Achat de voitures.
Les concessionnaires font preuve d’une flexibilité inédite
pour combler un besoin plus ou moins réel ou un désir
exacerbé d’ascension sociale. Les rues du Caire payent le
prix fort et les nouveaux propriétaires se retrouvent piégés
dans la circulation.
Le chant des sirènes
Galal,
fonctionnaire de 37 ans, entre d’un pas déterminé dans une
agence de voitures avec la ferme intention d’en ressortir
assis derrière un volant. Après quelques minutes, c’est
l’embarras du choix : modèles, options, couleurs, prix et
conditions de paiement ... Il ne sait que choisir. Galal
caresse des yeux tous les modèles exposés, sans oser les
toucher. Puis il se présente à l’un des bureaux de l’agence,
et vingt minutes après, le contrat de vente est signé. Les
choses ont été simples pour conclure la transaction : seule
une photocopie de sa carte d’identité lui a été demandée.
Galal est rentré chez lui avec une voiture de marque
chinoise à deux portes. Pour lui, la merveille des
merveilles.
Dans ces conditions, pratiquement n’importe qui peut
s’offrir une voiture neuve en Egypte, pays où pourtant ni
les conditions économiques ni les salaires pratiqués ne
permettraient en général un tel achat. Malgré cela, et grâce
à la flexibilité des vendeurs, les acquisitions de voitures
ont ces dernières années grimpé en flèche. Le nombre
impressionnant de visiteurs aux salons automobiles, les
suppléments hebdomadaires dédiés à la voiture, les
publicités et la multiplication des magazines spécialisés
attestent de ce phénomène.
Le phénomène touche surtout les classes moyennes et en fin
de compte chacun aura tôt ou tard sa voiture, petite ou
grande. C’est la mission des nouveaux concessionnaires qui
ouvrent de plus en plus d’agences en Egypte pour séduire les
consommateurs par n’importe quel moyen.
Galal
est marié, père de 3 enfants. Il en avait assez des moyens
de transport et des taxis qui lui reviennent au bout du
compte très cher. « On se déplace beaucoup ma femme et moi
pour aller au travail, emmener les enfants à l’école ou
faire nos achats. En achetant une voiture, je vais reposer
toute la famille sans avoir dépensé trop d’argent pour les
taxis », dit-il, en regardant sa nouvelle voiture qu’il
paiera pendant 7 ans. En réalité, il n’a pas trop pensé aux
soucis sur le moyen terme que cet achat pourrait lui causer
et n’a tout simplement pas su résister aux offres
alléchantes dont il est bombardé depuis des mois. Et puis il
a été si bien accueilli dans l’agence, avec la présentation
des avantages dont il bénéficiera grâce à sa nouvelle
voiture : contrats d’assurance ou d’entretien gratuits
pendant une période déterminée, télévision ou autre appareil
électroménager offert, voyage et possibilité de participer à
une tombola pour gagner une voiture de marque prestigieuse.
« Chaque client peut payer selon les conditions qui lui
conviennent. Avec avance ou pas, versements à long ou court
terme, tout est possible sur notre marché », dit le
responsable de marketing d’un grand concessionnaire du
Caire. Résultat : chacun des membres d’une même famille peut
avoir sa voiture.
Une situation qui n’implique pas que le pouvoir d’achat des
Egyptiens s’est amélioré. Car pour la majorité d’entre eux,
posséder une voiture est devenu une nécessité. « Qu’une
famille possède une voiture est un droit légitime. Pourtant,
une seule par foyer pourrait suffire, sachant que le chef de
famille, une fois à la maison, peut très bien la laisser à
ses enfants ou sa femme ou se charger de les conduire. Après
tout, nombreux sont ceux de la classe moyenne ayant recours
à d’autres moyens de transport », dit la sociologue Azza
Korayem. Elle reconnaît aussi que les conditions de travail
du père ou de la mère ne conviennent plus à celles d’enfants
allant à l’université ou qui ont tout juste commencé à
travailler. « Les distances sont plus longues à cause des
villes nouvelles loin du Caire. Alors les familles ont peur
de laisser leurs enfants, surtout les filles, utiliser les
transports publics. La seule solution est que chacun possède
sa propre voiture, car la mère travaille et la plupart des
familles de la classe moyenne ont inscrit leurs enfants dans
des universités privées situées loin du lieu de leur
résidence ». Par ailleurs, elle affirme que « les facilités
offertes par les concessionnaires, tels que les crédits
souples et la participation des banques à cet achat, ont
donné plus de crédibilité et de confiance à cette opération
».
Entre 3 et 4 millions de véhicules au Caire
Aujourd’hui, tous les indices indiquent que la croissance du
marché des véhicules en Egypte n’est pas prête à s’arrêter.
D’après les statistiques officielles, la vente de voitures
en Egypte bat tous les records. Selon un rapport publié par
le Centre d’information et de prise de décision en juin
dernier, entre 3 et 4 millions de véhicules circulent
actuellement dans les rues du Caire. La demande en voitures
a augmenté au cours des quatre dernières années pour
atteindre 153 %. L’Egypte a importé au cours d’une seule
année 67 000 voitures pour une somme de 350 millions de L.E.
Alors qu’en 2002, seuls 11 000 véhicules avaient été
importés.
Malgré cela, les acteurs de ce marché ne sont pas vraiment
satisfaits. 17 voitures pour 1 000 citoyens est un chiffre
insuffisant pour eux. Ils estiment que le quota est bien
loin du niveau international et attendent que les prochaines
années témoignent d’un essor bien plus prononcé. Pourtant,
un tour dans la capitale suffit pour remarquer que les rues
sont congestionnées par les voitures. Le journaliste Hicham
Al-Zeini avance qu’en 2006, 170 000 nouvelles voitures sont
venues s’ajouter à celles déjà en circulation. En 2007, 225
000 de plus ont été immatriculées alors que Le Caire ne peut
supporter que le tiers de ce nombre. Il ajoute qu’il y a 5
ans, les véhicules pouvaient rouler à 40 km/h en moyenne.
Aujourd’hui, la moyenne est de 20 km/h et pourrait être
réduite à 0 km/h dans 5 ans ! « Ce qui se passe en Egypte
est un changement naturel qui est observé dans d’autres pays
du monde. La différence est que les autres savent planifier
et organiser les choses pour que le nombre de voitures en
circulation n’ait pas d’incidence sur le quotidien des
citoyens. Alors que chez nous c’est par miracle si l’on peut
encore rouler dans la capitale ... Le problème chez nous est
très grave », affirme Azza Korayem.
Hanaa
Al-Mekkawi