Tendances. Particuliers
ou même institutions ont installé
des potagers sur leurs toits. Récolter
des légumes bio, gagner son pain ou juste se détendre, ce jardinage en hauteur
a de plus en plus d’adeptes dans tous les quartiers confondus.
Les toits se mettent au vert
« Le
toit cultivé », il a suffi de prononcer ces quelques mots pour que quelqu’un se
présente et nous guide vers la bonne adresse : le toit d’un immeuble modeste
dans l’un des quartiers populaires du Caire. La scène d’en haut est
impressionnante, un toit verdoyant au milieu d’autres encombrés de vieilleries
paraît comme une prairie en plein désert. Comme dans une ruche d’abeilles, des
personnes travaillent d’arrache-pied. Les uns ramassent les mauvaises herbes,
d’autres plantent ou récoltent des légumes et les emballent dans des paquets. «
C’est le projet de ma vie », dit Hanane, 30 ans, qui était au chômage il y a
deux ans. « Un jour, j’ai vu à la télévision quelqu’un exposer le projet dans
toutes ses dimensions. C’est comme ça que j’ai décidé de planter et de vendre
ce que je pouvais produire », dit Hanane. Elle a pris en location un toit, et
avec un groupe d’amis en chômage, elle a monté ce projet. Ce fut une grande
réussite. Ce groupe est sur le point de créer une association et de devenir de
véritables hommes d’affaires. D’un quartier à l’autre et d’un toit à un autre,
on remarque la disparition des poulaillers installés sur les toits dans les
quartiers populaires. Les habitants élevaient des poules non pas pour les
manger, mais pour les vendre et subvenir à leurs besoins. Ce seul gagne-pain a
disparu avec l’apparition de la grippe aviaire et l’interdiction de faire de
l’élevage de volailles sur les terrasses. Pour eux, cette culture sur les toits
a apporté une lueur d’espoir à leur vie. « Au départ, j’ai pensé que cela
pouvait me revenir cher ou que cela demanderait beaucoup d’espace. De plus, mon
mari et moi n’avions aucune connaissance en matière agricole. Petit à petit,
nous avons fini par avoir de l’expérience », dit Rasmiya, femme au foyer. Cette
dernière plante du persil, de l’aneth, de la laitue, du cresson, de la tomate
et de temps en temps des concombres. Au moment de la récolte, elle rassemble
les fines herbes en petits bouquets pour les vendre avec le reste de ses
légumes devant sa maison. Ce ne sont pas seulement les toits des maisons qui se
sont transformés en jardins potagers mais aussi les terrasses des édifices
publics tels que les mosquées et les établissements scolaires. « Les élèves ont
compris le sens du mot activité le jour où ils ont planté des légumes sur le
toit de leur école et ils ont appris à s’en occuper », dit Khalil Chaas,
responsable dans un lycée. « Nos objectifs étaient de verdir le quartier,
apprendre aux enfants à aimer et à s’occuper des plantes et tirer des profits
pour améliorer les services de l’école », explique Khalil. Les quatre fraises
sont vendues à 25 piastres, mais c’est aussi une façon de responsabiliser les
élèves et les encourager à consommer de la nourriture plus saine. Ossama
Al-Béheiri, professeur à l’Institut d’agronomie et responsable de l’application
de ce projet au ministère de l’Agriculture, explique qu’au début de ce projet
en 1999, le but du ministère de l’Agriculture, en coopération avec la FAO (l’Organisation internationale pour l’alimentation
et l’agriculture), était d’aider les citoyens aux revenus limités à planter
quelques légumes pour subvenir à leurs besoins sans aller plus loin que sur
leur toit.
Mais
il semble que la fièvre de la culture sur toit a atteint les couches de la
classe moyenne avec des moyens plus sophistiqués.
Cela
fait 2 ans que Fatma a entendu parler de cette technique de jardinage à la
télé. Et lorsque son mari a été mis à la retraite, elle l’a encouragé à faire
cette expérience, surtout depuis que la famille a déménagé dans une grande
villa avec une terrasse de 180 mètres carrés à la nouvelle ville de Obour. « Au
début, j’ai pensé que c’était l’occasion de consommer des légumes bio. Avec le
temps, j’ai découvert d’autres aspects positifs. Le jardinage prend tout mon
temps et je suis heureux d’avoir un espace vert sur ma terrasse », dit Nabil. Il
explique qu’il lui a fallu suivre une formation de quelques jours au ministère
de l’Agriculture pour approfondir ses connaissances. Puis, des ingénieurs
agronomes sont venus installer tout l’équipement nécessaire. Ils ont même
installé un système d’irrigation automatique. D’après Nabil, cette installation
lui a coûté cher, mais il ne le regrette pas car aujourd’hui, il en récolte les
fruits. « Je savais que ces légumes bio allaient être bons pour notre santé,
mais je ne m’attendais pas à ce goût et à ce beau calibre. Tous les proches et
amis qui en ont goûté insistent pour en prendre avec eux », dit Nabil qui ne
conçoit plus de manger des légumes autres que ceux qu’il a cultivés dans son
jardin.
Nabil,
pilote civil à la retraite, n’a pas besoin de quitter la maison pour avoir les
ingrédients qui entrent dans la préparation de ses repas quotidiens. Il se rend
simplement dans son jardin conçu sur le toit de l’immeuble pour récolter ses
légumes. Un jardin avec du terreau composé de résidus organiques (déjection
d’animaux), de substances végétales (algues), de perlite (traitée), en plus de
l’eau et de l’air.
Une fièvre qui s’étend
C’est
une technique de jardinage sans terre, suivant les principes de culture
hydroponique, écologique, durable, abordable et assez légère pour être utilisée
sur les toits. Il suffit de quelques tables en bois, de plastique, de tuyaux
perforés, de pots en terre, et d’un système de canalisation et d’arrosage au
goutte-à-goutte.
En
fait, les dépenses pour un tel projet varient selon les moyens et les désirs de
chacun. D’après Ossama Al-Béheiri, un mètre carré de jardin peut revenir à 200
L.E. comme il peut atteindre des centaines de L.E.
Même
dans des quartiers résidentiels du Caire comme Mohandessine, on commence à voir
apparaître ces potagers suspendus. Nasr Farid, très convaincu, a mis à profit
cette expérience en cultivant toute la superficie du toit de l’immeuble où il
réside à Mohandessine. Il a choisi le système d’irrigation manuel, beaucoup
moins cher que le premier. « C’est vrai que cela demande des heures de travail,
mais je l’ai fait intentionnellement, car un de mes objectifs en commençant ce
projet était de me donner la chance de faire du jardinage, mais aussi
d’encourager mes neveux à y participer », dit-il. Evidemment, dans l’immeuble,
il est le seul à s’occuper de ce jardin, les autres habitants bien que très
intéressés préfèrent cueillir le fruit de son travail que de lui donner un coup
de main. Munis de ciseaux, ils ont pris l’habitude d’aller cueillir
quotidiennement des plantes potagères au lieu de les ramener du marché.
La
réalité est que beaucoup d’habitants n’ont plus confiance en ce qu’ils mangent.
Une maman dit avoir même diminué la quantité de légumes et de fruits, persuadée
qu’ils ne sont pas assez sains pour ses enfants avant que ce jardin n’existe. «
J’étais prise entre le marteau et l’enclume. L’importance de présenter à mes
enfants des légumes et des fruits frais et la peur qu’ils soient contaminés par
des pesticides de tout genre », dit la maman, en affirmant qu’il lui arrivait
parfois d’acheter des produits bio dans les marchés avec le risque qu’ils ne le
soient pas à 100 %. Depuis, une bonne salade garnit la table et ce sont les
enfants qui vont cueillir de leurs mains tous les légumes qu’ils vont manger. C’est
un double profit !
Farid
explique qu’il profite au maximum de son jardin et plante des légumes selon les
saisons. « Si en hiver, je plante des épinards et des choux, en été je prévois
de la moloukhiya (la corète) et des courgettes. De plus, il y a des légumes qui
peuvent tenir toute l’année », explique Farid, tout en n’oubliant pas de
mentionner qu’il a installé des ruches d’abeilles pour accélérer la
pollinisation des fraises et avoir du bon miel. Actuellement, il est très fier,
car les spécialistes lui ont affirmé que son miel est d’une excellente qualité.
Après quatre ans d’existence et grâce aux soins permanents de Farid, ce jardin
sert de pilote et attire de nombreux visiteurs qui désirent suivre son
expérience.
Quant
à Samir, il a décidé de créer son espace vert sur le toit de sa maison. Là, il
monte chaque jour pour faire ses exercices physiques, prendre un bain de soleil
et toujours avant de descendre, il cueille quelques légumes du jour. Quant à
Leïla, atteinte d’un cancer, les médecins lui ont interdit formellement de
consommer les légumes et les fruits que l’on vend au marché à cause des
pesticides qu’ils contiennent. N’ayant pas de toit, elle a réussi à planter sur
son balcon quelques espèces pour sa propre consommation. D’autres comme Rami et
ses voisins ont même utilisé quelques objets sur leur terrasse, comme des
barils en plastique et des boîtes de savon vides, pour y planter des espèces de
plantes. Dès que le toit a pris l’allure d’un jardin, un groupe d’habitants a
ramené des tables et des chaises pour prendre le thé ou organiser les
anniversaires de leurs enfants.
« Les
jardins sur les toits sont très utiles au sein d’une mégapole comme Le Caire,
car les plantes ainsi cultivées absorbent le CO2 émanant notamment de la
circulation urbaine. Cette absorption permet une économie de 5 % de la
consommation électrique sur un building pour l’utilisation de la climatisation,
ainsi qu’une baisse de température ambiante, de plusieurs degrés. De plus, les
jardins procurent une isolation naturelle en hiver, surtout pour le dernier
étage », dit Ossama en ajoutant que les plantes cultivées dans du terreau
poussent plus rapidement et donnent un meilleur rendement que la méthode
classique avec de la terre. Ces jardins en terrasse poussent comme des
champignons et une longue liste d’attente trône sur le bureau d’Ossama. Pour la
plupart, il s’agit de gens qui voudraient suivre une formation pour ce genre de
culture. D’après Ossama, cette réussite prouve qu’avec nos conditions sociales,
économiques et écologiques actuelles, ces jardins ne seront plus un luxe, mais
une exigence pour résoudre de nombreux problèmes.
Hanaa Al-Mekkawi