ressentir l’austérité de la vie et j’ai été touché par leur souffrance et leur quête continue de l’eau. D’ici, de nouveaux projets ont été donc mis sur pied, tels que l’implantation des palmiers-dattiers et la construction d’un lac artificiel pour la pisciculture ». Cet homme, à l’allure très dynamique, a tissé des liens avec les Farafariens qui s’agrippent à l’espoir qu’il leur fournit. Il a remarqué qu’il n’existait aucune ferme piscicole qui offre aux habitants des poissons frais. Une étude faite par le dermatologue Ihab Younés assure que les enfants de l’oasis souffrent de beaucoup de maladies de la peau à cause du manque de l’iode, qui influe sur leur peau. Et cet iode, qui se trouve dans les poissons, n’arrive pas à la région. « L’iode est un oligo-élément indispensable à la fabrication des hormones thyroïdiennes. Ces hormones sont extrêmement importantes au stade du fœtus (formation du système nerveux), lors de la puberté et d’une manière générale tout au long de notre vie. Il faut donc manger du poisson au moins deux fois par semaine, notamment pour ses apports en oméga 3. Lorsque l’alimentation apporte trop peu d’iode, la thyroïde grossit et un goitre se forme. La carence en iode aboutit à une hypothyroïdie (fatigue, déprime, trous de mémoire, prise de poids …) », souligne le Dr Ihab. Mais une importante question s’impose sur scène : n’a-t-il pas eu quelqu’un dans la Nouvelle Vallée, qui constitue à peine 45,8 % de la superficie de l’Egypte, qui ait eu l’idée ou s’est intéressé pour créer une ferme piscicole et combler le manque de poissons dont souffrent ces habitants ?

 

Une fête sans pareil

D’après les responsables, la réponse est que plusieurs tentatives ont été faites, mais toutes ont été vouées à l’échec. Et c’est là que commencent une autre histoire et un autre rêve. Faire de la pisciculture en plein désert dans une haute température, qui atteint pendant l’été les 60 degrés Celsius, avec le grand taux de fer existant dans l’eau, cela relève de vrais défis. « Sans oublier encore la longue distance pour transférer les appâts (nourriture des poissons) des gouvernorats de la Basse-Egypte à Farafra ainsi que le manque du personnel compétent pour l’élevage du poisson, étant donné que les habitants de Farafra ne connaissent que l’agriculture et l’élevage, et ignorent tout sur la pêche », explique le Dr Ahmad Adel. Des raisons pour lesquelles il a été décidé de concevoir un bassin ou lac artificiel comme échantillon, afin de réduire les coûts de dépense, au cas où cette tentative serait vouée à l’échec. En avril 2008, l’association a acheté 10 000 alevins de Bolti ou carpe du Nil qui seraient jetés à l’eau. Cette espèce de carpe supporte la chaleur. Depuis ce jour, le rêve a commencé à grandir chez les habitants qui n’ont cessé de visiter quotidiennement le lac. « Bien que l’on ait pu voir quelques poissons flotter à la surface, qu’on leur donnait à manger, on ne pensait pas réussir dans ce projet et goûter enfin des poissons frais, pêchés à la Nouvelle Vallée », souligne Al-Hag Saïd Ahmad, un des habitants. Cependant, à force de combativité et de croyance ferme et grâce aux efforts déployés par les bénévoles, à commencer par les ouvriers jusqu’aux spécialistes et même les habitants, cela a permis de franchir toutes les étapes difficiles et surtout de réussir. « Le grand problème n’était pas de trouver de l’argent, mais quelqu’un dans l’oasis qui possède un sens aigu de l’observation et de la rigueur pour prendre en charge l’élevage des poissons et suivre leur croissance », explique Nagwa, tout en ajoutant que bien qu’elle fasse des va-et-vient incessants entre Le Caire et Farafra, elle a eu un grand besoin d’agents piscicoles pour travailler en horaires décalés et surveiller jour et nuit l’alimentation des poissons, la quantité et la qualité de l’eau, le niveau d’oxygénation, l’état sanitaire et effectuer au besoin les ajustements nécessaires.

Hag Galal, un des habitants et chef de l’unité centrale au village Al-Liwa Sobeih, assure que le jour de la pêche a non seulement apporté une immense joie aux habitants, mais a poussé aussi les jeunes à s’initier à la pêche, un nouveau métier qu’ils n’ont jamais exercé. « Nous voulons sortir de l’isolement et ne pas vivre au bout du monde. Après cet exploit, nous tenons à installer d’autres fermes d’élevage non seulement à Farafra, mais également dans toute la Nouvelle Vallée ».

Dans sa cuisine, Salma, la femme au foyer, s’attelle pour la première fois de sa vie à préparer un bon repas composé de poissons « Fresh ». Pendant ce temps, ses trois enfants, qui ne connaissent pas le goût du poisson, se sont installés autour de la table et attendent avec impatience de goûter à ce mets différent des autres.

Chahinaz Gheith

Mohamad Fouad

 




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