Ahmad Al-Saqqa
est d’abord un comique, un turbulent. Devenu par ses rôles
le cavalier romantique du cinéma égyptien, l’image ne lui
colle plus à la peau avec le succès de son dernier film
Al-Guézira. Il l’aura cherché.
L’autre moi
Dans la peau de mansour hanafi, chef de bandits originaire
de la Haute-Egypte, dans le film en salles Al-Guézira
(l’île), il poursuit sa Success Story. Ahmad Al-Saqqa est
acclamé comme un acteur accompli. Après des débuts dans la
comédie, il fait aujourd’hui ses preuves dans le drame. «
Par rapport aux acteurs de sa génération, il a vite atteint
la maturité », résume le réalisateur Chérif Arafa qui vient
de signer Al-Guézira, ajoutant : « Son registre de jeu est
vaste, il est à l’aise aussi bien dans la comédie que dans
le mélodrame ». A 37 ans, Al-Saqqa s’inscrit donc dans le
panthéon du cinéma égyptien puisque son nom en tête
d’affiche est à lui seul gage de réussite d’un film.
C’est pourtant un indiscipliné. Peu enclin aux études, le
jeune Ahmad s’adonnait plus volontiers au football ou aux
bagarres dans la cour d’école ; bagarres qui marqueront à
jamais le futur jeune premier du grand écran. Le jeune Saqqa
se distingue en tant que fauteur de troubles et grand «
amuseur » du lycée. Ses professeurs et les victimes de ses
farces se méfiaient de lui profondément. Mais il n’en avait
cure : seuls l’humour et les copains comptaient pour lui.
Aujourd’hui, cette propension au chahut ne s’est pas
atténuée avec l’âge, bien au contraire. Il raconte que c’est
au cours d’une altercation avec des élèves d’une classe
primaire qu’il a « attrapé une cicatrice entre le sourcil et
l’œil gauche », une blessure qui lui a servi d’alibi pour
s’absenter pendant toute une semaine de l’école. Cette
énergie enfantine excessive ne le prive toutefois pas de la
naissance d’un certain goût contemplatif. A cette époque, le
jeune homme avait même décidé de devenir politicien : « Dans
mon enfance, je rêvais d’étudier les sciences politiques.
Mes notes au bac ne m’ont pas aidé à réaliser ce rêve »,
avoue-t-il.
Heureusement pour lui, dès son plus jeune âge, son père, le
metteur en scène et fameux marionnettiste Salah Al-Saqqa,
lui transmet son amour du théâtre. Il s’oriente donc vers
des études d’art dramatique à l’Institut des arts théâtraux.
« Une erreur commise par la personne chargée des
inscriptions m’a conduit à étudier la comédie et la mise en
scène. Une faute pour laquelle je lui serai toujours
reconnaissant », dit-il en riant. Son diplôme en poche avec
mention Excellent, il participe, par de petits rôles, à
certaines pièces sur les planches des théâtres publics.
Quelques années plus tard, Saqqa se produit sur scène avec
une troupe amatrice, mais le cinéma reste toujours pour lui
le domaine utopique tant convoité. Les souvenirs se
bousculent dans sa tête, jusqu’à cette fameuse soirée au
théâtre Beiram Al-Tounsi. « C’était au cours de ma
participation à la pièce Khodlak qaleb (mets-toi un moule)
que le dramaturge Ossama Anouar Okacha m’a découvert et m’a
présenté au réalisateur Mohamad Fadel pour faire partie du
casting du télé-feuilleton Al-Nawwa (l’orage) ». Ainsi
a-t-on décelé son talent aux multiples facettes et qu’il a
commencé à se faire connaître au début des années 1990.
Grâce à son rôle dans un épisode télévisé Zawag ala waraq
solifane (contrat de mariage sur papier cellophane), devant
une Mona Zaki encore à ses débuts, il devient une star. Et
puis, c’est la loi des séries. Avec le feuilleton Nesf Rabie
al-akhar (l’autre face de Rabie) devant Yéhia Al-Fakharani,
un autre pas est franchi. Même si le tournage n’a pas été de
tout repos. « J’ai vraiment eu peur de ne pas être à la
hauteur, et, avec plus de recul, je comprends que je
n’aurais pas dû chercher à composer autant, que j’aurais dû
faire les choses plus naturellement. Mais j’ai beaucoup
appris pendant le tournage ».
En 1999, le réalisateur Abdel-Aziz Al-Sokkari se sert de sa
finesse d’esprit, son humour, et le transfigure dans le
feuilleton Rodda qalbi (rends-moi mon cœur), aux côtés de
Mohamad Riyad et Nermine Al-Fiqi, un remake du fameux film
sorti en 1957. Pour le comédien, c’est le tournant. D’un
simple acteur de seconds rôles, il se transforme en un jeune
talent, assailli de propositions au grand écran.
C’est le début de la nouvelle vague des films comiques :
Al-Saqqa impose d’emblée un nouveau physique doublé d’une
nouvelle manière de jouer, tout de simplicité et de
désinvolture. A nouveau cinéma, nouvel héros.
Mais c’est le hasard, semble-t-il, qui décide de la carrière
d’Ahmad Al-Saqqa. Après quelques petites apparitions, le
réalisateur Saïd Hamed l’appelle pour remplacer Chérif
Mounir, malade. Il devait incarner l’ami du personnage
principal (Mohamad Héneidi) dans Saïdi fil gamaa al-amrikiya
(un Saïdi à l’Université américaine). Il vole la vedette aux
comédiens Mohamad Héneidi et Tareq Loutfi. L’année d’après,
il collabore à nouveau avec Héneidi dans l’un de ses films
les plus acclamés : Hammam fi Amsterdam (Hammam à
Amsterdam), où il joue Adriano. De quoi lui avoir valu la
nomination du meilleur second rôle au Festival égyptien du
cinéma national.
Et du jour au lendemain après Short we fanella we cap
(short, t-shirt et casquette), il devient le jeune premier
le plus sollicité, avant de se transformer en 2001 en une
véritable icône du nouveau cinéma égyptien. De temps à
autre, il cherche à imposer son image comme la voix des sans
voix ou le Samurai bienfaiteur défiant la brutalité d’un
monde de plus en plus matérialiste. Mais tout ce qu’on lui
propose risque de l’enfermer dangereusement dans le rôle du
jeune chevalier, noble et romantique. L’année suivante, il
incarne un personnage aux antipodes sous la direction de
Chérif Arafa dans Mafia. Ce grand opus suscite un immense
intérêt dont Al-Saqqa a été le premier bénéficiaire. Le
caractère du jeune assassin à l’esprit patriotique de Mafia
donne naissance au mythe Al-Saqqa, parmi les jeunes friands
d’aventures.
Le comédien se livre alors à son goût pour la dépense
physique, subjuguant les spectateurs par ses talents de
cascadeur. Un goût qui lui a coûté beaucoup, entre accidents
et interventions chirurgicales. Sous la direction des deux
frères Amr et Chérif Arafa puis de Tareq Al-Eriane dans
Tito, avec Hanane Tork et Amr Waked, il devient en peu de
temps la valeur la plus sûre du box-office national. « S’il
nous est arrivé de jouer, par la suite, des personnages qui
s’apparentaient plus à des héros, alors qu’au départ nous
étions destinés à incarner des personnages secondaires ou
même marginaux, c’est surtout grâce à lui », témoigne le
comédien Ahmad Helmi.
Désormais, la voie des Blockbusters lui est ouverte, avec
malgré cela des résultats décevants, tels que Harb atalia,
où il ressort sans vergogne les éléments les moins
intéressants de son jeu d’acteur, usant et abusant de son
image sympathique de jeune premier. Un échec qui l’a obligé
de passer de longs mois à la recherche d’un nouveau
personnage l’éloignant du prototype du jeune aventurier. «
C’est vrai, j’interprète souvent des personnages à la
Superman, mais aussi des cadres décadrés, admet-il en jouant
avec son étui à lunettes. « Ce sont parfois des personnages
traversés par une faille, une faiblesse, une fêlure, un truc
qui ne colle pas », poursuit-il.
Pour ses grands rôles, il fait confiance à « l’invention du
moment. C’est parfois imprécis, mais c’est ma façon de
fonctionner : être attentif à mes capacités et à mes propres
émotions ».
Un jour au sommet du box-office, le lendemain dans ses
allées profondes, il souffle le chaud et le froid. Parfois,
le désir de trouver un rôle extrêmement différent le conduit
au fiasco. Par exemple, lorsqu’il a endossé le personnage
d’un jeune époux cherchant à vivre une belle idylle loin de
son foyer en dépit d’un premier amour incomplet. « J’ai tout
fait pour changer de peau, mais le succès public n’était pas
au rendez-vous. C’est au public d’avoir le dernier mot,
malheureusement parfois en ma défaveur », commente-t-il
lucidement.
Après ce cuisant ratage, Ahmad Al-Saqqa, plus enthousiaste
que jamais, ne décevra plus les attentes : son film
Al-Guézira connaît un succès populaire. Il y exploite sa
nature protéiforme, qui lui a permis d’interpréter
différents personnages, du charmant garçon au tueur
professionnel ou père de famille tourmenté. Aujourd’hui, il
entame un nouveau genre, avec le drame saïdi, confirmant
qu’il n’est jamais là où on l’attend, forçant le respect par
ses choix.
Le comédien alterne films d’auteurs et gros budgets, génère
des projets attrayants parfois avortés, tel ce film sur la
vie d’un marionnettiste à l’image de son père, lequel n’a
malheureusement pas vu le jour. Il continue en quelque sorte
à être Mido, le gamin de 12 ans qui imitait chaque jour l’un
de ses copains, juste pour se prouver quelque chose, allant
au-delà de sa nature timide. « Cette créativité irritait au
début certains metteurs en scène qui ne voulaient qu’une
marionnette », avoue-t-il, ajoutant qu’il ne se contente pas
d’être aux ordres, avec une belle prédilection pour
approcher les déjantés, les désaxés et les rebelles. « Je
voudrais jouer comme l’on joue au foot, avec une intensité
très forte, en soignant mes tirs ... Le jeu théâtral par
exemple nécessite un effort et une concentration terribles
».
En 2001, il est remonté sur les planches du théâtre avec la
pièce Afrotto, puis en 2003 dans Keda Okay, mise en scène
par Samir Al-Asfouri. « Sur scène, on tend tous les jours la
main, on a envie de dire des choses à des gens qui parfois
ne nous écoutent pas sérieusement. Je suis quelqu’un de
souriant, mais je n’ai pas forcément envie de raconter des
histoires drôles. C’est pourquoi je cherche et recherche ce
que je dois présenter au théâtre », dit-il sérieusement.
Omniprésent dans les journaux People, à la télévision, avec
sa femme, ses enfants, on peut quasiment connaître ses faits
et gestes quotidiens. Cavalier émérite, il n’a d’autre
loisir que de passer son temps avec ses chevaux Dahab,
Naglaa, Qamar et Chams. « Ils sont ma chère famille
parallèle. Lorsque je ne tourne pas, je passe avec eux
presque toutes mes journées. Si je me sens un jour triste,
je leur confie mes secrets et chagrins : je monte sur l’un
d’eux et cours loin de tout ce qui me fatigue »,
affirme-t-il en parlant de ses « fidèles amis ». C’est grâce
à ses chevaux qu’il a rencontré la jeune Maha Al-Saghir,
devenue sa femme et la mère de ses deux enfants Yassine et
Yasmine. « Elle était l’amie de ma sœur, et elle est venue
avec elle un jour à l’écurie ; l’amour des chevaux nous a
donc unis ». Al-Saqqa poursuit la conversation, et revenant
vite au cinéma : son travail, sa passion, son gagne-pain et
sa machine à rêves.
Yasser Moheb