Droits de l’Homme .
Une résolution sans ambages du Parlement européen sur la
situation en Egypte a provoqué une vive réaction du Caire
qui dénonce un « complot » visant à ternir l’image du pays.
Précipité colérique
La
résolution du Parlement européen a sonné comme un coup de
semonce en direction du Caire. « C’est une ingérence dans
les affaires internes de l’Egypte que nous n’acceptons pas.
L’Egypte doit défendre sa dignité », s’est insurgé le
président de l’Assemblée du peuple, Ahmad Fathi Sourour,
aussitôt après le vote de la résolution.
Le 17 janvier, les députés européens ont en effet adopté un
projet de résolution critiquant la situation des droits de
l’homme en Egypte. Le texte demande au gouvernement égyptien
de supprimer la loi de l’état d’urgence instaurée en 1981
après l’assassinat du président Anouar Al-Sadate et de ne
pas la remplacer par une loi alternative restreignant les
libertés. Il exige la libération d’Aymane Nour, ancien
candidat aux élections présidentielles de 2005 (actuellement
emprisonné dans une affaire de fraude de documents liés à la
création de son parti d’Al-Ghad), et demande au gouvernement
égyptien de prendre les mesures nécessaires pour garantir
l’indépendance de la justice et le respect des libertés.
Enfin, le document évoque le sujet épineux de la torture et
des discriminations religieuses. « Un terme doit être mis à
tous types d’actes de torture et de mauvais traitements »,
précise la résolution considérant que « les coptes, les
bahaïs, les chiites, les coranistes et les membres d’autres
minorités religieuses demeurent regrettablement ostracisés
pour des raisons sectaires », précise la résolution. Le vote
de la résolution a provoqué la colère des milieux officiels
en Egypte. Outre Fathi Sourour, le ministre des Affaires
étrangères, Ahmad Aboul-Gheit, est monté au créneau pour
dénoncer « l’arrogance » du Parlement européen. Dans un
communiqué publié après le vote de la résolution, le chef de
la diplomatie estime que Le Caire « rejette totalement les
tentatives de ceux qui se croient autorisés à enquêter sur
les droits de l’homme en Egypte ». Aboul-Gheit a estimé en
outre que « l’Egypte n’a de leçon à recevoir de personne, en
particulier si ceux qui les donnent se montrent arrogants et
ignorants » et que « la résolution montre l’ignorance du
Parlement européen quant à la situation en Egypte ainsi que
son ignorance quant aux réformes politiques, économiques et
sociales mises en œuvre en Egypte ces dernières années ». En
guise de riposte, Le Caire a convoqué les ambassadeurs des
27 pays de l’Union européenne et a annoncé sa non
participation à une réunion euro-méditérranéenne cette
semaine à Bruxelles. De même, le gouvernement a annulé une
réunion bilatérale avec une délégation de la Commission
européenne qui devait avoir lieu ce mercredi au Caire dans
le cadre du récent accord de voisinage avec l’UE.
Le Caire s’est employé à minimiser l’impact de la résolution
affirmant qu’elle avait été prise par une minorité de
députés. La résolution avait été adoptée avec une majorité
de 52 voix et 7 abstentions (59 députés présents sur 784). «
Cette résolution a été prise par une minorité de députés qui
ont des intérêts bien compris. C’est une décision politique
qui vise uniquement à intimider l’Egypte et à créer une
tension entre elle et l’Union européenne », lance Abdel-Ahad
Gamaleddine, chef de la majorité parlementaire du Parti
National Démocrate (PND, au pouvoir). Un complot contre Le
Caire ? Pourquoi et pour le compte de qui ? Abdel-Ahad
Gamaleddine pointe Israël du doigt. Pour lui, l’allusion à
la question des tunnels incluse dans la résolution soulève
beaucoup de doutes quant aux motifs qui ont inspiré certains
parlementaires européens et aux liens qui les unissent à
ceux qui bénéficient de l’exagération constante de cette
question. La résolution encourage en effet « toutes les
parties à intensifier la lutte contre la contrebande d’armes
réalisée au moyen de tunnels débouchant dans la bande de
Gaza », un sujet sensible à propos duquel Israël accuse Le
Caire de ne pas déployer assez d’efforts. Le porte-parole du
ministère des Affaires étrangères, Hossam Zaki, exprime lui
aussi cette hypothèse en affirmant qu’« il y a des doutes
sur les raisons qui ont motivé certains parlementaires
européens à soutenir cette résolution ». Quant à Ahmad
Haggag, du Conseil national des droits de l’homme, il
déplore que « la résolution n’ait pas reconnu les progrès
réalisés par l’Egypte dans le domaine des droits de l’homme.
Pourquoi le parlement européen n’a-t-il pas critiqué les
atteintes aux droits de l’homme commises par Israël ».
Réaction disproportionnée
Des diplomates de la Commission européenne en poste au Caire
contactés par Al-Ahram Hebdo nient totalement ces
hypothèses. « Il n’y a absolument aucun complot contre l’Egypte.
Le Parlement européen discute la situation des droits de
l’homme dans divers pays et non seulement en Egypte. Par
exemple, le Parlement a évoqué la situation au Congo. Il a
adopté nombre de résolutions condamnant les violations des
droits de l’homme à Guantanamo, au Tibet, au Cachemire, en
Birmanie, au Sahara occidental et en Tunisie. Le but est
simplement de dire qu’il y a en Egypte des choses qui nous
préoccupent », affirme un diplomate sous le couvert de
l’anonymat. Il s’étonne de la réaction disproportionnée de
l’Egypte face à une question qui doit faire l’objet d’un
dialogue. « Si le gouvernement égyptien veut apporter des
éclaircissements sur certaines questions, il peut le faire
par le dialogue. Or, le gouvernement a annulé la réunion qui
devait avoir lieu les 23 et 24 janvier au Caire qui aurait
pu donner lieu à un dialogue entre les deux parties »,
ajoute le diplomate affirmant que le Parlement européen
s’emploie à étoffer les clauses des droits de l’homme
contenues dans les accords d’association conclus entre
l’Union européenne et les pays tiers. L’accord d’association
signé entre l’Egypte et l’Union européenne en 2004 comprend
des clauses sur l’amélioration des droits de l’homme dans
les pays associés. D’ailleurs, ce n’est pas la première fois
que l’Egypte est critiquée quant au dossier des droits de
l’homme par le Parlement européen. Cependant, selon Ahmad
Sabet, professeur de sciences politiques à l’Université du
Caire, la récente période a vu une multiplication des
rapports faisant état d’une régression des droits de l’homme
en Egypte. « La torture dans les commissariats, la crise des
juges, la multiplication des manifestations associées à une
croissance du flot migratoire clandestin vers les pays
européens ont placé l’Egypte sous le feu des projecteurs »,
analyse Sabet. La résolution du Parlement européen a fait
suite aux critiques américaines sur le dossier des droits de
l’homme en Egypte. Le Congrès américain a décidé récemment
de conditionner la fourniture de 100 millions de dollars de
l’aide américaine à l’Egypte aux progrès réalisés dans le
domaine des droits de l’homme. « La concordance de la
résolution européenne avec cette campagne de critiques
américaines a visiblement exaspéré Le Caire », estime Ahmad
Sabet. Et d’expliquer que l’Egypte a des intérêts
économiques et commerciaux importants avec l’Union
européenne. « L’Egypte craint que cette résolution n’ait un
impact sur les gouvernements de l’Union. D’où cet excès de
susceptibilité avec laquelle elle a réagi », explique
l’analyste qui écarte toute hypothèse d’implication
israélienne : « Le lobby juif n’est pas puissant au sein du
Parlement européen. De plus, la résolution ne critique pas
l’Egypte sur la question des tunnels. Au contraire, elle
l’encourage à poursuivre les efforts ».
Au-delà de la polémique, la réaction du ministère des
Affaires étrangères est au centre de critiques. Hussein
Abdel-Razeq, secrétaire général du parti du Rassemblement
unioniste progressiste (UPI), gauche, explique : « Cette
résolution du Parlement européen était en préparation depuis
déjà quelque temps et personne n’a bougé au ministère des
Affaires étrangères. Et une fois le vote effectué, on réagit
dans la précipitation ». Affirmant que Le Caire aurait dû
agir avec calme et retenue et créer des mécanismes
diplomatiques qui lui permettent de faire face à ce genre de
situation. « Le ministère des Affaires étrangères s’est
rendu ridicule en critiquant la situation des minorités
religieuses et ethniques et des immigrés sur le continent
européen et le phénomène de la xénophobie et de
discrimination à l’encontre des musulmans dans différentes
parties de l’Europe », conclut Abdel-Razeq.
Ola
Hamdi