Cinéma .
L’an 2007 vient de s’achever en apothéose avec Chikamara,
film-phare de la comédie populaire, qui a permis à la jeune
comédienne May Ezzeddine d’être seule en tête d’affiche. Un
come-back réussi des farceuses sur l’écran.
Les comédiennes haut la main
Parmi
les films événements de cette saison cinématographique
d’hiver, Chikamara interprété par May Ezzeddine, qui lui a
permis de prendre la tête du peloton. Une aventure qui ouvre
un certain débat sur le changement de l’image de la jeune
première et de la farceuse dans les films égyptiens.
Chikamara, ce nom n’est pas étranger à ceux qui connaissent
le cinéma indien. C’est en effet celui d’un des caractères
les plus connus des films indiens des années 1980. Cette
figure de scène, forte d’un potentiel cinématographique
élevé, se retrouve aujourd’hui sur les écrans égyptiens,
mais dans un cadre purement ironique. Il s’agit d’une jeune
fille modeste, qui se trouve obligée d’assurer sa survie
dans une société assez masculine. Personnage populaire
quoique sympathique, quoique bonimenteur, cette fille trouve
du travail comme chauffeur de microbus. D’où commence une
série d’aventures.
Le film est sans conteste une réussite pour le cinéma
féminin, même si l’œuvre tombe parfois dans la vulgarité et
la moquerie.
C’est une comédie, certes. Mais c’est bien plus que cela. «
C’est un appel aux écrivains et aux producteurs de confier
le vedettariat aux jeunes comédiennes en tant que stars
d’affiche. Plus le monde a tendance à se viriliser, plus
j’ai envie de m’engager dans cette voie. Les comédiennes ont
légitimement le droit de concurrencer les hommes. Je
voudrais également que les spectateurs sortent des salles un
peu apaisés, comme si Chikamara leur avait massé l’âme »,
avoue le réalisateur. Qu’il se rassure, l’initiative en vaut
la chandelle, d’autant plus que le film a dépassé les dix
millions de recettes dans les deux semaines suivant sa
sortie. D’où l’intérêt à se pencher sur l’histoire des
comédiennes et les farceuses dans le cinéma égyptien.
Rire de soi
L’analyse du classement des films égyptiens qui ont le plus
marqué le public au cours des dernières années confirme en
fait que le cinéma égyptien excelle dans la comédie, voire
la satire de la société. Le succès des films de Naguib
Al-Rihani, de Fouad Al-Mohanddes et de Adel Imam sur la
bureaucratie, la pauvreté ou même le terrorisme l’atteste,
d’autant plus que le public a manifesté un goût pour moquer
les infortunes de personnages qui lui ressemblent.
Selon sa conception, la comédie consiste, en général, à
dénoncer les défauts et travers de la société à une époque
donnée en présentant des personnages de souche modeste ou
moyenne qui suscitent le rire ou la dérision dans des
intrigues aux issues heureuses.
Ce genre comique a catapulté naguère des actrices de la
trempe de Marie Mounib, Zeinat Sedqi ou Chéwikar vers le
sommet dans le top du box-office. De nos jours, outre May
Ezzeddine, la comédienne Yasmine Abdel-Aziz a pu s’affirmer
en star, il y a un an, dans la comédie Haha et Toffaha, aux
côtés de Talaat Zakariya.
Dans ce film, elle campe avec intensité une héroïne que les
gens trahissent, rejettent, mais qui transcende leurs
lâchetés et leurs ruses, en tant que personnage qui assume
la responsabilité de ses actes et ses rapports aux autres.
Une attitude qui s’inscrit dans la démarche de l’artiste. «
Je pense que les comédiennes, qui se prennent le chou en
craignant d’être responsables d’un film et de son succès
auprès du public, ignorent que le risque est inhérent à leur
métier, et passent à côté de l’essentiel à assumer »,
affirme Yasmine Abdel-Aziz, soulignant que la plupart des
comédiennes de sa génération rechignent à prendre le pari de
réussir en se risquant à des rôles peu usuels. Une autre
figure de proue, c’est Abla Kamel qui a commencé par jouer
dans des mélodrames avant de virer vers la comédie avec
Mahmoud Abdel-Aziz dans le film Sayedati anessati (mesdames
et mesdemoiselles) signé Raafat Al-Mihi, et notamment dans
Hesteria (hystérie) avec Ahmad Zaki. Mais, c’est le film
Al-Limbi qui lui vaut ses galons de prestige, où elle
incarne Faransa, cette dame vulgaire qui essaye de vivre
selon ses propres lois. Depuis, elle occupe aisément la tête
d’affiche dans des comédies telles Khalti Faransa (tante
Faransa). Toutefois, le film et le caractère de Faransa ont
été fort vilipendés par la critique. « Le rôle d’une actrice
est d’expérimenter et de brusquer les attentes, sinon, elle
tombe dans une routine fatale pour sa carrière », se défend
Abla Kamel.
Une industrie masculine
D’après les critiques et les théoriciens, le développement
et l’orientation du cinéma sont l’affaire d’hommes qui en
dictent les règles. Il en résulte une image de la femme
conforme à des approximations masculines, et des attentes
qu’elles font satisfaire tantôt ou déçoivent. Cela s’en
ressent au cinéma plus que dans la littérature héritière
d’un plus long métissage. Cependant, l’évolution du septième
art s’est réalisée parallèlement à l’une des mutations
capitales du siècle : l’émancipation de la femme et la
totale remise en question de la condition féminine. « Miroir
de notre temps », le cinéma a été marqué par cet impact et
sa vision de la femme s’en est infléchie. Il suffit, pour
s’en rendre compte, de comparer les caractères joués par
Leïla Mourad et Raqia Ibrahim dans les anciens films de
Mohamad Abdel-Wahab et ceux joués par Chadia, Soad Hosni ou
Nadia Loutfi dans les films des années 1960 et 70.
D’où la variété et la complexité du thème féminin au fil de
l’histoire du cinéma. Le mythe de la femme lui doit certes
un nouvel essor. Non seulement, il a induit un deuxième
souffle à des héroïnes littéraires, telles Wédad, Zeinab ou
Fatma, mais il a également créé des figures originales. A
côté des représentations idéales, le nouvel art, par sa
puissance incomparable d’approfondissement de l’expression
du visage et ses possibilités quasi illimitées
d’interprétation, devait, en cernant le mystère féminin,
nous rapprocher des femmes réelles. Parce qu’autant branchés
sur la révolution actuelle que fixés sur l’« éternel féminin
», ces poètes authentiques devenaient des révélateurs du moi
intime de la femme.
C’est peut-être une actrice égyptienne, Faten Hamama, qui
confère le visage le plus juste à ce nouveau type de femme
dont la beauté réside dans une dignité sans cesse à
reconquérir, dans la fierté de devenir soi, dans la
générosité jointe à l’exigence.
Une nouvelle image féminine est venue s’imposer au cinéma
des années 1980, celle de la femme séductrice : « Je me suis
vouée à représenter l’image d’une beauté qui peut flatter
ces milliers de désirs sans espoir d’assouvissement. Je suis
ce que cet adolescent ne trouvera jamais, et ce que pendant
de longues années, ce vieillard chercherait en vain, et ce
que cette femme aurait voulu être, afin de retenir celui qui
l’a trahie ». Tel est l’aveu que Wahid Hamed met sur les
lèvres de Nabila Ebeid, dans une scène du film Al-Raqéssa
wal siyassi (la danseuse et le politicien), mis en scène par
Samir Seif.
Cette image inaccessible, insaisissable, constitue sans
doute l’apogée de l’expression féminine au cinéma. Des
comédienne telles Nabila Ebeid et Nadia Al-Guindi, suivies
de Yousra et Leïla Eloui, ont pu conférer une dimension
épique à cette image de sex-bomb ou plutôt de jeune première
convoitée de tous.
Pas loin de cette image vient celle de La femme désirée. A
l’instar de Marilyn Monroe dans le cinéma hollywoodien, Hind
Rostom est venue s’imposer dans les années 1960 comme « la
séductrice triomphante, ajoutant au charme personnel de la
femme le prestige artificiel de la vamp, créature impudique,
dont les formes sont rendues plus affriolantes par les
parures qui les enveloppent ou les dévoilent », affirme
Seifeddine Daoud, chercheur auprès de l’Académie des arts.
Objet de caprice, poupée de chair et d’os dont les
interprétations ont été sans cesse admirées par le public,
elle figurait la créature tant adulée par les hommes, dont
l’étreinte renforce le sentiment de virilité et de séduction
masculine. Mais plus révélatrice encore est l’évolution
interne de certaines vedettes vouées de prime abord à jouer
la séductrice. Hind Rostom, dont la beauté physique
composait au début tout le programme, conquit sa dignité
pour atteindre l’authentique dans Chafiqa al-qébtiya (Chafiqa,
la copte). Aux dires de Hassan Al-Imam, « bien plus que ses
atouts physiques, c’était son dynamisme intérieur qui
charmait, une opulence rafraîchissante, une ferveur juvénile
».
Néanmoins, il faut souligner que l’évolution de la condition
et de l’image de la femme sur l’écran ressemble assez à
celle du cinéma égyptien en général, où l’on avance deux pas
pour reculer autant. Une certaine détérioration affecte
aujourd’hui l’image de la jeune première, d’où la nécessité
de se ressourcer aux œuvres littéraires pour restaurer les
caractères féminins les plus recherchés et les plus
authentiques.
Yasser Moheb