Privatisation.
Le gouvernement prépare un système de vente « en masse » des
avoirs publics, qui doit entrer en vigueur courant 2009. Une
méthode qui a déjà été adoptée, sous l’égide de la Banque
mondiale, dans les pays d’Europe de l’Est. Explications.
Le pari de la vente massive
C’est
du déjà-vu, sous un nouvel emballage. Il s’agit de
rassembler les avoirs publics que le gouvernement décide de
privatiser, estimer leur valeur totale, la diviser par les
40 millions d’Egyptiens de plus de 21 ans, et la distribuer
sous forme de coupons. De manière à ce que chaque Egyptien
possède une partie des richesses économiques du pays. Ces
coupons seront échangeables sur le marché et chacun sera
ainsi libre de les céder ou de les garder. Voilà en quoi
consiste la première phase du nouveau mode de privatisation,
dénommé « privatisation de masse ». Son adoption a été
dévoilée par le président Hosni Moubarak lors de la
conférence annuelle du Parti National Démocrate (PND, au
pouvoir), la semaine dernière. Il a aussi déjà été adopté
par la Russie et les pays de l’Europe de l’Est au début des
années 1990. Les expériences de ces pays révèlent qu’au bout
d’un an, la majorité de ces coupons ont été revendus à bas
prix à un petit nombre de banques d’investissements,
retombant donc dans les mains du secteur privé. Mais Mahmoud
Mohieddine, ministre de l’Investissement, a assuré lors
d’une conférence qu’il a tenue avec Gamal Moubarak, numéro 3
du PND (au pouvoir), que le programme égyptien « évitera les
erreurs commises des autres expériences similaires : c’est
un programme purement égyptien ». Cependant, les détails
qu’il a dévoilés ne sont pas si éloignés de l’expérience des
pays de l’Est de l’Europe ou ex-soviétiques.
Gamal Moubarak, président du Comité des politiques au PND, a
indiqué que le parti étudiait ce système depuis plus de deux
ans. Les détails d’application de cette première phase sont
actuellement en préparation sous l’égide du ministère de
l’Investissement. Et cela afin de présenter une nouvelle loi
sur la privatisation au Parlement au cours de la session
actuelle.
La nouvelle loi élargirait le concept de privatisation pour
inclure d’autres entités outre les 155 entreprises
industrielles publiques. Un haut comité sera chargé de
retenir les avoirs à vendre au public (voir encadré). Par
ailleurs, un fonds d’investissement sera créé, dénommé «
Fonds des générations », pour en quelque sorte faire passer
la pilule. Ce serait un fonds « possédant et gérant une
partie des avoirs qui resteront publics, pour que les
générations à venir bénéficient de la maximisation de ses
revenus », révèle Mohieddine.
Plus besoin de « restructurer les entreprises »
Le peu de détails dévoilés n’évoque cependant que la
première phase de privatisation. Et pour cause. Elle semble
très populaire, ce qui garantit son aval par l’Assemblée du
peuple. « De toute façon, il est temps de relancer la
privatisation », estime Alia Al-Mahdi, doyenne de la faculté
de sciences économiques et politiques et membre du comité
des politiques, la vraie cuisine des décisions
gouvernementales au sein du PND. Elle note que depuis
l’arrivée du gouvernement Nazif en 2004, il n’a réussi qu’à
vendre 8 entreprises. Elle attribue cette lenteur à
l’opposition de l’opinion publique, qui s’est déclenchée
lors de la vente des chaînes commerciales Omar Effendi ainsi
que celle de la Banque du Caire, qui a fini par l’avortement
de la vente de cette dernière. « Le gouvernement actuel a eu
tort d’avoir recours à la vente à un investisseur principal.
Des campagnes de l’opposition accusaient le gouvernement de
vendre à un prix sous-estimé et aussi de se débarrasser de
la main-d’œuvre », renchérit Al-Mahdi.
Ce sont justement les accusations que le gouvernement tente
d’éviter en ayant recours à la privatisation en masse. Car
en vendant au grand public, soit presque 40 millions d’Egyptiens,
il n’y aura plus besoin de « restructurer les entreprises »,
une formule pour dire « réduire les effectifs », afin de
plaire à l’investisseur privé. En outre, c’est ce qui est
plus important, le gouvernement ne va pas « vendre » les
entreprises au vrai sens du mot. Car il distribuera les
coupons de propriété gratuitement. Et donc l’évaluation des
entreprises est un processus mené sous l’égide d’un comité
gouvernemental, c’est-à-dire loin des intérêts et pressions
du secteur privé, qui veut à tout prix acheter à prix bas.
Dans les mains d’entreprises étrangères
La deuxième phase, ou le deuxième tour de privatisation,
comme l’appelle la Banque mondiale, reste le grand secret de
Mohieddine. Mais on sait que la Banque mondiale avait
encouragé les pays de l’Europe de l’Est au début des années
1990 à se lancer dans ce mode de privatisation. Ainsi, au
bout de deux ans, 60 % des entités publiques en Russie sont
devenues privées. Le taux est à 99 % dans la République
tchèque, créant ainsi un marché financier, où les actions de
ces entités sont échangées. « Il est encore trop tôt de
savoir quel modèle sera suivi ici en Egypte. Mais malgré les
petites variations entre ces pays, un trait commun les
caractérisait tous : la vitesse à laquelle tout a été vendu
», lance l’économiste Samir Radwane, conseiller à l’Autorité
pour l’investissement. Et d’ajouter que dans la plupart des
cas, les entreprises publiques ont fini dans les mains
d’entreprises étrangères concurrentes, ou des banques
d’investissement étrangères. « C’était par exemple le cas
des entreprises très avancées de haute technologie, des
produits médicaux ou encore de vitrerie », renchérit Radwane.
C’est ainsi que, en quelques années, la transformation de
ces pays en économies de marché a été achevée. C’est « la
thérapie de choc », inventée par l’économiste américain
Jeffrey Sachs. Pour interpréter la vitesse de
transformation, il disait : « Si vous voulez traverser un
fleuve, il faut le faire en un seul saut, sinon vous tombez
dans l’eau ». Mais il n’a pas dit qu’il y avait aussi un
risque de se noyer en sautant.
Que reste-t-il à vendre ?
De nombreuses entités pourraient se retrouver dans le
nouveau programme de vente si l’on interprète au sens large
le secteur public, c’est-à-dire au-delà des 155 entreprises
concernées par la loi 203 de 1991 sur la privatisation. Les
gouvernements successifs qui ont mené le programme de
privatisation, initié en 1996, avaient uniquement porté sur
la vente du secteur industriel et les grandes chaînes de
commerce de détail. C’est ainsi que plus de la moitié de ces
entreprises publiques a été vendue. Aujourd’hui, il n’en
reste que 155, dont une quarantaine avec des bilans dans le
rouge. D’autres dégagent des profits à travers la vente de
leurs actifs immobiliers. Et une minorité est plus ou moins
performante. Bref, la situation de la plupart de ces
entreprises est peu reluisante. Mahmoud Mohieddine, ministre
de l’Investissement, préfère les traiter en un tout, pour
que les chiffres fassent meilleure impression. Ainsi, les
profits dégagés sont passés à 7,6 milliards de L.E. en
2007/2008, contre 2,8 un an auparavant.
Le tournant dans la politique de privatisation a été marqué
par l’arrivée d’Ahmad Nazif et de son équipe ministérielle.
Depuis, le concept de la mise en vente des avoirs publics a
été étendu pour inclure d’autres entités, comme Telecom
Egypt, la Banque d’Alexandrie ou encore d’énormes
superficies des terrains à développer par des entreprises
arabes.
Bien que le ministre de l’Investissement refuse de dévoiler
les détails, le nouveau projet de loi sur la « privatisation
en masse » (c’est-à-dire au bénéfice des Egyptiens de plus
de 21 ans) renferme en fait des entités au-delà du secteur
public des affaires. Le ministre de l’Investissement,
Mahmoud Mohieddine a assuré au quotidien Al-Ahram qu’un haut
comité sera chargé de choisir les entités ainsi que la part
que le gouvernement cédera au peuple, sous forme de carnets
de coupons. Le choix pourrait se faire parmi la Banque du
Caire, la part publique dans Telecom Egypt, les sociétés
d’assurances et celles du financement immobilier, les
chaînes de télévision et de radio ou satellites, la Cité des
médias, les centrales d’électricité, les stations de
purification d’eau, la Société des chemins de fer, les ports
et les aéroports, les sociétés publiques de bonification de
terrains, la Banque de crédit et de développement agricole,
etc.
Par ailleurs, le ministre a souligné que les entités dotées
d’importants effectifs ou en difficulté financière ne seront
pas transférées au public, mais plutôt gérées et
restructurées par un fonds spécialement créé pour mener à
bien les restructurations nécessaires.
Salma
Hussein