Entre perte de confiance
et espoir d’une solution au Liban
Radwan Ziada
La récente intervention de la Ligue arabe consistant à
trouver une issue à la crise libanaise pour l’élection d’un
nouveau président de la République a été perçue comme une
dernière lueur d’espoir.
Le ministère français des Affaires étrangères a accordé tout
son intérêt au dossier du Liban par l’intermédiaire de sa
figure de proue, Bernard Kouchner, qui est resté quelques
jours à Beyrouth pour trouver une issue à l’impasse, en
vain. L’Union européenne, de son côté, a envoyé la Troïka
européenne mais également sans aucun aboutissement. Les
Etats-Unis, quant à eux, ont envoyé l’adjoint à la
secrétaire d’Etat américaine pour le Proche-Orient, David
Welch, efforts qui se sont avérés hélas inutiles.
Pourquoi est-il si difficile de parvenir à une solution à la
crise libanaise qui paraît si complexe, à tel point qu’aucun
effort arabe et international n’est en passe d’aboutir. A
mon avis, aucun pays de par le monde, après avoir accueilli
ce nombre énorme d’émissaires internationaux, n’a échoué à
trouver une solution à sa crise. Il faut dire que la source
de la crise est résolument interne. Les parties libanaises
en conflit ont perdu confiance les unes dans les autres.
D’ailleurs, les accusations échangées de traîtrise reflètent
la confiance perdue entre les deux parties, l’opposition
pro-syrienne et la majorité accusée d’être pro-occidentale.
Par conséquent, le fait de parvenir à une entente politique
au niveau de l’élection du président et de la formation d’un
gouvernement d’union s’avère très difficile, ou plutôt
impossible. Si nous analysons la discussion qui se tient
aujourd’hui sur la formation d’un gouvernement d’union
nationale, on réalisera qu’elle
n’est pas axée sur les meilleurs moyens susceptibles de
réaliser l’intérêt général et de garantir la stabilité à
l’issue des séries d’attentats terroristes. Comment former
un gouvernement d’union dans lequel chacune des deux parties
se tient à l’affût pour s’abattre sur son rival et
l’exterminer. Ce scénario engendrera inévitablement un vide
politique qui va prévaloir même si les deux parties
s’entendent et règlent le conflit qui les oppose. Chacune
des deux parties saisira n’importe quelle occasion pour
saboter les décisions gouvernementales, ce qui compliquera
davantage l’état de paralysie qui étouffe le pays voilà des
années. L’unique solution radicale à la crise réside dans la
confiance qui doit être à tout prix regagnée entre les
parties politiques en conflit. Ce, afin de parvenir à une
forme « de pacte national » qui garantirait le bon
fonctionnement du processus politique et qui éviterait les
accusations réciproques de traîtrise et de complot contre la
patrie. Sans doute la perte de confiance actuelle n’a pas
émergé du jour au lendemain. Elle est sans doute le résultat
de retombées et de positions politiques qui remontent à des
années lointaines, dont la date la plus récente est
l’assassinat de l’ex-premier ministre libanais Rafiq Hariri
en 2004. La situation n’a fait qu’empirer, même lorsque les
différentes parties politiques ont essayé de redresser la
situation et se sont engagées dans des alliances électorales
pour gagner les législatives. Ensuite, est venue la guerre
de juillet 2006 qui avait pour cible le Hezbollah et pour
objectif de saper ses infrastructures et de procéder à sa
liquidation politique et militaire. Cette guerre n’a fait
qu’approfondir la fissure. D’autant plus que l’autre partie
n’a pas estimé à juste titre le préjudice et la souffrance
psychologique et humaine qu’a connus le Hezbollah et ce
qu’il a enduré depuis le meurtre, l’exile, l’exode et la
destruction. A tel point que la situation des chiites au
Liban a été assimilée à « un nouveau Kerbala ».
L’autre partie n’a pas réalisé la susceptibilité
psychologique et sociale qu’a
ressentie le Hezbollah et ses adeptes à cette époque.
N’oublions pas qu’il a été accusé d’être le principal
responsable de la guerre. Mais même si ceci avait été vrai,
il n’aurait pas fallu ignorer la liquidation morale et
matérielle qui a ciblé toute une faction et qui a menacé son
existence.
En bref, c’est autour de ces deux dates, 2004 et 2006, qu’a
émergé la fissure profonde entre les deux parties. Une
fissure qui a eu pour résultat une perte de confiance
mutuelle et qui a empêché de parvenir à une solution malgré
la tenue de sessions de dialogue national sous la houlette
du président du Parlement libanais au lendemain de la
guerre. A cette époque, la confiance, ce maillon qui devait
réunir et sauvegarder la stabilité entre les deux parties,
n’y était plus. La fragilité du pays a permis alors
l’ingérence d’autres parties régionales et internationales
selon leurs propres calculs, leurs agendas privés et leurs
intérêts contradictoires.
La crise libanaise a permis à la Syrie qui vit une impasse
politique interne et externe au niveau de ses relations
arabes et internationales de se trouver un moyen pour une
réadaptation régionale et internationale. En même temps, la
France a trouvé via le Liban une chance de récupérer des
zones d’influence dans la région. Le Liban était pour les
Etats-Unis le prétexte idéal pour prouver la réussite de sa
stratégie à propager sa démocratie au Moyen-Orient. Le Liban
était pour l’Iran un terrain pour le règlement de comptes
régionaux et internationaux et une occasion pour faire
comprendre aux Etats-Unis que sa présence régionale allait
au-delà de l’Iraq jusqu’au Liban. Partant, il s’avère que la
solution de la crise libanaise est interne de premier ordre.
Elle doit émaner des Libanais eux-mêmes qui doivent
impérativement reprendre confiance les uns dans les autres
pour pouvoir reprendre leur destin en main. Il faut leur
dire que la solution provisoire ne peut pas pallier une
solution durable. La solution durable aujourd’hui est que le
citoyen libanais ordinaire soit capable de vivre sous un
même ciel et sur un même sol avec son frère libanais qui
partage avec lui la crise économique étouffante, qui a des
appartenances confessionnelles différentes et par conséquent
politiques .