Exposition.
Trente œuvres, toutes disciplines confondues, portent la
marque du temps et des générations. En rapprochant styles et
idées, c’est l’histoire de l’art en Egypte que l’on regarde
en face.
Le babillage de l’art
« Appliquée
à l’art, la notion d’histoire n’a rien à voir avec le
progrès ; elle n’implique pas un perfectionnement, une
amélioration, une montée ; elle ressemble à un voyage
entrepris pour explorer des terres inconnues et les inscrire
sur une carte », cette sentence de Milan Kundera dans ses
essais, Le Rideau, où il dresse entre autres les multiples
significations du mot « Histoire », va dans le même sens que
l’exposition tenue actuellement à la salle Abaad
(dimensions), au Musée égyptien d’art moderne. En visitant
l’exposition regroupant 30 œuvres, se situant entre
générations et disciplines différentes, on s’interroge : A
quoi sert l’histoire de l’art ? Qui fait l’art ? Comment se
déroule la croissance et la mort d’une culture ? Où en
sommes-nous ?
Cela dit, avec ce genre d’exposition, le débat autour de
l’art s’avère encore plus important que les œuvres montées.
Il ne s’agit plus de critiquer, mais de dresser un constat.
Car les pièces dont il est question viennent toutes de la
collection du musée.
On les a
sorties des dépôts pour engager une discussion tout autour.
Et on tente de rapprocher les styles ou les concepts,
mettant en côte à côte — à titre d’exemple — une peinture de
Ramsès Younane, qui date de 1962, et un tableau de Moetaz
Al-Safti, signé en 1999. Or, de prime abord, il n’est pas
évident de rapprocher ces deux artistes ; lors du vernissage
le public réprobateur en a témoigné. Et c’était au critique
et artiste Ahmad Fouad Sélim, lequel a organisé l’exposition
avec Racha Ragab, jeune artiste et responsable de la salle,
de trouver les liens : « L’œuvre de Younane, intitulée
Abstraction dramatique, a transformé des personnes en
pierres, toutes proches des roches d’Assouan qui le
caractérisent. Moetaz Al-Safti, né en 1969, a en quelque
sorte recouru à cette même procédure de déconstruction,
comme si son œuvre se compose de 5 bandes transversales. Ils
se rapprochent au niveau des idées, de la démarche
analytique ».
Un autre rapprochement problématique s’est fait entre La
Nubie de Seif Wanli (1906-1979) et un sans-titre exécuté en
2006 par Ahmad Réfaat, l’un des artistes qui adore
expérimenter la matière, notamment la pâte à papier. Aucun
des deux ne se sentait l’épigone de l’autre, cependant on
parvient à les faire dialoguer. « La Nubie n’est pas
représentative de l’œuvre de Wanli, réputé pour ses ballets,
pêcheurs et étendues de mer. Mais on a jugé que c’était une
peinture à redécouvrir, elle est du genre que l’on doit
regarder à maintes reprises pour apprendre à apprécier »,
expliquent les commissaires.
Pour entrer dans la légende, il fallait aux plus jeunes
d’accomplir leurs exploits, de bousculer l’ordre établi.
Mais souvent, ils ne se montrent pas violemment agressifs
envers le passé ni suffisamment dévoués à l’avenir. Ils se
situent alors dans un entre-deux fade, beaucoup moins
profond que leurs prédécesseurs. Le palmier « survivant » ou
« témoin » qui resurgit du Nil, après la submersion d’un
village nubien, chez Marguerite Nakhla (1907-1977) n’a rien
à voir avec celui de Tareq Al-Cheikh, dont le village a
perdu de son charme et s’est coloré d’un jaune sable.
La
question de l’émergence des arts est d’abord politique, si
on la pense comme expression individuelle rapportée au monde
social. Elle est aussi sociologique au sens large,
impliquant le développement des civilisations et donc celui
des économies.
Ainsi,
lorsqu’on ressent à travers le portique de Effat Nagui
(1905-1994), une ferveur révolue des années 1960, avec le
fourmillement du monde ouvrier, l’artiste n’est pas sans
obéir à l’esprit du temps. Sans parler de la responsabilité
sociale des arts, son œuvre en est marquée. D’où une
profondeur dans l’âme que l’on ne retrouve pas dans les
portiques plus modernes du jeune doué Hicham Nawar, né comme
par hasard en 1967. Ainsi de suite, l’on bavarde autour des
œuvres faisant affluer les réflexions.
Et en
quittant la salle d’exposition, on a encore la dernière
phrase des essais de Kundera, Le Rideau, qui résonne dans
nos têtes : « L’histoire de l’art est périssable. Le
babillage de l’art éternel ».
Dalia
Chams