Géorgie .
L’opposition dénonce les résultats de la présidentielle
anticipée remportée par Mikhaïl Saakachvili avec 52,8 % des
voix, lequel a notamment joué la carte de l’adhésion à
l’Otan.
Le sentiment national l’emporte
Entre
5 000 et 10 000 manifestants ont répondu à l’appel de
l’opposition et ont déferlé, dimanche dernier, dans les rues
de Tbilissi pour dénoncer le résultat de la présidentielle
anticipée organisée un jour plus tôt : « Nous ne croyons pas
aux chiffres de la commission électorale. Nous voulons un
second tour », a déclaré Tamara Roukhadzé, porte-parole du
principal candidat de l’opposition, Levan Gatchetchiladzé,
qui a remporté 27 % des voix. Lors de la manifestation,
certains leaders de l’opposition ont, toutefois, adopté un
ton plutôt conciliant, annonçant qu’ils ne voulaient « pas
de révolution » et qu’ils contesteraient les résultats par
des moyens « politiques » et « juridiques », devant les
tribunaux.
En effet, après une grave crise qui avait secoué le pays en
novembre dernier, le président géorgien, Mikhaïl Saakachvili,
a été réélu, dès le premier tour, avec 52,8 % des voix, lors
d’un scrutin anticipé organisé par le président pour mettre
fin au chaos politique. M. Saakachvili a été le favori de la
présidentielle face à 6 de ses adversaires, même si son
image de démocrate fervent, était ternie par sa gestion de
la crise de novembre dernier : dure répression des
manifestations et instauration d’un couvre-feu pendant 9
jours. Selon les analystes, l’organisation d’un scrutin
anticipé, alors que son mandat devrait expirer fin 2008,
était un jeu bien calculé de la part du « meneur de la
Révolution des roses en 2003 » pour se donner une nouvelle
légitimité à la tête du pays face à ses opposants qui ne
cessent pourtant de contester le résultat du scrutin,
réclamant un second tour.
Or, les accusations de l’opposition semblent infondées et
dénuées de crédibilité non seulement par le camp du
président, mais surtout par les observateurs de
l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe
(OSCE) qui ont supervisé le scrutin : « La démocratie a
marqué un point triomphal en Géorgie. L’élection était
valide et avait offert une réelle concurrence entre les
candidats », a affirmé Alcee Hastings, chef de la mission
d’observateurs. Selon la commission électorale,
l’organisation d’un second tour réclamé par l’opposition
semble désormais chimérique puisque le scrutin était valide
et que le président avait déjà dépassé la barre de 50 %. «
Le président a remporté le scrutin car il a bravement joué
sur les fibres nationales, en promettant à son peuple de
reconquérir l’Abkhazie et l’Ossétie du sud, deux provinces
séparatistes géorgiennes qui militent pour leur
indépendance, avec le soutien de Moscou », analyse le Dr
Hicham Ahmad, professeur à la faculté de sciences
économiques et politiques, à l’Université du Caire.
L’Abkhazie et l’Ossétie du sud sont devenues de facto
indépendantes après des conflits sanglants avec Tbilissi au
début des années 1990, après la chute de l’URSS. Selon le Dr
Hicham, faire de la question nationale et de l’intégrité
territoriale une priorité a largement favorisé la réélection
du président connu pour son audace et ses prises de risque.
L’adhésion à l’Otan
Autre carte maîtresse bravement jouée par M. Saakachvili,
son engagement à faire adhérer la Géorgie à l’Otan, un rêve
qui hante fort les Géorgiens. Liant sa réélection à la
concrétisation de ce rêve populaire, le président a
organisé, le jour même du scrutin, un référendum sur
l’adhésion du pays à l’Otan. Comme s’il voulait dire : « Si
vous voulez l’Otan, vous n’avez qu’à me réélire ». Et le
peuple a suivi car depuis son arrivée au pouvoir, M.
Saakachvili a déployé des efforts monstres pour séduire
l’Otan : augmenter les dépenses militaires et la
contribution de la Géorgie au contingent de paix en Iraq à 2
000 soldats, entreprendre de larges réformes économiques qui
lui ont permis de réduire l’effet de l’embargo imposé par la
Russie ... Des efforts qui risquaient de voler en éclats
suite aux troubles de novembre qui menaçaient l’intégration
du pays à l’Otan et son rapprochement avec l’Union
européenne. En novembre, les capitales occidentales ont vite
condamné les mesures anti-démocratiques entreprises par le
président et ont revendiqué la consolidation du processus
démocratique. « Avec ce scrutin anticipé, la Géorgie vise à
redorer son image de pays démocratique afin d’adhérer à
l’Otan. En effet, cette adhésion servira de rempart contre
l’hégémonie russe. Si des forces atlantistes sont déployées
en Géorgie, le président pourrait facilement réprimer les
mouvements indépendantistes en Abkhazie et en Ossétie du sud
sans craindre une intervention russe pour soutenir ces
provinces rebelles », analyse le Dr Hicham Ahmad. N’oublions
pas que la Russie tient toujours à alimenter tout mouvement
indépendantiste dans les Républiques de l’ex-Union
soviétique pour y fomenter des troubles continus et par
suite leur donner l’impression qu’elles ont toujours besoin
de sa protection. Mais, jusqu’à présent, ce jeu russe n’a
remporté aucun fruit avec M. Saakachvil connu par ses prises
de risque et disposé à tout endurer pour se distancier de
Moscou et s’ancrer à l’ouest.
Héros de la Révolution pro-démocratique dite « de la rose »
en 2003, M. Saakachvili avait été élu début 2004 avec 96 %
des voix, renversant le régime autoritaire d’Edouard
Chevardnadze. M. Saakachvili, formé aux Etats-Unis et en
Europe, prônait des idées démocratiques et un ancrage de son
pays à l’ouest, au grand dam de Moscou qui a imposé en 2006
un blocus économique à Tbilissi. Or, avec les jours, le
nouveau président a déçu son peuple : concentration des
pouvoirs, restrictions à la liberté d’expression, dure
répression de l’opposition ... Mais, ce n’est qu’en
septembre que les événements s’étaient précipités, quand le
ministre Irakli Okrouachvili a accusé le président de divers
crimes. Sous prétexte de corruption, les autorités ont
arrêté ce ministre, ce qui a engendré, le 2 novembre, de
graves manifestations où 100 000 opposants réclamaient,
pendant 5 jours, une nouvelle révolution et l’instauration
d’un régime parlementaire. Face à cette vague qui risque de
le bouleverser, le président a imposé un couvre-feu, a
réprimé violemment les manifestants et a convoqué une
présidentielle anticipée le 5 janvier. « Il y avait plus de
pluralisme sous Chevardnadze, parce qu’il était plus faible.
Il est vrai que Saakachvili a renforcé l’armée, réduit la
corruption, mis en œuvre beaucoup de réformes, tente de
faire adhérer le pays à l’Otan et à préserver l’intégrité
territoriale, mais malheureusement, il n’applique pas les
principes démocratiques qu’il avait prônés il y a 4 ans »,
déplorent les analystes .
Maha
Al-Cherbini