Pisciculture.
Pour la première fois à l’oasis d’Al-Farafra, dans la
Nouvelle Vallée, un projet d’élevage permet aux habitants de
goûter aux poissons frais. Cette initiative, lancée par
l’Association caritative de la mosquée de Moustapha Mahmoud,
a été une véritable réussite. Reportage.
La pêche miraculeuse
Aujourd’hui,
c’est une journée exceptionnelle à l’oasis d’Al-Farafra. Tôt
le matin, les habitants ont commencé à affluer vers le lac
artificiel. Apparemment, personne ne veut rater l’événement.
L’ingénieur court dans tous les sens et montre aux habitants
de Aïn Al-Chaga comment lancer et fixer le grand filet au
fond du lac. « Tenir le haut du filet d’une main, de
l’autre, ancrer le bas à quelques mètres du sol. Mettez-vous
en rang, espacés autour du filet, et avancez en ligne droite
tout le long du bassin », lance Nagwa Ibrahim, ingénieur et
spécialiste en pisciculture. Les pêcheurs, très attentifs,
suivent ses moindres gestes. Les yeux rivés sur l’étendue
d’eau, les habitants implorent Dieu pour que cet effort soit
récompensé. Les femmes, vêtues de leurs tobs (robes) brodés
et tenant des ustensiles à la main, attendent le fruit de
cette pêche. Quant aux enfants qui n’ont jamais vu de
poissons frétiller dans l’eau, ils ne tiennent pas en place.
Ils veulent participer à la manœuvre et demandent à tenir un
bout du filet. Les premières tentatives commencent. Le filet
est remonté lentement avec des mouvements précis, comme si
quelqu’un était en train d’explorer un champ de mine. Des
caméras sont braquées sur les pêcheurs, en pleine action. Le
souffle coupé, chacun attend cette pêche miraculeuse. Une
tâche qui semble pour eux bien plus ardue que celle de
chercher de la poudre d’or dans une mine. Les pêcheurs
doivent toucher le fond du lac afin de capturer une grosse
quantité de poissons. C’est le moment fatidique. Le filet
apparaît, tout le monde crie : « Allah Akbar ». Des youyous
fusent de partout. Fous de joie, les hommes s’agenouillent
pour embrasser la terre et remercier Dieu. Ils courent
chercher des caisses. Une, deux, trois, quatre … dix. Des
dizaines de caisses se remplissent de poissons et les
habitants ont du mal à y croire. Les poissons frétillent
entre leurs mains. Des poissons fraîchement pêchés avec des
branchies rouges, des yeux bombés, une peau bien luisante,
un corps rigide et une chair blanche nacrée. « Est-ce
vraiment un rêve ou une réalité ? C’est bien la première
fois à Farafra, et dans toute la Nouvelle Vallée, que nous
avons du poisson frais. J’en ai consommé une ou deux fois
lorsque je descendais au Caire, quant à mes enfants, ils n’y
ont jamais goûté », dit Mohamad Hussein, un des habitants et
chef du conseil populaire central de la ville, tout en
ajoutant que rares sont les habitants qui consomment du
poisson, et si on en trouve, il est congelé. Il en arrive
d’Assiout à 750 km, ou du Caire à 600 km. La radio du sud de
la vallée annonce la bonne nouvelle, qui se répand comme une
traînée de poudre. Un événement sans précédent dans cette
oasis où la joie est indescriptible. La fête va durer deux
jours, le temps de pêcher suffisamment de poissons. Un
résultat inattendu : 1 800 kg de poissons frais seront
distribués aux habitants.
En
effet, ce rêve, qui continue de captiver les habitants, a
fleuri à l’oasis de Farafra, située à 600 km du Caire, et
enfouie dans les sables du désert Occidental, et plus
précisément à la région Aïn Al-Chaga (tristesse), baptisée
aujourd’hui Aïn Al-Hana (la joie). Tout a commencé
lorsqu’une caravane de bénévoles dépendant de l’Association
de la mosquée Moustapha Mahmoud est passée par cette région
pour offrir ses services. Pendant leurs investigations, les
membres de la caravane éprouvent de la compassion pour ces
gens démunis qui souffrent du manque d’eau, un problème
endémique de la population. Ils décident donc d’aider ces
personnes en difficulté et d’améliorer leurs conditions de
vie en leur creusant un puits. Quelques mois plus tard,
l’eau a commencé à jaillir à grands flots et les habitants
ont pu cultiver 150 feddans de blé. Cette région qui a été
touchée par la sécheresse et désertée par ses habitants
s’est transformée en un tapis verdoyant. « Ce n’est pas de
leur faute si ces gens sont pauvres. Notre rôle est de les
aider à mener une vie plus décente et d’œuvrer pour leur
bien. Cela nous procure l’énergie de travailler et d’avancer
dans la vie dans un état de juvénilité permanente »,
commente le Dr Ahmad Adel Noureddine, vice-PDG de
l’Association de la mosquée de Moustapha Mahmoud et
conseiller de la commission sociale. Ses yeux pétillent de
joie lorsqu’il raconte comment il a bouleversé leur
existence pour que la génération à venir ait une vie
meilleure. Et d’ajouter : « J’ai pu ressentir l’austérité de
la vie et j’ai été touché par leur souffrance et leur quête
continue de l’eau. D’ici, de nouveaux projets ont été donc
mis sur pied, tels que l’implantation des palmiers-dattiers
et la construction d’un lac artificiel pour la pisciculture
». Cet homme, à l’allure très dynamique, a tissé des liens
avec les Farafariens qui s’agrippent à l’espoir qu’il leur
fournit. Il a remarqué qu’il n’existait aucune ferme
piscicole qui offre aux habitants des poissons frais. Une
étude faite par le dermatologue Ihab Younés assure que les
enfants de l’oasis souffrent de beaucoup de maladies de la
peau à cause du manque de l’iode, qui influe sur leur peau.
Et cet iode, qui se trouve dans les poissons, n’arrive pas à
la région. « L’iode est un oligo-élément indispensable à la
fabrication des hormones thyroïdiennes. Ces hormones sont
extrêmement importantes au stade du fœtus (formation du
système nerveux), lors de la puberté et d’une manière
générale tout au long de notre vie. Il faut donc manger du
poisson au moins deux fois par semaine, notamment pour ses
apports en oméga 3. Lorsque l’alimentation apporte trop peu
d’iode, la thyroïde grossit et un goitre se forme. La
carence en iode aboutit à une hypothyroïdie (fatigue,
déprime, trous de mémoire, prise de poids …) », souligne le
Dr Ihab. Mais une importante question s’impose sur scène :
n’a-t-il pas eu quelqu’un dans la Nouvelle Vallée, qui
constitue à peine 45,8 % de la superficie de l’Egypte, qui
ait eu l’idée ou s’est intéressé pour créer une ferme
piscicole et combler le manque de poissons dont souffrent
ces habitants ?
Une fête sans pareil
D’après les responsables, la réponse est que plusieurs
tentatives ont été faites, mais toutes ont été vouées à
l’échec. Et c’est là que commencent une autre histoire et un
autre rêve. Faire de la pisciculture en plein désert dans
une haute température, qui atteint pendant l’été les 60
degrés Celsius, avec le grand taux de fer existant dans
l’eau, cela relève de vrais défis. « Sans oublier encore la
longue distance pour transférer les appâts (nourriture des
poissons) des gouvernorats de la Basse-Egypte à Farafra
ainsi que le manque du personnel compétent pour l’élevage du
poisson, étant donné que les habitants de Farafra ne
connaissent que l’agriculture et l’élevage, et ignorent tout
sur la pêche », explique le Dr Ahmad Adel. Des raisons pour
lesquelles il a été décidé de concevoir un bassin ou lac
artificiel comme échantillon, afin de réduire les coûts de
dépense, au cas où cette tentative serait vouée à l’échec.
En avril 2008, l’association a acheté 10 000 alevins de
Bolti ou carpe du Nil qui seraient jetés à l’eau. Cette
espèce de carpe supporte la chaleur. Depuis ce jour, le rêve
a commencé à grandir chez les habitants qui n’ont cessé de
visiter quotidiennement le lac. « Bien que l’on ait pu voir
quelques poissons flotter à la surface, qu’on leur donnait à
manger, on ne pensait pas réussir dans ce projet et goûter
enfin des poissons frais, pêchés à la Nouvelle Vallée »,
souligne Al-Hag Saïd Ahmad, un des habitants. Cependant, à
force de combativité et de croyance ferme et grâce aux
efforts déployés par les bénévoles, à commencer par les
ouvriers jusqu’aux spécialistes et même les habitants, cela
a permis de franchir toutes les étapes difficiles et surtout
de réussir. « Le grand problème n’était pas de trouver de
l’argent, mais quelqu’un dans l’oasis qui possède un sens
aigu de l’observation et de la rigueur pour prendre en
charge l’élevage des poissons et suivre leur croissance »,
explique Nagwa, tout en ajoutant que bien qu’elle fasse des
va-et-vient incessants entre Le Caire et Farafra, elle a eu
un grand besoin d’agents piscicoles pour travailler en
horaires décalés et surveiller jour et nuit l’alimentation
des poissons, la quantité et la qualité de l’eau, le niveau
d’oxygénation, l’état sanitaire et effectuer au besoin les
ajustements nécessaires.
Hag Galal, un des habitants et chef de l’unité centrale au
village Al-Liwa Sobeih, assure que le jour de la pêche a non
seulement apporté une immense joie aux habitants, mais a
poussé aussi les jeunes à s’initier à la pêche, un nouveau
métier qu’ils n’ont jamais exercé. « Nous voulons sortir de
l’isolement et ne pas vivre au bout du monde. Après cet
exploit, nous tenons à installer d’autres fermes d’élevage
non seulement à Farafra, mais également dans toute la
Nouvelle Vallée ».
Dans sa cuisine, Salma, la femme au foyer, s’attelle pour la
première fois de sa vie à préparer un bon repas composé de
poissons « Fresh ». Pendant ce temps, ses trois enfants, qui
ne connaissent pas le goût du poisson, se sont installés
autour de la table et attendent avec impatience de goûter à
ce mets différent des autres.
Chahinaz Gheith
Mohamad Fouad