Drogue.
Les chercheurs de kif, de toutes les classes, ont toujours
eu une prédilection pour le haschich, remplacé aujourd’hui
par le bango plus accessible. Une manière de sociabiliser,
de fêter et de s’offrir de véritables paradis artificiels.
A la recherche de fantasmes
Aussi
bien les pauvres que les riches, ils ne se considèrent pas
comme des toxicomanes, mais des fumeurs qui recherchent le
kif. C’est ainsi que justifient les férus de haschich
(résine de cannabis) leur consommation de ce produit
illicite le plus typique en Egypte. Certes aujourd’hui, le
plus en vogue c’est le bango, mais c’est la même manière de
jouir et aussi le même argument. « Ce n’est pas une drogue,
on peut arrêter de le fumer à n’importe quel moment car en
fumant de l’herbe, on ne perd pas la boussole », explique
Ahmad, 32 ans. Ce jeune réalisateur de films documentaires
fume du haschisch presque chaque jour sans avoir une
véritable raison, sauf qu’il l’aime et en consomme depuis
très longtemps. Ses amis des deux sexes se retrouvent chez
lui pour en fumer. C’est le haschich qui les rassemble, et
c’est précisément pour cette raison là- que tous s’y sont
attachés. Omar, 30 ans, ami d’Ahmad, explique : « On est
tous trop occupés tout le temps et si l’on ne fumait pas du
haschich, on ne pourrait pas se rencontrer. D’ailleurs,
c’est devenu la raison fascinante pour se réunir chaque
soir. Chacun peut fumer seul comme on fume des cigarettes,
mais lorsqu’on est en groupe, le haschich a plus d’effet, on
se met à discuter et rigoler, ce qui permet de monter le
mazag, un état incomparable ». Omar affirme qu’il ne fume
pas d’autres drogues et trouve injuste que l’on classe le
cannabis dans la même liste des drogues dures comme la
cocaïne et l’héroïne. Des produits qui poussent à
l’accoutumance et rendent les gens toxicomanes, ce qui n’est
pas le cas avec le haschich. On peut s’arrêter de fumer à
n’importe quel moment et cela ne détruit pas la personne. En
fait, c’est l’avis des fumeurs du haschich qui affirment que
tous fument par mazag et non par accoutumance, ils peuvent
s’arrêter quand ils veulent et si personne ne le fait c’est
parce qu’ils éprouvent du plaisir à le faire.
Une résine visqueuse produite par la plante du cannabis et
obtenue par battage des feuilles et des sommités florales
sèches, qui est ensuite compressée pour obtenir un cube ou
un bloc. Il faudra environ 45 à 75 kg de cannabis pour
produire un kilo de haschich. Il se présente sous forme de
morceaux de couleur brun pâle à noir, de consistance molle
ou dure. Le « mazag », ou le kif, la bonne humeur, est l’une
des appellations argotiques du haschich en Egypte, où la
consommation de cette drogue est depuis longtemps largement
répandue et devient de plus en plus courante dans le
quotidien. On commence par traiter le bâton de haschich en
le passant délicatement sous le feu d’un briquet puis on
coupe un petit morceau de haschich que l’on effrite puis
étale sur du papier de cigarette, puis on roule le tout. Et
pour que le papier colle bien, on passe dessus un peu de
salive. Ainsi on a une cigarette de haschich ou ce que l’on
appelle un joint. On peut ajouter un filtre comme on peut
s’en passer et fumer un joint sans filtre, ce qui peut être
nocif, mais beaucoup de gens prennent le risque pour
augmenter le plaisir. Les effets du haschich se font sentir
en quelques minutes et durent de 2 à 4 heures. Ils se
rapprochent à ceux des hallucinogènes, mais la personne ne
perd pas la tête. « Je ne jouis pas seulement du plaisir de
fumer du haschich, mais aussi de préparer mon joint. Casser
le morceau de haschich avec mes dents, l’effriter, le
rouler, puis tirer la première bouffée en admirant la fumée
bleue qui se répand dans l’air, cela me rend heureux. Bref,
c’est un état complet que j’aime vivre et ressentir »,
explique Hicham, 35 ans, fonctionnaire, et un des rares qui
préfèrent fumer seul pour atteindre son mazag. Ce dernier a
toujours un bâton de haschich qu’il garde dans sa table de
nuit. Il lui arrive de se mettre à rouler des joints le soir
pour le plaisir de se sentir bien dans sa peau. D’après
Hicham, il trouve bizarre que la loi interdise le haschich
et autorise les boissons alcoolisées ; pourtant, les
dernières sont beaucoup plus dangereuses car ceux qui
consomment de l’alcool perdent le contrôle d’eux-mêmes.
En fait, il paraît que cet état que vivent les fumeurs du
haschich se concrétise clairement chez les intellectuels,
écrivains et artistes. D’après leur version, ils font un
travail intellectuel et ont besoin de donner libre cours à
leur créativité. Grâce au haschich, ils sont mieux inspirés.
Et si on cherche, on va trouver des grands noms de poètes,
d’écrivains et de comédiens reliés au haschich. « J’ai des
témoignages d’intellectuels qui disent que c’est grâce au
haschich qu’ils créent du bon travail. Même si ce n’est pas
la vérité, ils veulent croire à cela. Alors ils se créent
d’abord un certain état en fumant du haschich pour se
laisser aller à leur imagination ».
Plusieurs recettes, un seul état
Bien
que les fumeurs ne nient jamais qu’ils en consomment, ils ne
le confient qu’à des personnes de confiance qui en prennent
elles-mêmes. Pour fumer, ils se rassemblent soit au domicile
de l’un ou l’autre, soit dans un local : « ghorza »
(fumerie) qui est mis à leur disposition par son
propriétaire. Autre que le joint, les fumeurs utilisent un
narguilé, sur lequel ils posent le haschich et le chauffent,
ils se tiennent généralement assis sur un siège bas et
échangent des propos qui, sous l’effet progressif de
l’herbe, de plaisants deviennent hilarants ou carrément
incohérents lorsque les fumeurs « ont leur compte » (mastoul).
Autre manière, pas très fréquente, c’est de brûler le
haschich dans un verre couvert puis sentir la fumée. Le
haschich lui-même, outre le « mazag », est appelé
généralement « sanf » (espèce) ou diversement selon sa
qualité. Par ordre décroissant : zebda (beurre), agwa (pâte
de dattes pressées), naml (fourmi), chaabi (populaire),
manzoul (mélangé), ardi (rez-de-chaussée). La première
coupelle posée sur le narguilé est appelée « iftitahiya »
(inauguration) ou « salam malaki » (hymne royal). Chaque
genre a son prix et son client.
Une pratique séculaire
En
effet, l’apparition du haschich est signalée en Egypte par
les voyageurs et historiens arabes dès la deuxième moitié du
XIIIe siècle de notre ère. Il est venu de l’Inde en
progressant vers l’ouest par la Perse, puis l’Iraq et la
Syrie. Le cannabis doit son nom populaire de haschich à
l’arabe, où le mot signifie « herbe ». Cette appellation
apparaît à partir du XIVe siècle. A l’époque où le soufisme
connaît son apogée, vers le XIIe siècle, le monde arabe
commence à fumer le cannabis. Cette pratique aurait été
introduite en Egypte par des soufis syriens et viendrait
d’Iran avec la pipe à eau, peut-être elle-même venue d’Inde.
Après avoir pris l’Egypte aux Fatimides à la fin du XIIe
siècle, les Ayyoubides essaient d’enrayer l’expansion de
l’utilisation du cannabis en donnant des peines aux fumeurs.
On va même jusqu’à leur arracher les dents. Mais tout cela
reste vain, puisqu’en Egypte, la consommation était devenue
purement récréative et avait gagné toutes les classes
sociales. Cela continue jusqu’aujourd’hui, surtout qu’une
dernière étude du bureau de lutte conte la toxicomanie, qui
suit le Conseil des ministres, a indiqué que le haschich est
la drogue la plus répandue en Egypte. Cela paraît très clair
dans les noces populaires au cours desquelles le haschich
est toujours présent. Ces noces, qui se déroulent en général
dans les rues, représentent une scène idéale pour s’échanger
le haschich sous forme de compliment. Soit le marié offre
aux invités, soit les invités eux-mêmes ramènent leur
haschich ; l’important c’est qu’il existe. « On attend ces
occasions pour pouvoir fumer en toute liberté et la police
ne vient pas nous embêter tant que la fête se passe bien et
même si elle sait que tout le monde fume », dit Hossam, 25
ans, planton. Ce dernier affirme que dans chaque mariage, il
y a un guetteur qui est indispensable pour donner l’alerte
en cas de descente de police. Hossam continue que le
haschich doit être accompagné de bière qu’on offre aux
convives. Cette situation a créé un genre de business
pendant les noces, car ce sont des produits qui reviennent
cher et qu’on attend de les rendre au prochain mariage et
ainsi de suite. Les habitants des quartiers populaires, qui
comme tout le monde apprécient le haschich mais ne peuvent
pas l’avoir tout le temps à cause du manque d’argent,
attendent des occasions comme les mariages ou le Jour de
l’an pour célébrer à leur propre manière la fête avec du
haschich. Il y a aussi d’autres occasions comme les soirées
des jeudis qui sont liées depuis longtemps chez les
Egyptiens à l’amour. Ces nuits d’amour que les hommes
veulent vivre après une longue semaine de fatigue et de
déception n’auront pas lieu sans le haschich qui est
toujours lié au sexe, surtout chez les couches populaires.
Sayed, agent de sécurité, affirme que sans s’offrir un joint
le jeudi, il pourrait être humilié par sa femme qu’il n’a
pas pu satisfaire. « Je suis tout le temps fatigué et je ne
retrouve ma bonne humeur qu’avec le haschich qui me donne de
la force et de l’envie de faire l’amour », dit Sayed, 45
ans. Beaucoup de gens croient à ce concept même si aucune
preuve scientifique ne l’a prouvé. Ce ne sont peut-être que
des illusions, car le haschich fait perdre le sentiment de
temps et de lieu, alors un homme peut croire qu’il a passé
des heures en faisant l’amour avec sa femme, tandis qu’ils
ne sont que des minutes. En effet, Sayed, très attaché à son
joint, est une personne pieuse et fait la majorité de ses
prières à la mosquée, et ne trouve aucune contradiction
entre les deux, puisque selon lui, rien dans le Coran
n’interdit la consommation du haschich. Ce n’est pas comme
l’alcool par exemple qui est tout à fait interdit, selon
lui.
Illusions ou bonne humeur véritable, ou même extase, quelle
que soit la signification du haschich, il restera le roi de
la bonne humeur des Egyptiens qui ne cessent pas de créer de
nouvelles méthodes pour en profiter plus, comme en
l’ajoutant à la nourriture ou en le mâchant comme un
chewing-gum ou en le préparant avec un gâteau, et c’est le
dernier cri dans le monde de la drogue en Egypte.
Hanaa
El-Mekkawi