Al-Ahram Hebdo, Visages | Joseph Makair
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Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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  Semaine du 16 au 22 janvier 2008, numéro 697

 

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Visages

Le statut de réfugié a toujours marqué la vie de Joseph Makair. A tour de rôle, prêtre, arbitre et collaborateur de Médecins sans frontières, il a une place privilégiée au sein de la communauté soudanaise en Egypte.

Le sultan des Soudanais

Sur un café du quartier populaire de Aïn-Chams lequel rassemble quasiment toute la communauté soudanaise, Joseph Makair est un visage marquant. Il fait comme chez lui. Grand de taille, tenue élégante et maîtrise parfaite du dialecte égyptien, il paraît comme le chef d’une grande tribu. Arrivé en Egypte vers 2003, il a réussi en cinq ans à gagner une large popularité au sein de la communauté soudanaise pour s’imposer comme le sultan des clans. « Au début, j’ai pu gagner les voix des Soudanais provenant de mon village, Balit. Plus tard, tous les Dinka — une des plus grandes tribus vivant au bord du Nil — ont à leur tour voté pour moi. Et enfin, j’ai pu acquérir la confiance de tous après une bataille électorale que j’ai dû mener contre 16 autres candidats », explique Makair, installé dans son bureau à l’association Balit, une parmi 72 autres qui présentent des services aux Soudanais d’Egypte. Au siège de celle-ci, le drapeau du sud trône. C’est le nouveau Soudan, tel est le nom de la patrie comme l’espèrent les membres de Balit. Des photos de l’ancien leader sudiste John Garang ornent les murs. Sur son bureau, un verset de l’Evangile semble être l’étoile qui a guidé sa vie. « Celui qui ne connaît pas l’amour n’a pas connu Dieu car l’amour c’est Dieu ».

Dans ses locaux, Joseph a l’habitude de recevoir des citoyens soudanais pour résoudre les problèmes, guider les familles en leur montrant les écoles pour réfugiés, leur donner des conseils sanitaires, mettre fin à un conflit conjugal, ou bien jouer le rôle d’intermédiaire avec un Egyptien ou avec le bureau du Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR). « Durant ma résidence en Egypte, j’ai remarqué qu’il existe souvent un malentendu entre le peuple égyptien et la communauté soudanaise. Les Egyptiens sont un peuple aimable, mais la différence des dialectes crée parfois une ambiance électrique. Dans la rue, par exemple, certains Egyptiens pourraient rigoler avec un Soudanais lui disant Honga. L‘Egyptien cherche ainsi à engager une conversation avec le Soudanais, mais ce mot signifie en certains dialectes soudanais le singe. Alors le Soudanais croit que l’on se moque de lui. Et juge alors que le peuple égyptien est raciste. On essaie ainsi de régler ce genre de problème. D’ailleurs, on présente un service à travers les associations pour apprendre le dialecte égyptien aux Soudanais et leur permettre de s’intégrer au sein de la société égyptienne », assure Makair.

Sa connaissance de quatre dialectes soudanais : Cholok, Nouer, celui des Dinkas et ceux d’autres clans nubiens, lui a donné la chance de jouer souvent le rôle de juge ou d’arbitre. Sa parole est souvent considérée comme une loi ou un verdict parmi les rangs de la communauté soudanaise. Malgré l’exil et la pauvreté, cette communauté semble être bien organisée. Aujourd’hui, le Conseil des sultans compte 14 membres représentant les différentes régions du Soudan (dont 3 gouvernorats du Nil, 3 gouvernorats équatoriaux, 4 de la région de la mer de la Gazelle, 1 de la région du Nil bleu, 1 de la Nubie soudanaise, 1 de Darfour et enfin 1 de la région Ebii au nord et au sud du Soudan). La société civile compte 72 associations actives dans les quartiers et les gouvernorats qui comptent une grande agglomération soudanaise comme Aïn-Chams, Kilo Arbaa wa noss, Maadi, Al-Baraguil, Ard Al-Liwaa, la cité du 6 Octobre ainsi que certaines autres villes comme Alexandrie et Zagazig. Les divergences tribales et ethniques n’ont cependant pas empêché Makair d’y pénétrer et de s’imposer. « J’ai vécu les moments difficiles de la guerre, les conditions économiques épuisantes et j’ai voyagé aux quatre coins du Soudan pour pouvoir comprendre l’identité de l’individu soudanais, ses points de similitude et de divergences. J’ai été musulman jusqu’à l’année 1976 puis je me suis converti au christianisme en 1980. Tout cela m’a fait acquérir une expérience me rendant plus apte à comprendre la psychologie de mon peuple », explique-t-il.

Son travail au Soudan avec l’organisation Médecins Sans Frontières (MSF) lui a donné aussi la chance de toucher de près les conditions sanitaires et culturelles des différentes tribus. « Après les événements de Moustapha Mahmoud, lorsque 3 000 Soudanais ont manifesté devant le siège du bureau de l’Onu, au Caire, la communauté soudanaise vit un cauchemar. Le nombre de réfugiés soudanais qui essaient de se suicider a nettement augmenté. Car ils ne peuvent pas partir aux Etats-Unis, au Canada ni en Australie, pour eux, les terres de rêve. L’Egypte n’est qu’un pays de transit pour beaucoup d’entre eux. Cet incident a secoué aussi le calme des foyers conjugaux car plusieurs couples se sont séparés, après cette déception. Etant un chrétien et un ex-musulman, je sais bien comment s’adresser à la fois aux couples pour les réunir ou aux personnes qui veulent mettre fin à leur vie. Je crois posséder les outils qui me permettent de jouer ce rôle ».

Cet homme, qui vit toujours avec les soucis et les maux de son peuple, semble cependant trouver son salut en Egypte. Il aurait aimé même que le Soudan fasse encore partie de l’Egypte et pleure les beaux jours du roi Farouq où les deux pays formaient encore une seule entité. Il pense aussi que l’Egypte a beaucoup perdu en cédant le Soudan. Plusieurs pays sont prêts aujourd’hui à tout faire pour avoir mainmise sur les sources du Nil et tentent de polariser les habitants par diverses manières, raconte-t-il, en ajoutant que la prochaine guerre sera celle de l’eau. « Ici, en Egypte, j’ai pu respirer, prendre une pause après un long périple parsemé de fuites ».

La fuite jusqu’ici a constitué le mot-clé de son existence. Une fuite pour se découvrir soi-même.

Il se déplaçait d’une terre à une autre, d’un métier à un autre, ou bien d’une religion à une autre afin de retrouver le calme et la paix de son âme. Malgré tout, une seule croyance reste pour lui assez rigide : La justice. Enfant d’une grande famille de six personnes, Makair est le benjamin. Depuis son âge tendre, il a connu l’injustice. Fils des Dinkas, le gamin qui jouait au bord du Nil ne savait plus que la couleur foncée de sa peau va lui coûter cher. « La société soudanaise est très raciste, puisqu’on considère les descendants des régions sudistes comme des abids (esclaves). Celles-ci sont privées des services les plus élémentaires. Alors pour pouvoir aller à l’école, je devrais partir à Khartoum au Nord pour bénéficier de cette chance ». Il se tait pour un moment puis continue. « J’ai été un élève brillant et pourtant les esclaves n’ont pas le droit d’être par exemple les premiers de l’école. Les services médicaux sont quasiment absents. Les maladies comme la bilharziose, la malaria et le choléra proliféraient entre les membres de ma tribu sans pitié et sans même rencontrer les moindres efforts pour lutter contre celles-ci ».

Ce sentiment d’injustice a marqué son périple et il a décidé de lutter contre toute sorte de discrimination. Il change de repères en quête de l’égalité. Il travaille dans le domaine du prosélytisme religieux au Soudan depuis 1989. « La chose qui m’a attiré vers le christianisme est l’action sociale, puisque j’aime toujours être parmi la foule ». Une croyance en la justice a coloré ses rêves. « J’ai rêvé de travailler comme prêtre ou médecin pour alléger les souffrances des gens. J’ai voulu être juge pour leur rendre leurs droits. J’ai fait deux métiers au Soudan, aujourd’hui, j’exerce le troisième, celui de la magistrature arbitrant parmi mes concitoyens soudanais ».

Or, Il ne tardera pas d’ôter la soutane de prêtre pour travailler avec les organisations internationales. Il rejoint donc le MSF, lorsque le choléra a frappé au début des années 1990 certaines régions du Soudan. Il a vu des proches souffrir et mourir en six jours entre ses mains. A travers son travail à l’organisation Médecins sans frontières, il a cru que le changement pour atteindre la justice pourrait avoir lieu. Il se déplaçait partout pour convaincre les tribus que l’excision est une atteinte au corps de la femme. Il a participé à des campagnes pour sensibiliser la foule contre les maladies endémiques. « Une chose que j’ai beaucoup œuvré pour l’éradiquer, l’habitude de Cholok, très répandue au Soudan. Une tradition à travers laquelle les tribus cuisent leur peau pour se distinguer des autres. Pourquoi doit-on se distinguer alors que nous devrions être équitables ? », s’interroge-t-il.

Mais sa quête de la justice semble atteindre une impasse. Le conflit militaire dont son père et quinze membres de sa tribu ont été victimes a sans doute mis fin à son périple.

« Je trouvais une grande difficulté à faire mon travail avec le MSF car les gens n’avaient plus confiance en moi, étant donné mon ancien parcours de prêtre. Ils doutaient que les services présentés ont d’autres cibles », confie-t-il.

Aujourd’hui en Egypte, il se sent plus proche de ses rêves. Réfugié, c’est une vérité. Un statut qu’il a toujours vécu. Il jouit quand même de sa présence parmi les gens. « Je ne pratique pas le prosélytisme, mais il me suffit de pratiquer paisiblement les rituels de ma religion. Au Soudan, la situation allait de pire en pire. A l’exil, nous sommes ici presque égaux. Il n’y a pas de discrimination, car on essaie d’y fonder une nouvelle société et d’adopter des conceptions différentes ».

Il tente alors de semer ses idées parmi la nouvelle génération, née en exil. Ces jeunes ne sont pas condamnés, selon lui, au même sort rien que pour la couleur de leur peau.

Avec une vie si chargée, la lecture reste son havre de paix, où il fuit les soucis. Fasciné par la lecture des livres de santé, des livres islamiques, des conventions internationales, il en profite. Au rythme du chanteur nubien Mohamad Mounir et du chanteur soudanais Salah bin Al-Badiya, il pratique souvent les danses soudanaises.

L’Egypte reste toujours pour lui un pays de transit, puisqu’il aspire retrouver sa terre de rêve, le Soudan, après un tel périple ce n’est plus la même chose.

Dina Darwich

 

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Jalons

1966 : Date de naissance.

1986 : Baccalauréat soudanais.

1989 : Entraîneur de prêtres à l’Eglise catholique soudanaise.

1996 : Certificat de l’Institut supérieur de l’infirmerie au Soudan.

2007 : Désignation comme le sultan des réfugiés soudanais en Egypte.

 

 

 




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