Kenya .
Sous la pression américaine, gouvernement et opposition
multiplient les signes d’apaisement, au moment où le
président ghanéen John Kufuor entame une médiation au nom de
l’UA.
Décrispation
Réagissant
aux médiations et aux pressions de la communauté
internationale, notamment celle des Etats-Unis, le président
kényan Mwai Kibaki, dont la réélection est contestée par
l’opposition, a fait une petite ouverture en invitant lundi
son rival Raila Odinga à le rencontrer vendredi, pour tenter
de sortir de la crise majeure secouant le Kenya. « Le
président Kibaki a invité le leader de l’ODM (Mouvement
démocratique orange) du leader Raila Odinga à une rencontre
pour un dialogue visant à la fin des violences dans le pays,
à la consolidation de la paix et à la réconciliation
nationale », a annoncé la présidence. Tout en acceptant
cette initiative, M. Odinga a conditionné mardi la rencontre
avec le président à la présence d’un médiateur
international, le président du Ghana, également président en
exercice de l’Union Africaine (UA), John Kufuor. Celui-ci
était attendu mardi après-midi à Nairobi.
Le fait que le M. Kibaki invite son rival apparaît comme une
réponse aux critiques sévères formulées lundi par la
secrétaire d’Etat adjointe américaine chargée des Affaires
africaines, Jendayi Frazer. « Ils (les Kényans) ont été
floués par leurs dirigeants et leurs institutions », a
déclaré Mme Frazer. L’émissaire américaine, qui a mené des
consultations à Nairobi pendant trois jours, a estimé «
nécessaire » que la « crise soit réglée par les deux
leaders, Kibaki et Odinga, (et qu’ils) travaillent ensemble
afin de renforcer les institutions kényanes parce qu’il y a
des problèmes majeurs dans le système électoral ». MM.
Kibaki et Odinga « doivent réformer les institutions. Les
problèmes de la commission électorale viennent des
faiblesses du mode de sélection de ses membres (par le seul
président). Ils doivent déconcentrer le pouvoir de la
présidence », a estimé Mme Frazer. « Je pense que c’est un
des thèmes sur lequel M. Kibaki a été élu la première fois »
en 2002, a-t-elle ajouté, en référence à la réforme
constitutionnelle, rejetée par référendum en 2005 et
prévoyant la création d’un poste de premier ministre.
Le président a également annoncé la convocation d’une
nouvelle session parlementaire à partir du 15 janvier. M.
Kibaki avait jusqu’à fin mars pour convoquer le nouveau
Parlement issu des élections générales. Cette convocation
rapide peut aussi bien être interprétée comme un signe
d’apaisement envers l’opposition, dans la perspective de la
formation d’un gouvernement d’union nationale, que comme
celui d’une affirmation de son autorité en tant que
vainqueur officiel de la présidentielle.
De son côté, le parti de M. Odinga avait décidé plus tôt
lundi, à la suite d’une rencontre entre son chef et Mme
Frazer, d’annuler ses manifestations prévues mardi,
expliquant sa décision par la venue du président en exercice
de l’UA, John Kufuor, pour une médiation. « Kufuor, a
précisé M. Odinga, m’a confirmé avoir reçu une invitation
(du président) Kibaki pour se rendre au Kenya et conduire
une médiation (...). C’est une avancée majeure et très
importante ». Selon plusieurs observateurs kényans, M.
Odinga a compris qu’il ne gagnerait pas la bataille de la
rue, la police ayant fait montre de sa fidélité au pouvoir
en place en empêchant efficacement plusieurs rassemblements
de l’opposition à Nairobi et dans le pays vendredi et
samedi.
M. Odinga accuse M. Kibaki d’avoir fraudé pour lui voler la
victoire à la présidentielle du 27 décembre. « Je
continuerai d’utiliser tous les moyens légaux et pacifiques
pour m’assurer que soient respectés les véritables résultats
de l’élection », avait affirmé M. Odinga, qui n’a été
devancé que d’un peu plus de 200 000 voix par Kibaki selon
le décompte officiel, mis en doute aussi par les
observateurs occidentaux. Pour sa part, la principale
organisation des avocats kényans, la « Law Society of Kenya
» a qualifié de « nulle et non avenue » l’investiture de
Kibaki et réclamé un nouveau scrutin. « Kibaki manque de
légitimité pour gouverner et c’est la cause des problèmes
auxquels le pays est confronté », a-t-elle dit.
L’ampleur de l’antagonisme et de la méfiance mutuelle entre
Kibaki, un Kikuyu, et Odgina, un Luo, est l’un des
principales difficultés qui attendent les médiateurs dans
leurs efforts pour mettre un terme à plusieurs jours de
violences à fortes connotations ethniques qui ont fait au
moins 600 morts, selon de hauts responsables de la police
kényane. Interrogé sur ce chiffre, Odinga a rétorqué qu’il
était à ses yeux « plus proche d’un millier (de morts) ». Le
bilan officiel de 486 morts, qui fait état en outre de 255
000 personnes déplacées, est plus lourd que celui qui
circulait ces derniers jours. Il pourrait en outre
s’aggraver selon les organisations humanitaires présentes
sur le terrain. Les populations les plus défavorisées des
bidonvilles et des zones rurales, notamment dans l’ouest du
pays et dans la périphérie de Nairobi, où M. Odinga compte
de nombreux partisans, ont été les plus affectées par les
violences. Le Kenya est à présent confronté à une crise
humanitaire. Les populations touchées par le déferlement de
violences ont besoin d’aide, particulièrement dans la région
de la vallée du Rift (ouest), où 100 000 personnes relèvent
de l’urgence humanitaire, selon l’Onu. Le Programme
Alimentaire Mondial (PAM) a dépêché lundi, sous bonne
escorte policière, onze camions dans l’ouest du pays avec
suffisamment de vivres pour nourrir 38 000 personnes pendant
deux semaines, un comble pour un pays jusque-là plutôt rompu
à accueillir les réfugiés des pays voisins comme le Soudan
ou la Somalie. Même si un calme précaire semblait revenu
lundi, la crise, l’une des pires depuis l’indépendance du
Kenya en 1963, a ruiné l’image d’oasis de stabilité dont
jouissait l’ancienne colonie de la Couronne britannique au
sein de l’Afrique de l’Est.
Hicham Mourad