Art Copte . Considéré
comme l’un des plus importants monuments de Minya, en Haute-Egypte, le
monastère d’Abou-Hennès, qui remonte au Ve siècle, souffre d’une négligence
absolue.
Un joyau à dépoussiérer
A
proximité de la région de Cheikh Ebada, dans les environs de Mallawi, et sur
une superficie de près de 2 hectares s’étale prestigieusement le monastère
antique d’Abou-Hennès, avec son remarquable clocher. Datant du début du Ve
siècle, ce monastère a été fondé par l’abbé Jean le Petit ou Yehnes Al-Qassir. Une
appellation qui lui a été attribuée à cause de sa petite taille. Le monastère
d’Abou-Hennès est considéré par beaucoup d’archéologues non seulement comme
l’un des plus importants monuments coptes de tout le gouvernorat de Minya, mais
en plus de toute l’histoire copte. Une telle importance est due en fait à
plusieurs raisons : son architecture originale, les trésors qu’il renferme, son
emplacement, sur le trajet de la Sainte Famille en Egypte, d’après les
manuscrits coptes, ce qui a décuplé sa valeur à la fois religieuse et
archéologique. Cela sans oublier la période au cours de laquelle le monastère a
été construit. Celle-ci constitue une phase délicate de l’histoire des Coptes
en Egypte. Malgré tous les atouts de ce monastère et son importance archéologique
et religieuse, Abou-Hennès souffre d’une négligence absolue.
Les trésors dissimulés
Le
clocher antique reflète l’ancienneté et la valeur antique de tout l’endroit
avant même de franchir le seuil du monastère. On croyait que les murs étaient
décorés tous de fresques et d’icônes monumentales. Or, ce n’est plus le cas. «
Ia négligence est le maître des lieux par excellence », déplore l’archéologue
Hilal Hennès, du bureau du Conseil Suprême des Antiquités (CSA) à Mallawi. Selon
lui, ce monastère renferme beaucoup d’ornements sous les récentes couches de
teinture et les couches de poussière qui ont caché la splendeur et la valeur
esthétique de l’original qui semble être le joyau de l’art copte. Le monastère
regroupe en fait à la fois le style basilique et byzantin. Le premier est
visible dans les coupoles. Quant au style byzantin, il se voit clairement dans
les couronnes des colonnes qui séparent les portiques du monastère. Malheureusement,
ces éléments architecturaux dont la combinaison est rare sont actuellement
noircis à cause des couches épaisses de poussière.
Cela
dit, l’un des portiques conserve ses ornements anciens. « Le portique est
surmonté de fragments de fresques colorées en bleu, symbole de la pudeur, le
rouge celui du sacrifice et du noir qui représente l’éternité. Aussi, sur l’un
des murs de ce portique est inscrit un texte qui explique le calendrier copte
», explique l’archéologue. D’autres fragments de fresques dont des parties
d’auréole lumineuse qui entouraient les têtes des saints sont vues à peine. Pour
lui, toutes ces fresques ont besoin de nettoyage et de restauration urgents qui
pourraient restituer à la fois non seulement la valeur esthétique de ces
éléments décoratifs, mais encore ces « travaux vont ajouter sûrement beaucoup
de renseignements archéologiques qui restent inconnus pour les spécialistes »,
explique-t-il. C’est le cas des trois autels du troisième portique qui semblent
être les plus importants aux yeux de l’archéologue. L’un de ces trois autels
est consacré à l’Abbé Jean le Petit, le deuxième à la Vierge, quant au
troisième, il porte l’éloge funéraire d’une certaine Vévéronie dont la date
remonte à l’an 910 de notre ère. Sur les murs de ce dernier « ont été trouvées
des inscriptions coptes suite aux travaux de nettoyage et de restauration
partiels qui ont eu lieu il y a quinze ans », affirme-t-il. Selon les
archéologues, ces opérations avaient mis au jour beaucoup d’autres secrets, à
l’instar de l’antique baptistère qui est au nord du deuxième portique. Celui-ci
est construit « de blocs de pierres originaires de corniches égyptiennes dont
les traces sont toujours claires », affirme l’égyptologue Hamada Abdel-Moïne du
bureau du CSA à Mallawi,
Les
restaurations partielles qui ont eu lieu il y a quinze ans ont délivré, d’après
les archéologues, très peu de secrets que garde jalousement le monastère. Ce
qu’on a pu expliquer ce sont beaucoup d’icônes antiques et des croix
égyptiennes en plâtre sur les différents murs. Mais il en reste autant d’autres
à dévoiler et à étudier. Et ce, sans oublier que de nouvelles opérations de
nettoyage et de restauration doivent être menées afin de valoriser les icônes
et les fragments de fresques présents. Les experts espèrent en fait soumettre
tout le monastère à des restaurations et des études minutieuses suivies d’une
sauvegarde urgente.
Doaa Elhami
Un lieu de refuge
Le monastère d’Abou-Hennès a été fondé à une époque tourmentée de l’histoire copte.
La fondation du monastère d’Abou-Hennès a eu lieu pour répondre aux besoins de la communauté copte qui habitait le petit village Yehnes, voire pour abriter les Coptes de plusieurs moyens de persécution. En effet, la date de la construction de ce monastère remonte au début du Ve siècle. C’était « l’âge de la persécution des Coptes par excellence soit par les Berbères ou les Byzantins, sans oublier la diffusion de l’hérésie », explique l’archéologue Hilal Hennès au bureau du Conseil Suprême des Antiquités (CSA) à Mallawi. Selon lui, à cette époque, les Berbères envahissaient les plus fameux monastères de l’Egypte, notamment ceux de Wadi Al-Natroun où sont éduqués la plupart des abbés égyptiens, à l’instar des abbés Bichoy et Jean le Petit. Ces derniers étaient en fait contraints de quitter leur place à Wadi Al-Natroun pour se diriger vers la Moyenne Egypte, et surtout vers Minya, la province natale de l’abbé Jean le Petit. « Là, ce dernier a préféré s’abriter au cœur d’une montagne à Bercha, dans les environs de l’actuelle Mallawi. L’abbé a vécu, en fait, au sein de plusieurs grottes. En plus, il y a bâti plusieurs cellules en brique crue, dont quelques-unes existent jusqu’aujourd’hui. Au bout d’un an, l’abbé a pu rassembler autour de lui 1 200 ermites qui servaient le culte religieux et les secrets saints », explique l’archéologue. Cette petite communauté religieuse avait, alors, besoin de se nourrir. Raison pour laquelle, quelques-uns parmi eux, se sont dirigés vers le village frontalier où ils ont creusé un puits et ont cultivé une superficie de terrain dont les récoltes nourrissaient leur petite communauté. Ces conditions n’ont pas demeuré pour longtemps. « Lors des visites fréquentes de l’abbé et des ermites au village, ils ont constaté que les hérétiques qui niaient la théologie chrétienne et le Christ lui-même ont envahi le village et ont répandu, par conséquent, leur pensée parmi les citoyens », explique l’archéologue. De sa part, l’abbé Jean le Petit a constaté les dangers que confrontent les fidèles. Il fallait alors assurer leur dévotion et leur fidélité. Raison pour laquelle, ce dernier est descendu de la montagne et y a fondé une église à l’est du puits creusé. Pour ce faire, les ermites ont réutilisé les pierres ciselées des carrières proches et des temples pharaoniques des alentours pour construire l’église Abou-Hennès. « On remarque en fait dans quelques endroits des pierres ressemblant aux fameuses talatat d’Akhénaton », suppose Hilal Hennès. Par ailleurs, l’église accueillait d’ores et déjà un nombre infini de persécutés venant des quatre coins du pays qui subissaient beaucoup de souffrances par les Byzantins à cause de la doctrine suivie. Pendant que les Coptes ont pris l’orthodoxie comme doctrine, l’empire byzantin préférait le catholicisme. « Par conséquent, l’église Abou-Hennès a été transformée en monastère pour comprendre tous ces réfugiés persécutés », reprend l’archéologue .
D. E.