Le comédien Mahmoud Hémeida
s’est toujours démarqué des films imposés par le Star
System. Et a défendu sa liberté d’être différent. Il a fait
son come-back avec deux films actuellement en salle, La Nuit
du Baby-Doll et Désolé pour le dérangement.
Le paon ou monsieur cinéma
Il est certes quelqu’un de différent. Dans ses attitudes,
ses convictions comme dans ses réactions. Le rencontrer
signifie être prêt à un jeu de ping-pong, à un échange
d’avis fait de phrases lapidaires. Sa franchise est parfois
choquante. Car Mahmoud Hémeida est un personnage aussi
rebelle que controversé. Bref, il cherche à tout prix à
rompre avec la forme traditionnelle des questions-réponses,
préférant un laisser-aller plus spontané.
Le comédien vient de commencer le tournage d’un nouveau film
Dokkanet Chéhata (l’échoppe de Chéhata) de Khaled Youssef,
avec Ghada Abdel-Razeq et la pin-up libanaise Haïfa Wahbi.
« Une expérience complètement nouvelle, soit par les traits
caractéristiques du personnage ou par le choix du casting »,
dit-il.
Mahmoud Hémeida ne se sent pas dans l’obligation de défendre
ses choix, mais explique, quand même, qu’il « essaie
d’interpréter des rôles différents, pas forcément des
chefs-d’œuvre, mais quelque chose qui a de la valeur ».
Selon lui, « travailler avec Haïfa Wahbi n’est pas un péché.
Il ne faut pas essayer de déculpabiliser, car elle est comme
tant d’autres chanteuses qui essayent de franchir le monde
du cinéma. Elle en a le droit. L’essentiel c’est la tâche du
réalisateur ».
C’est sur ce même ton d’autosatisfaction qu’il défend son
apparition aux côtés du jeune comédien Ahmad Helmi, dans son
dernier film Assef ala al-ezaag (Désolé pour le
dérangement). « Je ne suis plus un amateur qui cherche la
célébrité. Je ne cherche plus à faire mes preuves pour me
limiter à des beaux rôles et discuter la place de mon nom
sur l’affiche », souligne-t-il, ajoutant qu’il a trouvé
quelque chose d’original dans le rôle du père d’Ahmad Helmi
: « On ne découvre qu’à la fin du film que ce père est
décédé et que toutes les conversations avec le fils sont
imaginaires ».
Mahmoud Hémeida ressemble en fait aux personnages qu’il
incarne à l’écran. Flegmatique, confiant, parfois même
orgueilleux ; les yeux luisants, la phrase courte. Il ne nie
pas que la chance a joué pour beaucoup dans sa vie.
« Le hasard seul a fait de moi un comédien », révèle-t-il
avec son sourire habituel. Et d’ajouter : « J’ai passé des
années à faire d’autres métiers avant de faire du cinéma.
Celui-ci me fascinait depuis mon enfance ».
Issu d’une famille de la classe moyenne au village Manial
Al-Soultan à Guiza, ses parents ont tout fait pour garantir
à leur enfant une bonne éducation. Il a passé donc une
enfance campagnarde aisée, en étant dorloté par son
grand-père vivant dans la grande maison familiale.
Toutefois, Mahmoud s’est senti rapidement un jeune homme,
qui doit avoir son indépendance.
« J’avais encore huit ans lorsque j’ai décidé de travailler
pour la première fois, non pour l’argent, puisque je
recevais quotidiennement tout ce que je voulais, mais pour
me trouver une spécialité et une vraie responsabilité. J’ai
commencé à travailler comme un journalier collectant le
coton dans les champs pour cinq piastres ! ». Une passion
pour le travail l’a poussé à multiplier les petits boulots.
« Un gamin devenu surveillant d’ouvriers, gagnant 15
piastres par jour durant les vacances d’été. Au lieu
d’acheter des jouets, j’épargnais mon argent pour acheter
des romans ».
Peu enclin au système des études scolaires, le jeune Mahmoud
s’adonnait plus volontiers au Body Building ou aux bagarres
avec les camarades.
« Ma mère trouvait toujours que j’avais un air hautain et
snob. Elle m’appelait le paon et cela ne m’énervait pas du
tout. Bien au contraire, je préférais toujours être
différent et leader du groupe. C’est cet amour pour le
leadership qui m’a aidé à réussir rapidement dans les
premiers rôles ».
Une énergie excessive qui poussait parfois le petit
adolescent à l’arrogance. « Lorsque j’avais 13 ans, je me
sentais le plus fort parmi mes amis. D’où une vanité qui me
rendait costaud. Je me souviens bien que je rentrais souvent
les vêtements déchirés, portant les traces d’une ou deux
bagarres par jour ! ».
Ce sentiment de supériorité a collé à Hémeida. Après le
baccalauréat, il est parti vivre au Caire chez sa grand-mère
et a posé candidature pour être admis en polytechnique. «
Pour respecter le désir de mes parents », dit-il.
Choqué par la « vacuité intellectuelle de la communauté
universitaire à l’époque », il a passé sept ans à la faculté
avant d’être viré pour avoir dépassé les limites des années
d’échec.
Dévoré alors par une forte dépression, Mahmoud Hémeida a
consulté un psychiatre afin de surmonter son sentiment
continu d’insatisfaction. Une seule visite lui était
suffisante pour qu’il retrouve sa sérénité et commence ses
études à la faculté de commerce. « Mais convaincu que
j’avais un talent artistique, j’ai mené des études à
l’Institut supérieur d’art théâtral ».
Itinéraire qui n’a rien de linéaire. Hémeida termine ses
études au Caire et devient entre-temps membre de la troupe
théâtrale de l’université. De quoi lui avoir permis de
donner plusieurs spectacles sur de diverses planches partout
en Egypte. « J’ai travaillé au début comme comptable dans
une société privée à un salaire mensuel de 82 L.E. Mais, je
me suis senti enchaîné par les dossiers et les chiffres,
alors j’ai quitté ce travail pour devenir vendeur dans une
usine d’eau gazeuse. Un autre boulot rentable ».
Fasciné toujours par le monde de la danse, il se joint à une
troupe folklorique et participe à la majorité des films et
spectacles musicaux des années 1980. « Je me souviens que
j’ai dansé avec toutes les stars de ma génération : Ezzat
Al-Alayli, Soheir Al-Babli et Ahmad Zaki ».
Mais un jour, on lui annonce par téléphone la mort de son
ami responsable de la troupe de danse. « C’était vraiment un
choc dur. C’était un ami proche avant d’être mon patron, ce
qui m’a conduit à une période de dépression encore plus
intense ».
En conséquence, le jeune Hémeida a décidé d’arrêter ses
activités artistiques pendant plus de 10 ans. Il s’est
enfermé dans son travail de vendeur d’eau gazeuse et
refusait même de rencontrer ses collègues de la troupe pour
ne pas se rappeler son ami qui n’est plus. Après, il est
revenu peu à peu à jouer dans de petites pièces, données aux
palais de la culture.
Progressivement, le hobby devient passion, voire moyen
d’expression. Et le hasard a bien fait les choses. « Le
réalisateur Ahmad Khedr m’a contacté, disant avoir besoin
d’un jeune homme assez fort physiquement pour jouer dans le
feuilleton Haret al-chorafa (ruelle des honnêtes). Ce jeune
homme était moi-même ! ».
La première fois devant les caméras. Le coup de foudre. Tout
l’attirait vers ce monde luisant, mais il ne pensait quand
même pas à devenir star. Pourtant, son rêve avait toujours
été d’être célèbre.
Sa première rencontre avec Ahmad Zaki fut assez stressante,
l’un des moments les plus importants de sa vie, selon ses
termes. Quand l’on a fait appel à lui pour faire partie du
casting du film Al-Embérator (l’empereur) de Tareq Al-Eriane,
le comédien était fou de joie. Car d’une part, il devait
jouer devant Ahmad Zaki, artiste mythique du monde arabe, et
d’autre part, il pouvait enfin mieux se servir de son allure
de beau gosse. « C’était là que je me suis senti enfin bien
dans ma tête et dans ma peau ».
Grâce à son interprétation de l’ami fidèle du protagoniste,
dans ce film, Hémeida assoit définitivement sa popularité.
On connaît la suite : le film a eu un énorme succès et
Hémeida a rompu avec tous ses autres travaux.
Sa carrière cinématographique prend un nouvel essor, et il a
été choisi pour jouer de nouveau devant Zaki dans le film
Al-Pacha (le pacha) signé toujours Tareq Al-Eriane.
Mahmoud Hémeida cumule avec dextérité les tâches de
comédien, producteur, propriétaire d’un studio pour la
formation d’acteurs et autrefois rédacteur en chef d’une
revue spécialisée, à savoir Al-Fann al-sabie (le septième
art). L’acteur nourrit ainsi une vocation innée pour la
culture.
Le ton frise la condescendance. Nous sommes en 1999 et son
rêve commence à devenir concret : « Dès mon premier rôle, je
souhaitais devenir artiste apprécié du public, rien que pour
mon talent. Je rêvais également de produire un film
différent par rapport à ce qu’impose le Star System. C’est
ce que j’ai pu réaliser en produisant Gannet al-chayatine
(le paradis des démons) ». Un film qui a rencontré un grand
succès aux festivals internationaux, mais qui n’a pas
beaucoup plu aux spectateurs locaux, choqués en voyant leur
star dans le rôle d’un mort tout au long du film ! « Ce rôle
m’a valu d’arracher une de mes dents devant la caméra dans
le but de garder la crédibilité auprès du public ».
Parfois, le désir de trouver un rôle extrêmement différent
ou une expérience unique le conduit au fiasco, alors que
d’autres le placent au rang des grands du métier.
D’aucuns l’accusent de vouloir paraître comme « l’acteur
savant » ou « Monsieur cinéma ». Et à lui de s’insurger : «
Je ne me prends pas du tout pour un savant, mais je me
trouve assez cultivé pour mener une vie assez différente de
celle de la plupart des artistes, parfois sans but ni
idéologie. Je me suis instruit par moi-même, et tant pis
pour ceux qui ne m’acceptent pas tel que je suis »,
lance-t-il sur un ton plus ou moins furieux.
Il suffit de quelques minutes de conversation pour sentir
que Mahmoud Hémeida est un obstiné, qui aime défendre son
point de vue et surtout sa liberté d’agir comme il lui
plaît. Une liberté qu’il a veillé à transmettre à ses trois
filles, Asmaa, Iman et Aya. « Je leur laisse toute la
liberté pour découvrir le bien et le mal, tout en les
surveillant pour pouvoir les sauver aux cas où ... ».
Hémeida cherche toujours à réaliser ses rêves d’autrefois,
lorsqu’il passait des nuits blanches à contempler le plafond
de sa chambre, imaginant qu’il était devenu célèbre,
poursuivi par les flashs des caméras ou lauréat clamé par le
public. « Ce rêve me hantait depuis l’enfance. Il s’est
réalisé en fait cette année en participant au dernier
Festival de Cannes. C’était là que je me suis senti au
septième ciel, en défilant sur le tapis rouge. De quoi
m’avoir poussé à réorganiser mes projets artistiques et
imaginer de remonter les marches cannoises très
prochainement avec un film dont je serai le producteur et
peut-être même le réalisateur ! ».
Encore
un défi à relever.
Yasser Moheb