Liban.
Le pays du Cèdre, quasiment en crise permanente,
constitue pour les Arabes une équation difficile à régler.
En dépit des différentes tentatives et initiatives, la
question est restée entière.
Le casse-tête
Le
Liban, un casse-tête pour les Arabes ? Certes, cette partie
du monde paraît problématique dans chaque pouce de
territoire à quelques exceptions près, mais le pays du Cèdre
constitue aussi une difficulté liée à toutes les autres dans
la région : il est connecté directement à la question
palestinienne du fait de la présence des réfugiés sur son
territoire, au découpage et morcellement régional en raison
des ambitions syriennes et aussi à cette division sur une
base confessionnelle que de grandes nations veulent
appliquer un peu partout, l’Iraq en l’occurrence, comme une
sorte de modèle. Or, c’est sans doute ce statut en général
spécial qui a créé une particularité libanaise. Le monde
arabe s’en est accommodé parfois et souvent non.
La première explosion date de 1958. Elle est liée à la
montée du nationalisme arabe sous la houlette de Nasser qui
appelait à l’unité du monde arabe, de l’Atlantique au Golfe.
Dans ce contexte brûlant qui a suivi la crise de 1956.
Camille Chamoun, président d’un Liban voisin d’une Syrie
faisant partie de la République arabe Unie, Etat unioniste
égypto-syrien, fut perçu comme pro-occidental ayant même
refusé de rompre avec Londres et Paris lors de l’agression
de 1956. C’est ce qui pousse une partie de la communauté
musulmane à réclamer au gouvernement une fusion avec la
République arabe unie, ce que refuse catégoriquement la
communauté chrétienne. La pression monte. Les réfugiés
palestiniens, eux, furent mobilisés pour reconquérir leur
patrie usurpée à partir du Liban. A partir de mai 1958
éclate une guérilla dans la montagne entre partisans de
Chamoun et insurgés. Devant cette agitation, Chamoun obtient
le débarquement de 15 000 Marines américains qui assurent le
triomphe de la contre-révolution menée par les Kataëb
chrétiens, en majorité.
Une première crise qui comprend déjà les ingrédients de tout
ce qui va suivre. Au-delà des arguments des uns et des
autres et de l’échec global du nationalisme arabe sur tous
les autres fronts — sécession de la Syrie, désordre en Iraq,
affrontement politique entre l’Egypte et l’Arabie saoudite
—, ce sont cette particularité libanaise et son talon
d’Achille qui ont échappé à l’ensemble du monde arabe.
A
partir de la fin des années 1960, sur fond de nombreuses
affaires de corruption, le Liban se dirige vers son plus
grand drame : la guerre civile. Le fait qu’il n’y ait aucune
avancée dans le règlement de la question palestinienne, la
multiplication des manœuvres israéliennes profitant de ce
clivage entre des groupes en majorité chrétiens et d’autres
en majorité musulmans a rendu les camps de réfugiés des
lieux d’effervescence, en effet de bases de données et
d’entraînement militaire, et plusieurs centaines de fedayins
lancent des opérations commando contre la frontière nord
d’Israël. Devant la résistance qui s’organise, Israël attend
du Liban qu’il assure sa sécurité en contrôlant l’activité
des Palestiniens sur son territoire, mais le Liban est trop
faible pour résoudre le problème.
Un compromis est trouvé avec la signature au Caire sous
l’égide de Nasser, en 1969, d’un accord entre Yasser Arafat,
commandant de l’OLP, et le commandant en chef de l’armée.
Et vint le premier coup d’archet sur fond de dissonance
entre les parties. Juste un incident et ce fut par la suite
l’incendie : Le matin du 13 avril 1975, des tirs font un
mort lors de l’inauguration d’une église par Pierre Gemayel.
L’après-midi, des mitrailleurs phalangistes attaquent un bus
passant dans la même rue, et massacrent une partie de ses
passagers palestiniens. La spirale vers l’anarchie
s’amplifie, c’est le début de la guerre civile.
Les milices chrétiennes assiègent et détruisent les camps
palestiniens de Quarantina et Tell Al-Zaatar. Les milices
palestiniennes assiègent et tuent les habitants de la ville
de Damour. C’est non seulement la guerre, mais aussi
l’émergence du facteur syrien. Ce pays est alors considéré
par les Libanais et les Etats arabes comme le sauveur,
l’unique en quelque sorte. En 1976, des dirigeants maronites
réclament du secours et avalisent l’intervention syrienne.
Grâce à l’intervention militaire et diplomatique des
puissances régionales arabes, le président libanais et le
chef de l’OLP sont convoqués à Riyad cette même année. Ils
sont invités par l’Arabie saoudite et l’Egypte à reconnaître
la légitimité de la présence des troupes syriennes au Liban,
et l’officialisent par la mise en place de la Force Arabe de
Dissuasion (FAD).
Le facteur Israël
Entre-temps, c’est Israël qui souffle le chaud et le froid.
En juin 1982, l’armée israélienne lance une offensive
terrestre, assiège Beyrouth-ouest et affronte les forces
syriennes dans la Bekaa. Faut-il dire avec ces exemples que
l’Histoire est une éternelle répétition ? Tout se poursuit
avec la montée de la puissance chiite, les massacres, les
assassinats de personnalités de tout bord. L’accord de Taëf
fut présenté comme une tentative de restaurer la paix, due
aux efforts politiques d’un comité composé du roi Hussein de
Jordanie, du roi Fahd d’Arabie saoudite, et du président
algérien Chadli. 62 députés, chrétiens et musulmans, de
l’ancienne Assemblée nationale libanaise, réunis à Taëf,
adoptent un document consacrant pour les uns de fait la
mainmise de la Syrie sur le Liban à qui cet accord donne une
base légale et pour les autres tenant compte de la réalité,
à savoir une sorte de tentative d’arbitrer une situation
hasardeuse.
D’ici à la crise actuelle marquée par un retrait syrien, par
l’ascendance du Hezbollah comme partie incontournable, de
l’assassinat de Rafic Hariri et l’impasse constitutionnelle,
on voit bien que le Liban a continué à être un problème
insoluble pour le monde arabe : pays démocratique et
pluriel, contrairement aux autres, mais basé sur une
répartition qui n’en fait pas une nation véritablement unie.
Ahmed
Loutfi