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Statut personnel .
Le Centre Al-Nadim, une ong qui lutte contre la violence,
élabore un projet de loi sanctionnant la brutalité contre
les femmes au sein de la famille. Une mesure qui semble être
difficile à appliquer dans une société machiste.
Une violence encore permise
Riham,
17 ans, le corps à moitié brûlé, est venue demander de
l’aide au Centre d’assistance Al-Nadim. Mariée suite à une
histoire d’amour, cela n’a pas empêché son mari de la battre
comme seul moyen de communication dès les premiers jours de
mariage.
Révoltée, elle est partie chez sa mère, mais cette dernière
lui a demandé de retourner chez elle pour préserver son
foyer. « Quelques semaines plus tard, la violence a changé
de visage et il a commencé à me brûler, utilisant soit un
couteau chauffé ou un fer à repasser et avec une atrocité et
une persistance et même mes cris et mes larmes ne l’ont
guère touché », se plaint la jeune femme, tout en ajoutant
que même le fait de porter son enfant ne l’a pas empêché de
la torturer. Riham est arrivée à fuir difficilement de la
maison, ne supportant plus cette violence féroce à son
égard. Un phénomène qui a suscité l’intérêt de plusieurs ONG
depuis les années 1990 et qui semble être amplifié par la
culture de toute une société qui le justifie par des
arguments en soutenant le comportement violent du sexe fort.
Une société, qui même si elle éprouve de la compassion à
l’égard de la femme, lui demande de supporter les actes de
violence du sexe fort. Question de préserver l’unité de la
famille et la stabilité du foyer. Et en 1995, le Centre
Al-Nadim et celui des études de la femme ont révélé que sur
un échantillon de 15 000 femmes, 43 % d’entre elles ont été
victimes de violence au sein de leurs familles. Et jusqu’à
présent, des témoignages de femmes, en plus d’un sondage
effectué par le Centre Al-Nadim sur environ 250 femmes au
Caire, prouvent que la plupart de ces femmes ont subi
différentes sortes de violences au sein de leurs familles.
Une violence qui les a marquées physiquement et
psychologiquement et des cas alarmants qui ont incité le
Centre Al-Nadim à lancer une campagne contre la violence des
femmes au sein de la famille. Par ailleurs, un projet de loi
est en train d’être élaboré criminalisant la violence au
sein de la famille. Et selon Magda Adli, assistante sociale
au centre et responsable du projet de loi, le but est
surtout de sensibiliser la société, de changer la mentalité
d’une société qui considère la violence de la femme au sein
de sa famille comme une affaire personnelle, voire normale
ayant attrait à la supériorité des hommes et la soumission
des femmes. « Nous voulons changer les mentalités des hommes
et même des femmes, tout en considérant la violence au sein
de la famille comme un crime qui mérite une peine sévère »,
explique Adli.
Des coups, des humiliations, de l’inceste, de la torture ou
des hommes qui forcent leurs femmes à faire l’amour.
Différentes formes de violences contre l’épouse, la fille, y
compris les femmes de ménage, sont abordées par le projet de
loi. Et les sanctions sont prononcées suivant la gravité du
délit : Elles prévoient de remettre l’homme à un centre de
formation où il serait initié à de nouvelles normes dans ses
relations au sein de la famille. En cas de récidive, il est
obligé de s’impliquer dans un service social où il doit
acquérir plus de sens humain. En dernier recours, c’est la
condamnation à une amende ou à la prison.
Un projet qui semble, selon beaucoup de spécialistes,
difficile à appliquer dans une société de nature
conservatrice, qui a ses traditions bien ancrées et ses
problèmes. Magda Adli qui prépare le projet pense que cette
loi ne va pas être acceptée facilement et qu’elle rencontre
beaucoup de problèmes pour la présenter au Parlement. « Ce
projet de loi a été accueilli par une vague de protestations
de la part de beaucoup de religieux et certains médias,
surtout à cause de la partie concernant la violence de
l’homme dans la relation sexuelle. Même si beaucoup de ceux
qui ont attaqué le projet ne l’ont pas vu, il semble que
nous faisons de l’autodéfense sans même essayer de
comprendre. Nous avons l’intention de faire plusieurs
campagnes et d’organiser des colloques pour présenter notre
projet de loi aux différentes catégories de la société et
surtout aux victimes, avant de la présenter sous sa forme
finale », explique-t-elle.
Des lois pléthoriques
Dr Ahmad Abdallah, psychiatre, réplique : « Pourquoi ajouter
une autre loi, c’est insensé. Nous avons déjà un tas de
procès pour divorce, plusieurs lois et un système qui
présentent des déficiences. Et si on ajoute dans cette
atmosphère de méfiance existant entre le citoyen et les
instances officielles surtout la police, quiconque maltraite
sa femme ou sa fille serait puni par la loi, cela
aggraverait la situation. Le pouvoir ne parvient pas à
régler le problème de la circulation, arrivera-t-il à régler
des problèmes aussi sensibles au sein du couple ? », en
ajoutant que de nos jours, le pouvoir traite ses citoyens au
bâton. Comment peut-il donc interdire au citoyen d’en faire
autant chez lui ? Dans ce cas, les jeunes hésiteront à se
marier. Dans une société qui compte des milliers de
célibataires âgés de plus de 35 ans et un taux de divorce
qui atteint 45 % par rapport aux mariages, il faut penser
autrement pour préserver la famille et la reconstruire
différemment. Magda Adli pense que beaucoup de femmes
victimes de violence essayent de le prouver à travers des
procès de divorce ou de kholea, mais ne parviennent pas à le
faire à cause des difficultés ou de la position des juges
qui préfèrent plutôt préserver la famille. Et que dans
certains milieux, le fait que la femme soit battue par son
mari est considéré comme une chose normale. Et d’ajouter que
le projet de la loi vise a priori à réformer le couple et
surtout l’homme qui a été éduqué de manière à prouver
toujours sa virilité et sa force envers le sexe faible. « Et
cela ne veut pas dire que chaque femme qui se plaint de la
violence de son mari doit rompre sa relation avec lui. Elle
peut continuer sa vie avec son mari et essayer de corriger
son comportement », dit-elle.
Eviter le scandale à tout prix
Quant à Siham Ibrahim, responsable d’un centre de refuge
pour les filles de la rue, elle reconnaît que la violence au
sein de la famille est un phénomène alarmant, qui a poussé
beaucoup de filles à se retrouver dans la rue. Cependant,
elle explique qu’à chaque fois qu’elle essaye de prouver aux
instances officielles qu’il y a eu violence au sein de la
famille, c’est le calvaire. « Dans des cas de viol par le
père, c’est parfois la mère qui s’oppose, elle refuse de
l’admettre pour préserver son foyer. Et au commissariat, il
est préférable de présenter un certificat prouvant le
déséquilibre psychologique de la fille ou même du père pour
éviter un procès à scandale », dit-elle, tout en ajoutant
qu’elle est obligée parfois de rendre l’enfant à sa famille
bien qu’elle sache qu’il a été la victime d’un acte de
violence qui aurait pu lui coûter la vie. Une culture et une
mentalité d’une société qui n’avoue pas facilement ce genre
de violence et qui est prête à donner des arguments pour
cela. « C’est un père un peu dur, une réponse face à une
plainte d’un père qui torture son enfant avec de
l’électricité. Et la situation s’aggrave quand il s’agit
d’une violence sexuelle. Toute la famille préfère se taire
pour éviter le scandale. L’affaire de la fille du quartier
Al-Saf qui a été violée par son père, et pour que cela ne se
sache pas, son frère l’a brûlée le jour de ses noces. S’il
en est ainsi, que dire de cette loi envisagée permettant à
une femme d’intenter un procès contre un mari qui la
brutalise au cours de l’acte sexuel ? Il va falloir du temps
pour y arriver », dit-elle, tout en expliquant que la fille
est souvent éduquée de manière à supporter la violence de
l’homme, et à apprendre à se taire.
Un avis appuyé par Alaa Abdel-Wahab, avocat du statut
personnel, qui admet que beaucoup de femmes ont commencé à
se plaindre face à la violence et aux mauvais traitements de
leur époux, mais le fait de dévoiler la violence sexuelle
semble être bien plus difficile. Une sorte de tabou. « La
femme qui subit un harcèlement ou un viol d’un étranger
trouve beaucoup de difficultés à l’avouer même avec toute sa
souffrance, alors comment peut-elle le dire si l’agresseur
est son époux ? Ce n’est pas réalisable, même si dans des
procès de divorce, on peut déduire que la femme souffre de
ce genre de violence. Elle ne l’avoue pas dans la plupart
des cas et cite d’autres problèmes. D’autres pensent que
c’est une affaire familiale qui doit rester dans le secret.
Question de pudeur et de conservatisme », dit-il. Cependant,
il admet le fait de renforcer les peines en cas de crimes
familiaux qui sont parfois allégées parce qu’un père a le
droit de corriger sa fille ou son épouse. Un fait qui
justifie ce genre de comportements dont souffrent les
femmes. « Ce sont les femmes parfois qui soutiennent les
actes de violence en gardant le silence ou en restant
soumises », dit Siham, tout en citant l’exemple d’une prof à
l’université qui refuse de se plaindre de son mari qui l’a
frappée à cause de son entourage qui ne cesse de lui répéter
: bon nous avons toutes été battues. Et cette autre
fonctionnaire qui a insisté pour porter plainte contre son
mari considérant son geste comme une atteinte à sa pudeur et
son humanité. Cependant, selon elle, il faut mener beaucoup
de campagnes de sensibilisation pour que les femmes
connaissent leurs droits. « Il faut aussi retourner à notre
religion qui a bien établi les bases de la relation humaine
entre hommes et femmes et qui est souvent mal interprétée et
malheureusement toujours en faveur des hommes ».
Et si Dalia, traductrice et mariée depuis dix ans, pense
qu’un tel projet de loi peut restituer le droit de la femme,
victime de viol, Réda, femme de ménage, pense qu’il est
difficile d’aller se plaindre contre un mari. « C’est plutôt
une loi pour les cultivés, sinon il faut d’abord expliquer à
l’homme de la classe défavorisée, frustré par beaucoup de
problèmes et ne trouvant devant lui que sa femme pour
prouver sa virilité, même par la force, le sens du mariage
et de la relation du couple avant de le punir », conclut
Alaa Abdel-Wahab .
Doaa
Khalifa
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Une affection par trop
agressive
Un article du projet de loi prévoit également de sanctionner
le viol conjugal. De quoi engendrer des réactions en chaîne.
Enquête.
« Je me sens comme un pissoir dans lequel mon mari vient
déverser son sperme. Même après une grande dispute, il me
force à faire l’amour, alors qu’il vient de m’offenser. Il
veut me prouver qu’il est le plus fort et qu’il peut
m’humilier. Cette loi qui punit les maris est un châtiment
pour tous ceux qui sont incapables d’éprouver le moindre
respect pour leur femme », confie Chérifa, 35 ans,
journaliste mariée depuis 11 ans. Il semble que les viols
conjugaux sont de mise, ce qui a suscité un projet de loi
présenté par le Centre Al-Nadim pour l’assistance aux
personnes victimes de la violence, sur la violence à l’égard
des femmes, qui est à l’ordre du jour. Un article concernant
les femmes violées par leur mari a pour but de les
sanctionner. Et bien qu’il n’ait pas été discuté encore au
Parlement, ce projet a soulevé un tollé.
« Il est temps de changer cette culture machiste qui prend
de l’ampleur dans notre société. Une idéologie suivant
laquelle l’homme domine socialement la femme et a droit à
des privilèges de maître. Et donc, il peut utiliser son
corps à n’importe quel moment de la journée et à la manière
qui le satisfait sans se soucier de son état d’âme »,
explique le Dr Magda Adli, membre au Centre Al-Nadim. Cette
dernière dirige actuellement une campagne contre le viol des
femmes. Selon elle, cette culture doit changer et il faut
instaurer le respect des besoins de la femme et essayer de
comprendre sa psychologie. « On prétend que le devoir de la
femme est d’être prête à assouvir les besoins sexuels de son
mari pour éviter qu’il n’aille vers une autre femme.
Pourtant, il contrôle bien ses désirs sexuels lorsque sa
partenaire a ses règles. Il lui arrive même de s’abstenir de
coucher avec elle les trois premiers mois de la grossesse
quand le médecin le lui demande et ce parce qu’un enfant est
une source d’espoir pour lui », explique Adli. Et de
poursuivre : « Gare à la femme qui refuse de se soumettre à
la volonté de son mari ». Du côté de la population, ce
projet de loi ne fait évidemment pas l’unanimité surtout
parmi les hommes. « Ce genre de viol ne doit pas figurer
comme une priorité sur l’agenda de ces centres. Qui dicte la
liste des priorités ? Est-ce des ordres dictés de
l’extérieur pour obtenir des sommes d’argent ? Ce n’est pas
un phénomène », explique Omar, ingénieur de 37 ans.
Le mouvement féministe divisé
Ce projet de loi a été discuté dans les ONG qui s’occupent
des femmes, il y a un an avant d’être abordé par les médias.
Les responsables du centre tentent d’obtenir l’accord du
mouvement féministe afin de le présenter comme un travail
commun. Selon Nihad Aboul-Qomsane, présidente du Centre
égyptien des droits de la femme, le projet de loi n’a pas
beaucoup de chance d’aboutir. « Tout d’abord, il est
difficile d’imposer cette loi de point de vue pratique.
Comment prouver ce genre de viol et rendre cette loi valide
? », s’interroge Nihad, avocate qui a refusé de signer ce
projet de loi. « Si la relation conjugale atteint ce stade,
pourquoi ne pas recourir au divorce ou au kholea qui sont
des solutions plus simples, au lieu de vivre avec un mari
que l’on veut envoyer en prison ? Avons-nous besoin de
placer un policier sous le lit pour organiser cet acte
intime ? », s’interroge la féministe. Cet article, selon la
même source, risque de faire reculer le mouvement féministe
en Egypte. « Alors que nous avons déployé de grands efforts
ces dernières années pour prouver à l’opinion publique que
nous sommes sérieuses et que nous touchons de vrais besoins
dans la société, une telle démarche va accentuer le fait que
nous semons des idées importées. Cela va donner à certains
l’image caricaturale du mouvement féministe que nous sommes
en train de changer. Cet article de projet de loi sera
l’anecdote de l’année. Une occasion à saisir pour ceux qui
veulent entraver le parcours du mouvement féministe »,
juge-t-elle.
La charia musulmane a bien abordé la question de la relation
intime dans la sourate Al-Nissaa (les femmes) et Al-Roum
(les romains). Clémence et pitié sont les mots-clés de la
relation conjugale. Le prophète a interdit aux maris de se
jeter sur leur femme comme des animaux.
Or, selon cheikh Moawad Awad, président du Comité de la
fatwa à Al-Azhar, la femme doit satisfaire les désirs de son
mari et par la manière qui le convient. Elle ne doit
s’abstenir qu’en cas de maladie, en période de règles ou
pour d’autres raisons légitimes. D’après la sexologue Héba
Qotb qui a effectué sa thèse de doctorat sur l’islam et le
sexe, la sexologie comme science a figuré en islam depuis
longtemps, alors que l’Occident l’a connue dans les années
1950 du siècle précédent. Il existe des versets du Coran où
l’on a abordé avec beaucoup de subtilité la relation
sexuelle comme l’importance de changer de positions, d’heure
et d’endroits pour casser la monotonie qui risque de nuire
au couple. Une chose que tous les sexologues modernes
conseillent pour éviter la routine. Cette éducation sexuelle
que le Coran cite avait pour but de créer le maximum de
plaisir pour l’homme et la femme. Le problème, c’est la
mauvaise interprétation toujours en faveur des hommes et non
des femmes.
« Violer sa femme » est une expression inacceptable,
d’après l’écrivain Moustapha Bakri, député au Parlement qui
refuse en principe cet article du projet de loi. « C’est une
ingérence dans la vie du couple. Comment accepter qu’un juge
organise des relations aussi intimes ? Et quelle est la
femme qui aura le courage d’agir ainsi ? Ce serait une
atteinte à cette union sacrée. Il ne faut pas et sous aucun
prétexte dévoiler les secrets d’un couple », précise Bakri.
Pourtant, les femmes souffrent de la violence. Le Centre
national des études démographiques a effectué une recherche
sur un échantillon de 7 000 femmes dans les régions rurales
et urbaines. Résultat : 69,1 % de femmes sont battues si
elles refusent de faire l’amour avec leur mari. Une large
tranche de l’échantillon figure dans la campagne égyptienne.
« Pourquoi une partie de la société est-elle condamnée à
souffrir en silence ?, rétorque le Dr Magda. Et pourquoi le
mari veut-il avoir tous ses droits et priver sa femme de
tous les siens ? Les traditions exigent de la femme de tout
supporter pour l’équilibre de sa famille. Ce n’est pas
juste, d’autant plus que cela contredit les conventions
internationales ratifiées par l’Egypte interdisant toute
violence envers les femmes ».
Et entre deux camps opposés, un troisième tente de trouver
un compromis. Selon la féministe Fardos Al-Bahnassi, une loi
ne peut pas régler un problème aussi délicat concernant la
relation privée du couple. Il faut plutôt changer de
culture, d’éducation. Une éducation qui doit commencer
depuis l’âge tendre et qui apprendra à tout le monde à mieux
comprendre les besoins de la femme, sa psychologie, à la
respecter et la considérer comme un partenaire. D’un autre
côté, la femme ne doit en aucun cas accepter d’être humiliée
même si cela va lui coûter une séparation.
Un long
chemin à
parcourir.
Dina
Darwich
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