Presse.
La grâce présidentielle accordée à Ibrahim Eissa, accusé de
diffusion de fausses nouvelles, alimente un débat entre ceux
qui revendiquent une liberté sans limites et ceux qui
mettent en question la crédibilité des « pseudo-journalistes
».
Les ondes de l’affaire Eissa
Une
grande satisfaction a régné dans les milieux journalistiques
suite à la décision du président Hosni Moubarak d’accorder
une grâce au journaliste Ibrahim Eissa, rédacteur en chef du
journal Al-Dostour. Eissa a été condamné à deux mois de
prison ferme pour avoir publié, l’été dernier, dans son
quotidien Al-Dostour, « des rumeurs sur la santé du chef de
l’Etat ». D’après le tribunal, ses écrits avaient nui à
l’économie du pays en amenant plusieurs hommes d’affaires à
retirer leurs investissements. Selon les déclarations de la
présidence, M. Moubarak a refusé d’avoir des différends
personnels avec un citoyen.
« Je suis sans doute ravi de cette décision, mais le
problème de fond reste à régler : aucun journaliste ne doit
être emprisonné pour avoir écrit un article, cela doit être
la règle et non pas l’exception », affirme Ibrahim Eissa
dans une première réaction. « La décision du président doit
être un message à tous ceux qui tentent d’entraver le rôle
de la presse en poursuivant les journalistes devant la
justice », ajoute-t-il.
Malgré une promesse présidentielle datant de 2005 d’annuler
les peines de prison dans les délits de publication,
aujourd’hui un arsenal d’une vingtaine de clauses, dans la
loi sur la publication et le Code pénal, permet toutefois
l’emprisonnement des journalistes. Samedi, cinq journalistes
dont quatre rédacteurs en chef ont comparu devant les
tribunaux dans des affaires de diffamation, et l’un est
poursuivi par le grand imam d’Al-Azhar, cheikh Sayed Tantawi.
Dans le même contexte, le Syndicat des journalistes, après
avoir exprimé ses remerciements au président Moubarak pour
sa prise de position en faveur de la liberté de la presse, a
indiqué dans un communiqué qu’il devrait y avoir un débat
sérieux avec le Conseil suprême de la presse pour parvenir à
annuler tous les textes portant atteinte à la liberté de la
presse. Le communiqué a souligné par ailleurs l’importance
d’actionner le code de déontologie, de quoi permettre au
syndicat de sanctionner les journalistes fautifs.
En fait, le débat sur la liberté d’expression s’est
accompagné d’un autre débat sur les abus commis par la
presse, qu’elle soit officielle, d’opposition ou
indépendante. « Ce n’est pas sûr, ce n’est que paroles de
journaux », des propos que répètent souvent les gens et qui
trahissent un manque de confiance vis-à-vis de la presse. Si
quelques-uns qualifient la presse gouvernementale de
porte-parole de l’Etat, pour d’autres, la presse
d’opposition est trop tendancieuse et ne cherche qu’à faire
du sensationnel, souvent aux dépens de la vérité.
Ayant
juste pour mission de faire la propagande du régime, les
médias sous Nasser avaient le monopole de l’information et
pas de concurrents. Sous Sadate, la situation a un peu
changé avec l’introduction du multipartisme en 1976. Les
partis de l’opposition ont obtenu le droit de publier chacun
un journal. Mais le vrai « boom » médiatique s’est fait
sentir seulement depuis une décennie, notamment avec les
chaînes satellites et les journaux privés. Ces derniers
essayent de se frayer un chemin entre les deux tendances,
officielle et opposée. Mais cette tentative n’a pas
complètement réussi. La concurrence féroce favorise le
recours au sensationnel, et la recherche à tout prix d’un
scoop, sans trop se fatiguer à faire le travail nécessaire
de recherche. Sans parler, bien entendu, du piège de
l’opposition pour l’opposition dans lequel ont succombé
certains de ces médias.
Mais les journalistes trouvent une justification à ces dits
« abus ». Pour eux, l’atmosphère générale dans laquelle ils
travaillent est très restrictive. L’affaire de Eissa est un
cas qui illustre leur « dilemme », à savoir une information
qui n’est pas toujours disponible et que tout le monde se
dispute. « Au lieu d’accuser les journaux, il faut d’abord
parler du manque de transparence de la part du gouvernement
et de la souffrance qu’endurent les journalistes pour
obtenir les informations », commente Eissa.
Sur la même longueur d’onde, Gamal Fahmi, membre du conseil
du Syndicat des journalistes, estime : « Dans un pays
d’Europe ou aux Etats-Unis, il aurait été impossible de
publier des rumeurs comme celles publiées par Ibrahim Eissa,
car il existe tout un mécanisme pour démentir ce genre
d’informations. En Egypte, la communication est perdue entre
les médias et le gouvernement, on est passé du dialogue au
monologue ».
Quant à Abdallah Al-Sénnawi, rédacteur en chef de
l’hebdomadaire nassérien Al-Arabi, il affirme : « En dépit
des bévues que commettent parfois les médias indépendants et
ceux de l’opposition, ceux-ci restent les plus crédibles vu
qu’ils traitent les problèmes des gens avec sincérité et
sans ce souci d’embellir ». Il rend la monnaie en accusant
les médias officiels de manque de crédibilité. « On diffuse
des déclarations officielles niant la hausse des prix alors
que ceux-ci ne cessent de grimper, on nous annonce des
hausses salariales et la création de nouveaux emplois alors
que la pauvreté et le chômage ne cessent de s’accroître »,
contre-attaque Al-Sénnawi.
Mais Abdallah Kamal, rédacteur en chef de l’hebdomadaire
Rose Al-Youssef, ne voit pas l’affaire du même œil. Il aime
plutôt parler de presse « nationale » et non pas «
gouvernementale ». Pour lui, ce genre de médias est une «
nécessité » pour préserver les principes du métier et
conserver la stabilité de la société « face à cette anarchie
des médias à sensation qui ne cherchent que leurs petits
intérêts ». Kamal estime que ce sont les journalistes de la
presse « nationale » qui se proposent pour faire la
propagande du gouvernement. « Il faut profiter de la marge
de liberté actuelle pour assurer une couverture médiatique
objective, ce n’est pas notre rôle de défendre le
gouvernement à tort et à travers », affirme-t-il.
May
Al-Maghrabi