Subventions .
Depuis un an, le nouveau système des cartes d’approvisionnement
électroniques est appliqué dans le gouvernorat de Suez. Objectif
: contrôler la distribution des produits subventionnés et
réduire le gaspillage et le trafic.
un
premier test
Suez, De notre envoyé spécial —
Deux heures et demie séparent Le Caire du gouvernorat de Suez.
Celui-ci est connu par le niveau de vie assez élevé de ses
habitants dont une bonne partie travaille dans le secteur
pétrolier. L’année dernière, le gouvernement a choisi Suez pour
y appliquer l’expérience de la « carte intelligente ». Cette
carte qui remplace l’ancienne carte d’approvisionnement vise à
mieux contrôler la distribution des produits alimentaires
subventionnés par l’Etat. Elle ressemble à une carte de crédit
bancaire et permet à son titulaire de recevoir sa part de
produits subventionnés comme le sucre, l’huile, le thé et le
riz. La mise en circulation de cette carte électronique vise,
selon les responsables, à présenter un service de qualité aux
citoyens et éviter le gaspillage des produits. Au début, les
habitants s’interrogeaient sur le bien-fondé de cette carte.
Pourtant, un an après sa mise en vigueur, l’expérience semble
réussir. « Autrefois avec l’ancienne carte, les gens pouvaient
être victimes des commerçants. Certains marchands détournaient
les marchandises et les revendaient à des prix élevés »,
explique Yassine Ibrahim, un retraité venu pendre sa part
d’approvisionnement.
Avant de recevoir sa part mensuelle du tamwine
(approvisionnement), Yassine doit faire quelques mesures. Tout
d’abord, il doit insérer la carte dans une machine qui se trouve
chez le marchand et taper un code secret (mot de passe). La
machine affiche alors la liste des produits auxquels le
consommateur a droit et le prix de chaque produit. Les produits
fournis sont un paquet de sucre, un litre d’huile et un paquet
de riz. Trois produits qui figuraient sur les anciennes cartes
d’approvisionnement ont été annulés : les fèves, le beurre et
les lentilles.
Les cartes d’approvisionnement ont fait leur apparition en
Egypte en 1945 au moment de la crise économique qui a suivi la
deuxième guerre mondiale. Objectif : ravitailler tous les
citoyens en produits de première nécessité à des prix
abordables, à savoir, sucre, huile, thé, farine, viande, poivre,
œufs et beurre. Le système a été maintenu sous Nasser. L’Etat a
continué à subventionner les produits de première nécessité.
Durant les années 1980 et 1990 et avec la libéralisation du
commerce et l’ouverture économique, la carte d’approvisionnement
a beaucoup perdu de son importance et seuls l’huile, le sucre,
le thé et le riz étaient distribués et subventionnés par l’Etat.
En 2004, le gouvernement de l’ex-premier ministre, Atef Ebeid, a
eu recours à la carte d’approvisionnement pour atténuer la
hausse des prix. La liste des produits fournis comprenait un
forfait de 4 kilos de riz, 4 kilos de sucre, 2 litres d’huile et
200 grammes de thé pour 5,2 L.E. D’après les chiffres fournis
par le ministère de la Solidarité sociale, il existe
actuellement 10 millions 700 000 cartes d’approvisionnement.
La
subvention des produits alimentaires coûte annuellement à l’Etat
environ 10 milliards de L.E. Or, la hausse continuelle des prix
des denrées de base, comme le blé, sur les marchés mondiaux a
alourdi la charge financière qui pèse sur le gouvernement. Ce
dernier cherche désormais à réduire le fardeau des subventions.
Craignant que leur levée, même partielle, n’entraîne des émeutes
ou des troubles sociaux à l’instar de ceux qui se sont produits
en 1977, le gouvernement a décidé d’appliquer le nouveau système
dans un seul gouvernorat à titre d’expérimentation. Et si
l’expérience réussit, elle peut être généralisée.
C’est dans ce contexte que Suez a été choisi. Ce gouvernorat
constitue un choix idéal car géographiquement loin du Caire. «
La première chose à laquelle nous avons pensé a été de réduire
le trafic des produits subventionnés. C’est le but visé par la
mise en service des cartes intelligentes », souligne Sobhi
Yassa, directeur de l’administration de l’approvisionnement. Et
d’expliquer qu’avec l’ancien système, certains commerçants
n’hésitaient pas à signer sur les registres au nom des
consommateurs. Et ensuite, ils détournaient la marchandise et la
vendaient au marché noir. Et d’affirmer que les cartes
électroniques ont permis de résoudre ce problème, car les
commerçants ne peuvent plus simuler les signatures des
consommateurs.
«
Certains produits s’accumulaient chez les vendeurs jusqu’à ce
que leur date d’expiration soit atteinte, ce qui représentait
une grande perte », explique Sobhi Yassa affirmant que la carte
intelligente a permis depuis sa mise en place de réaliser 27 %
d’économies. Selon Sobhi, une étude est actuellement en cours
pour déterminer les catégories de la population qui seront
bénéficiaires de la carte. « Nous allons répertorier les gens
selon leurs revenus ». Par exemple, les employés des grandes
sociétés, les expatriés et les personnes qui travaillent dans
des professions libérales ne bénéficieront pas de la carte. «
Notre but est d’éliminer les gens qui ne méritent pas ce service
pour le donner aux gens qui le méritent plus », conclut Sobhi.
Une initiative positive a été prise. Des responsables se rendent
dans les zones lointaines et désertiques des bédouins pour leur
faire faire des cartes intelligentes « Nous nous sommes rendus
dans la région de Bir Sabea, une zone désertique où il y a un
rassemblement de bédouins pauvres. Nous avons recueilli toutes
les informations nécessaires pour leur faire sortir des cartes.
Ces gens méritent ce service, mais ils ne savent pas comment
l’obtenir », explique Imane Sayed, responsable au secteur de
l’approvisionnement.
L’expérience semble réussir. « Ce système est préférable.
Auparavant, il y avait des problèmes avec les clients. Et nous
étions toujours les accusés. Mais maintenant chacun sait son dû
», lance un commerçant. Le gouvernement verse à chaque
commerçant 1 L.E. par client. Les citoyens, eux, ne semblent pas
mécontents du nouveau système, mais formulent des critiques. «
L’un des inconvénients de ce système est qu’il faut aller
chercher son approvisionnement avant le 30 du mois, sinon on le
perd. Moi, je perçois mon salaire le 1er du mois », lance Sayed
Mohamad, l’un des habitants. D’autres sont mécontents car
certaines denrées ont été supprimées « Bien que les produits ne
soient pas d’une excellente qualité, nous avions besoin de
lentilles et de fèves. Mon mari est un simple pêcheur et notre
revenu ne dépasse pas les 300 L.E. », affirme Racha, mère de
famille.
L’expérience de la carte intelligente a commencé à être
appliquée dans certains gouvernorats, comme Port-Saïd. D’autres
gouvernorats vont suivre l
Sabah Sabet
Mohamad Seif Galaleddine, gouverneur du Suez. Il fait le point
sur le nouveau système.
Al-Ahram Hebdo : Pourquoi le gouvernorat de Suez a-t-il été
choisi pour lancer l’expérience de la carte intelligente ?
Mohamad Seif : Tout d’abord, Suez est surnommé le gouvernorat de
la ville unique, parce qu’il ne compte en effet qu’une seule
ville et un nombre restreint d’habitants (...) ce qui le rend
propice à une évaluation d’une nouvelle expérience. En outre,
notre gouvernorat a été l’un des premiers à s’être doté d’une
base de données renfermant un recensement de sa population et
des informations détaillées sur les conditions socio-économiques
de celle-ci. Cela est primordial, quand il s’agit d’identifier
ceux qui ont besoin d’être inclus dans un programme de
subvention alimentaire ...
—
Mais certains trouvent que ce choix obéit à des considérations
sécuritaires : Suez est un petit gouvernorat assez loin du Caire
et si jamais des troubles y éclatent comme réaction au nouveau
système, ils pouvaient être facilement endigués ...
—
Ces interprétations n’ont rien à voir avec la réalité. Pour y
répondre, j’utiliserai les déclarations du président Moubarak
qui a affirmé à plusieurs reprises qu’aucun citoyen démuni ne
sera privé de la subvention. Ce que le gouvernement essaye de
faire actuellement c’est simplement d’essayer de donner la
subvention à ceux qui la méritent vraiment. D’autre part, ceux
qui appréhendent le remplacement de subvention par une
assistance financière n’ont pas de raison de s’inquiéter. Encore
une fois, je rappelle que le président a rassuré en affirmant
qu’une telle décision ne sera prise avant un débat national
élargi pour mieux en évaluer les avantages et les désavantages
et parvenir à la formule satisfaisante pour la majorité des
citoyens.
—
Voilà un an que votre gouvernorat applique ce nouveau système,
comment évaluez-vous l’expérience ?
—
L’expérience a très bien réussi, d’ailleurs son succès a été
salué par le premier ministre, Ahmad Nazif, et par le ministre
de la Solidarité sociale, Ali Mosselhi. Ce qu’ils ont vu sur le
terrain ici va sûrement les encourager à élargir à d’autres
gouvernorats l’application de ce système.
Mais loin des appréciations officielles, je peux vous affirmer
qu’au niveau des citoyens, tout le monde y a trouvé son compte.
Ceux qui ont droit aux denrées subventionnées ont pu optimiser
leur gain, les commerçants, de leur côté, sont payés une L.E.
contre chaque carte intelligente, ce qui leur fait gagner une
bonne somme supplémentaire à la fin du mois, et finalement le
gouvernement a réussi à réduire les pertes des produits
subventionnés qui ne trouvaient pas de consommateurs ou qui
tombaient entre les mains de ceux qui ne les méritaient pas. La
réussite de ce système a encouragé certains ministères à
chercher à l’appliquer dans leurs domaines respectifs. Des
études sont actuellement en cours pour utiliser cette même carte
dans d’autres services notamment l’assurance médicale et le
versement des allocations retraite .
Propos
recueillis par Sabah Sabet |