|
|
Egypte Ancienne .
Au rythme des crues du fleuve, les Egyptiens de l’Antiquité
ont fait de leur vallée un des plus beaux jardins du monde.
S’intéresser à la diversité de ces vastes espaces verts
finement cultivés et organisés peut être l’occasion d’une
belle promenade.
Un éden pharaonique
Les
Egyptiens ont été de grands amateurs de jardins et des
espaces verts. Les textes et les peintures des tombes nous
font connaître ce goût des Egyptiens pour les fleurs et
l’ombre des arbres des jardins : les morts souhaitent venir
se poser sur les branches des arbres qu’ils ont plantés et
ils souhaitent se reposer à l’ombre des sycomores.
Les jardins de l’Egypte ancienne étaient une oasis de
fraîcheur et une marque de raffinement. Ils sont assez bien
connus grâce aux dessins et inscriptions retrouvés sur les
tombes, qui révèlent que même les morts possédaient leurs
propres jardins dans lesquels ils venaient goûter les fruits
à la fraîcheur de la nuit. Les vivants, eux, cultivaient de
somptueux jardins, mais jamais uniquement dévolus au seul
agrément : ils produisaient tous des fruits, du vin, des
légumes et du papyrus. Les jardins égyptiens étaient souvent
des jardins maraîchers destinés à l’approvisionnement des
populations des villes ou des habitants des déserts.
Dès
le début de l’Ancien Empire, Meten, qui vivait sous Snéfrou,
possédait autour de sa demeure un jardin d’un hectare,
pourvu d’une pièce d’eau, où l’on trouve déjà mentionnés la
vigne et le figuier. Mais c’est surtout au Nouvel Empire que
nous connaissons les jardins, qui étaient alors très
répandus. Anna, qui vivait au début du Nouvel Empire, s’est
fait représenter avec sa femme devant son jardin, qui était
son orgueil, car il y avait fait venir vingt-huit espèces de
plantes, qui formaient un jardin de près de 500 arbres,
parmi lesquels on trouve différentes sortes de palmiers,
dont une variété très rare, puisqu’il n’y en avait qu’un des
sycomores, des figuiers, des grenadiers, des perséas, des
pieds de vigne, des saules, des tamaris, des acacias, des
ifs, des balanites, des jujubiers ; les autres espèces
restent encore à identifier.
Ainsi en était-il des riches demeures qui se trouvaient au
fond des jardins, noyées dans la verdure et les fleurs. Les
jardins étaient clos de hauts murs et souvent pourvus de
portes monumentales. Les allées étaient tracées
parallèlement et se coupaient à angles droits, formant des
parterres rectangulaires plantés d’arbres et de fleurs. Des
kiosques légers étaient édifiés sous les arbres où les
maîtres de logis venaient prendre leurs repas ou se reposer
en regardant les oiseaux et les fleurs.
Tous les jardins étaient pourvus d’une pièce d’eau, souvent
de grande taille, carrée ou rectangulaire. Des lotus et des
papyrus s’épanouissent à la surface et abritent des poissons
et des grenouilles, tandis que les canards y nagent avec
délice. On y descend par quelques marches et une barque
légère est amarrée devant l’escalier, attendant les maîtres
pour leur promenade. Ces jardins possédaient aussi des
potagers, qui demandaient un grand entretien. C’est pourquoi
les propriétaires aisés occupaient une quantité de
jardiniers, dont la tâche la plus importante était
l’arrosage, les potagers étant pourvus de chadoufs. Les gens
moins aisés possédaient aussi des jardins plus exigus, et
seuls les pauvres, entassés dans des masures dans les
grandes villes, ne jouissaient pas de ce plaisir.
Les rois du Nouvel Empire entouraient leurs palais de
jardins plus vastes encore : Aménophis III se fit bâtir un
palais pourvu d’un immense parc à l’ouest de Thèbes. A
Amarna, Akhenaton fit planter plusieurs jardins. Mais c’est
surtout Ramsès III qui se distingue en restaurant les
jardins de l’Egypte, renouvelant les plantes, créant des
nouveaux jardins et faisant curer les canaux abandonnés qui
apportaient aux plantes l’eau vivifiante.
Pour toutes les classes
La tombe d’Amenemheb comporte une remarquable représentation
de jardin : celui-ci est particulièrement vaste et, en dépit
du style raide de la décoration, bien détaillé. Le jardin de
Nebamon, plus modeste, comprend un bassin en T entouré de
quelques arbres et, surtout, une treille soutenue par
d’élégantes colonnettes à chapiteau papyriforme. C’est sous
le règne de Thoutmosis IV que Nebamon commença sa carrière.
Il reçut le titre de porte-étendard du bateau royal. Sans
autre action d’éclat, il poursuivit son activité sous le
règne d’Aménophis III. La modestie de sa tombe reflète bien
la brièveté de sa carrière officielle.
La nature du terrain et le régime de l’inondation
désignaient la vallée du Nil pour être avant tout une terre
à plantes annuelles : alimentaires, textiles, tinctoriales,
médicinales, auxquelles s’ajoutent les plantes d’agrément.
L’orge, « iôt », et le froment amidonnier, « bôti », sont
les plus anciennes céréales connues des Egyptiens, car leur
nom est écrit selon le procédé idéographique le plus ancien
: l’orge avec trois grains et le froment avec un épi. Les
autres espèces de céréales connues plus tard sont écrites en
caractères phonétiques. La culture du lin est très souvent
associée à celle des céréales sur les bas-reliefs de
l’Ancien Empire. On reconnaît sur ces mêmes bas-reliefs la
laitue, l’oignon, la pastèque et les concombres. Dans des
textes égyptiens plus récents, l’ail, le poireau, la fève et
la lentille sont cités. L’huile était fournie par le sésame
et le ricin. Les médecins savaient que cette huile était
purgative, qu’elle faisait pousser les cheveux et calmait
certaines maladies de la peau.
Les auteurs classiques mentionnent le coton égyptien, dont
le nom indigène n’est pas connu. L’orcanette, la garance, le
henné, l’indigo étaient les plantes utilisées par les
teinturiers. La vigne était cultivée sous l’Ancien Empire
dans le Delta, surtout aux abords du lac Maréotique et du
lac Manzala. Cet arbuste est si complaisant qu’il donnait
des raisins de différents genres.
Le jardin d’Enené
L’Egypte n’est pas un pays de forêts. Cependant, comme on
peut le voir sur des peintures thébaines, la campagne
égyptienne n’était pas dépourvue d’arbres. Les Egyptiens
aimaient les arbres pour leur beauté propre, pour la
fraîcheur que procurait leur ombre et pour leurs fruits.
Dans chaque nome existait un verger sacré non loin du temple
principal. Un propriétaire de la XVIIIe dynastie, Enené, a
fait peindre dans son tombeau le jardin où il avait réuni
vingt-trois espèces d’arbres. Le sycomore, « nehet », qui
vient en tête de liste, est vraiment l’arbre égyptien par
excellence. Il pousse dans les villages, dans les carrefours
et même sur les bords du désert, du moment que ses racines
peuvent atteindre la nappe d’eau souterraine. C’est un arbre
vigoureux, presque aussi large que haut, extrêmement touffu.
Le palmier dattier, qui lui est fréquemment associé, est au
contraire haut et grêle. Il existait, il existe toujours des
boqueteaux et même des bois de palmiers d’une grande
étendue, comme celui qui recouvre les vestiges de l’ancienne
Memphis. Le palmier doum, dont le tronc se ramifie à
quelques mètres du sol, ne se rencontrait qu’à partir de
Thèbes. Enené devait être particulièrement fier de montrer à
ses visiteurs un palmier d’une hauteur inaccoutumée, nommé
coucou, sur lequel un scribe quelque peu botaniste donne des
renseignements : O palmier doum, grand de 60 coudées, dans
lequel sont des noix de coco. Dans ces noix de coco sont des
coques. Dans ces coques est de l’eau. L’endroit où l’on
recueille cette eau est lointain.
En effet, sur les 481 arbres du jardin ne figure qu’un seul
cocotier. Les figuiers étaient très abondants et, lorsque
les figues étaient mûres, singes et enfants participaient à
leur manière à la récolte. Les saules, les tamaris, les
jujubiers, les balanites, les moringas, les caroubiers, les
grenadiers, les chaouabou et d’autres espèces
d’identification incertaine complétaient la collection. Le
grenadier semble avoir été introduit en Egypte au début de
la XVIIIe dynastie. On le reconnaît dans le jardin créé par
Thoutmosis III et reproduit dans le grand temple d’Amon à
Karnak. Le moringa fournissait une huile appréciée des
parfumeurs et des médecins. L’olivier, « djede », qui ne se
trouve pas chez Enené, n’est pas mentionné avant le Nouvel
Empire. Il s’est facilement acclimaté en Egypte, et
Théophraste signale une forêt d’oliviers dans la région
thébaine. D’après Strabon, c’étaient les oliviers du Fayoum
qui donnaient les meilleurs fruits. L’acacia seyal
fournissait un bois de bonne qualité aux charpentiers et aux
constructeurs de barques. Le térébinthe, dont la résine, «
sonté », servait à encenser les dieux et les morts, poussait
dans les oasis et dans le désert, à l’est de Memphis. L’Egypte
antique n’a pas connu l’oranger, ni le citronnier, ni le
rosier, ni d’autres arbres qui sont de nos jours l’ornement
des places et des jardins.
La reine des fleurs
Pour les Egyptiens, qui n’ont pas respiré la rose avant
l’époque romaine, la reine des fleurs était la fleur de
lotus blanche ou bleue. On en faisait d’immenses bouquets
pour décorer les salles de festin. Les femmes à la maison ou
en visite tenaient des lotus à la main ou en fixaient sur
leurs cheveux. Les hommes ne les dédaignaient pas et se
couronnaient de lotus au cours des réjouissances champêtres.
La souche tubéreuse de cette plante se mangeait grillée ou
bouillie et l’on faisait une sorte de pâtisserie avec les
graines pilées. Le lotus, (seshen), est la plante
emblématique de la Haute-Egypte. C’est une fleur qui se
referme la nuit et s’enfonce sous l’eau. Pour cette raison,
elle est devenue le symbole du soleil et de la création, et
les Egyptiens pensaient que le dieu Atoum était né d’une
fleur de lotus. Symbole de la renaissance, elle était
associée à Osiris et au culte funéraire.
Le papyrus (mehyt), plante mystique et emblématique de la
Basse-Egypte. Il symbolisait la vie elle-même et le marais
dont toute vie était issue. Les Egyptiens pensaient que des
piliers de papyrus soutenaient la voûte céleste. Le papyrus
servait à toutes sortes d’emplois. On mâchait, comme on le
fait aujourd’hui de la canne à sucre, la partie inférieure
de la tige. Le reste servait à faire des paniers, des
corbeilles, des cages et des bateaux légers. Malgré tout,
son principal emploi était la fabrication d’un papier aussi
approprié pour l’écriture que pour l’illustration et qui se
conserve indéfiniment. Les papyrus formaient au nord de l’Egypte
d’épais fourrés. Les tiges, dont la hauteur était cinq ou
six fois la stature humaine, abritaient dans leurs ombelles
les nids des martins-pêcheurs et d’autres oiseaux aquatiques
qu’assiégeaient les genettes, les ichneumons, les chats
sauvages, tandis que poissons, loutres, hippopotames et
crocodiles se cherchaient et se fuyaient entre les pieds.
En Haute-Egypte, si l’on se fie aux peintures du Moyen et du
Nouvel Empire, les fourrés de papyrus ne sont ni aussi hauts
ni aussi vastes que dans le Delta. Actuellement, cette
plante aurait complètement disparu si l’on n’en cultivait
quelques spécimens dans les jardins du Caire. Par contre,
elle vient spontanément dans la haute vallée du Jourdain et
sur les bords du lac de Houlé qui a conservé son nom ancien
: « hely », attesté dans quelques textes et surtout par le
signe « hl » de l’écriture hiéroglyphique.
Amira Samir
Pour en savoir plus : An Ancient Egyptian Herbal, par Lise
Manniche, AUC Press, 2006
|
|
|
Arbres cultivés
dans
les jardins de l’Egypte ancienne
Dans un pays aussi aride que l’Egypte, les végétaux étaient
essentiels à la survie. De nombreuses plantes, parmi
lesquelles la fleur de lotus, les roseaux de papyrus et
plusieurs espèces d’arbres, revêtaient tant d’importance
pour les Egyptiens qu’elles étaient associées à des
événements mythologiques.
Les espèces d’arbres suivantes semblent avoir été les
principales cultivées dans les jardins de l’Egypte antique.
Sycomore - Ficus sycomorus (Moraceae), Figuier commun -
Ficus carica (Moraceae), Palmier dattier - Phœnix
dactylifera (Palmaceae),
Palmier doum - Hyphæne thebaica (Palmaceae), Palmier argoun
- Medemia argun (Palmaceae), Dattier du désert - Balanites
ægyptiaca (Zygophyllacées), Jujubier épine-du-Christ –
Ziziphus spina-christi (Rhamnaceae), Moringa - Moringa
peregrina (Moringaceae), Olivier – Olea europaea (Oleaceae),
Pistachier – Pistacia sp. (Anacardiaceae), Ricin – Ricinus
communis (Euphorbiaceae),
Acacia du Nil – Acacia nilotica (Fabaceae).
L’histoire naturelle de l’Egypte
Un livre célèbre de Prosper Alpin du XVIe siècle que l’IFAO
vient de publier
et qui est l’un des premiers à parler de l’environnement
égyptien.
La redécouverte de l’Egypte, a été, pour les hommes
d’Occident, une passionnante aventure. Jusqu’à l’an 1700,
c’est-à-dire avant que ne s’ouvre avec le XVIIIe siècle,
l’ère des grands voyageurs, plus de deux cent cinquante
auteurs occidentaux ont publié une relation de leurs
aventures égyptiennes. Bon nombre de ces récits sont d’accès
difficile, en raison de leur rareté ; certains sont encore
manuscrits, les autres sont rédigés dans les langues les
plus diverses : anglais, allemand, espagnol, italien,
flamand, tchèque ou latin. C’est dire que leur utilisation,
même lorsque le livre est accessible, n’est pas toujours à
la portée immédiate de ceux qui s’occupent d’histoire
orientale.
Pour mieux dégager les étapes de cette lente redécouverte,
l’Institut Français d’Archéologie Orientale (IFAO) du Caire
a entrepris de republier, de ces multiples récits, la part
qui concerne l’Egypte, et de la traduire, quand il y a lieu,
en langue française. Documents d’histoire et de
civilisation, ces voyages constituent ainsi les premiers pas
d’un échange au niveau des hommes. Et c’est dans ce cadre
que vient la deuxième édition de Histoire Naturelle de l’Egypte,
par Prosper Alpin, 1581–1584, qui vient d’être publiée par
l’IFAO. Cette œuvre, traduite du latin, est la vingtième
publiée de la collection des Voyageurs Occidentaux en Egypte.
Ce livre, qui a été déjà imprimé en 1979, vient d’être
réimprimé à l’occasion de la célébration du centenaire de l’IFAO
au palais de Mounira.
L’auteur de cet ouvrage de deux volumes, Prosper Alpin, né
en 1553 à Marostica (petite ville proche de Vicence), dans
l’Etat de Venise, a choisi d’abord le métier des armes,
puis, sur les instances de son père médecin, il étudie la
médecine à Padoue et fut docteur en 1578.
En 1580, Prosper Alpin est arrivé en Egypte pour un séjour
qui a duré trois ans et demi. Pendant le temps qu’il y a
passé en pratiquant officiellement la médecine, il s’est
appliqué à apprendre les méthodes médicales propres à ces
populations. Fasciné par la vie naturelle de l’Egypte, il
écrit un grand ouvrage sur l’histoire naturelle du pays dans
lequel il a parlé de la beauté de la vallée du Nil, de la
crue du fleuve et de ses eaux, du climat du pays, des
khamassin et des animaux qui y vivent. « Nous considérons
d’abord ce qui semble rendre l’Egypte célèbre et admirable :
le climat agréable et sain pour les habitants, le Nil, les
villes, les palais, les lacs, les parcs, les richesses, les
marchandises apportées des régions voisines, les pyramides,
les colonnes, les obélisques, les bains, les tombeaux
antiques, les bibliothèques, les sciences, la religion, les
plantes communes dans ce pays, les terrains, les pierres et
autres éléments du sous-sol connus des habitants, et enfin
les animaux domestiques de cette province. Tout cela,
avons-nous pensé, ne manquera pas d’intérêt pour ceux qui
aiment connaître des régions variées et les différentes
façons de vivre des hommes », estime Prosper Alpin dans le
chapitre V du premier volume de son ouvrage.
A. S.
|
|