Al-Ahram Hebdo, Littérature | Le dernier train
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Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 29 août au 4 septembre 2007, numéro 677

 

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Littérature

Commémoration . Au premier anniversaire de la mort de Naguib Mahfouz, nous publions le dernier chapitre d’Al-Mahatta al-akhira de Mohamed Salmawy, dont la traduction en français paraîtra prochainement. Plus qu’un récit touchant des derniers instants d’adieu de Mahfouz,  l’écrivain y révèle des rêves inédits du prix Nobel.

Le dernier train

La voiture qui transporte la dépouille est enfin arrivée. J’ai refermé mes coffres et mes tiroirs. Ce n’était pas la même que celle qui l’avait transportée de l’hôpital jusqu’à la cérémonie des funérailles militaires. Plus de gardes clonés à présent. Tewfiq Saleh était assis à l’avant près du chauffeur. Nous avons sorti le cercueil qui était à nouveau recouvert du tissu vert. Enfin, il nous appartenait. Nous pouvions l’approcher à notre aise et le toucher si nous le souhaitions.

Nous avons mis le cercueil sous la tente en attendant l’arrivée de la famille. Aziza Al-Yassergui le caressa doucement, comme pour saluer celui qui l’habitait. Des gens, que nous ne connaissions pas, arrivaient les uns après les autres. Etaient-ils de la famille du défunt ? Leur nombre augmentait sans cesse.  Quand je posai la question à Madame Attiyat-Allah, elle répondit qu’elle ne les connaissait pas. L’un d’entre eux sanglotait. Je me suis approché de lui et demandai s’il avait connu le maître. Il dit à travers ses larmes : « J’aurai tant aimé être, comme vous, l’un de ses proches. Moi, je ne l’ai vu qu’une seule fois, il y a des années, au Café du Nil. Mais je le connais autant que vous. J’ai lu tous ses livres. Il était plus proche de moi que mes amis intimes ». Je lui demandai comment il avait retrouvé le lieu de la sépulture, que nous-mêmes ne connaissions pas. Il dit : « Moi, je sais tout sur maître Naguib, Dieu l’accueille en son paradis. J’ai si souvent lu dans les journaux des renseignements erronés sur son compte. J’aurais voulu pouvoir les  signaler à ceux qui les publiaient ».

La voiture de Hoda et Faten arriva. Nous étions sur le point de commencer le rituel de l’inhumation quand certains des plus anciens amis du maître nous téléphonèrent en nous suppliant de les attendre. À leur arrivée, ils nous ont dit qu’ils n’avaient même  pas pu assister aux funérailles, les gardes de sécurité les ayant empêchés d’accéder à la mosquée. Nous avons porté le cercueil vers la tombe. Des coups de feu résonnèrent soudain en plein désert. C’était un groupe de soldats venus spécifiquement pour lancer une salve au moment de la mise en terre. Cela faisait partie du protocole militaire des funérailles. Au son des salves, le cercueil traversa le portail du caveau.

Les caméramans se ruèrent soudain sur la tombe ouverte pour photographier la descente de la dépouille. Je les suppliai de se retirer en signalant qu’il n’était pas seyant  de prendre des photos à l’intérieur d’une tombe. Respecter ce moment, c’est respecter la mémoire du défunt. Ils ont tous reculé sans rouspéter. Ceux qui sont restés là ont éteint leurs caméras. Ne restait plus que leur désir d’assister à l’enterrement d’un être cher.

Le cercueil fut ouvert. On sortit la dépouille. Elle était enroulée dans le linceul de ce matin. Hoda et Faten se sont assises sur deux chaises à l’intérieur du caveau. Chacune d’elles tenait un Coran. Elles ont lu des versets durant la mise en terre, jusqu’à ce que la tombe fût refermée. Madame Attiyat-Allah demeura à l’extérieur, n’ayant pas la force d’y entrer. Quand le corps fut descendu dans la tombe, Gamal Al-Ghitani s’effondra. Je mis mon bras autour de ses épaules et l’éloignai du trou béant. A cet instant, Gamal, comme il l’a écrit plus tard, revoyait toute sa vie inscrite dans cette poussière. Aucun de nous n’eut le courage d’accompagner le maître dans sa descente au fond du trou. Mais voilà que parmi les présents, un homme d’âge moyen enleva ses souliers et descendit respectueusement avec le corps. Quand il ressortit, je lui serrai fortement la main. Alors, il me donna son nom et me dit qu’il était médecin, grand admirateur de l’œuvre de Mahfouz, comme des milliers d’autres qu’il a passionnés sans jamais les connaître. Je lui fis l’accolade et nous décidâmes de nous revoir.

Puis la tombe fut refermée sur la dépouille du grand Naguib Mahfouz. La tombe se referma pour que l’esprit se libère du temps et du lieu et s’envole vers l’éternelle gloire. Mais pour ceux qui l’aimaient, il était parti … sans retour.

On se serra les mains entre larmes et émotions. Et nous nous séparâmes dans le désert du Fayoum, chacun retournant à sa vie dans la sinistre ville. Avant de partir, Ibrahim Al- Moallem me demanda si je rentrais avec lui. Je dis que j’allais reprendre ma voiture.

Tout se calma après le départ de la police qui s’était postée là pour indiquer le chemin. 

Je me suis assis sur une chaise. J’ai regardé la tombe close. Et c’est alors que j’ai réalisé de façon bien concrète que désormais nous ne le reverrons plus.

Sauf peut-être dans les rêves.

C’est avec les Rêves que Naguib Mahfouz a vécu ses dernières années. Reviendra-t-il  vers nous à travers eux, nous dévoilant son visage lumineux, son sourire plein d’espoir et d’amour ? Est-il possible que ce visage soit parti sans retour ? Le reverrons-nous un jour ? Y a-t-il des retrouvailles après la mort … ? Malgré la mort ? Ou est-ce vraiment l’éternelle séparation ?

Sur le chemin du retour, je fis jouer la cassette sur laquelle j’avais enregistré les Rêves qu’il m’avait racontés. Je la gardais toujours dans la voiture. Sa voix s’offrit à moi, racontant le premier Rêve qu’il avait préservé en mémoire pour le dicter à Hag Sabri, quand sa main avait cessé d’écrire. Cette main qui continua cependant à tenter courageusement de tracer des mots, jusqu’à ce que l’écriture soit devenue illisible. En entendant sa voix, j’ai revu à nouveau son visage malgré la mort :

« Je me suis vu dans le quartier de Abbassiya, me promenant au vent des souvenirs. Je me souvins en particulier de la regrettée « A ». Alors je lui téléphonai et lui demandai de me rencontrer près du sabil. Je l’accueillis avec un immense bonheur. Et je lui proposai de passer avec moi la soirée au café Al-Fichawi comme jadis. Quand nous arrivâmes au café, nous fûmes accueillis par son propriétaire, l’ancien cafetier décédé. Il se mit à reprocher à « A » sa longue absence. Elle répondit que c’est la mort qui l’avait empêchée  de revenir. Mais le cafetier n’accepta pas l’excuse. Il lui dit que la mort ne pouvait séparer ceux qui s’aiment ».

J’ai reculé la cassette. Il m’a redit encore avec sa voix :

« La mort ne peut séparer ceux qui s’aiment » .

Traduction de Mona Latif-Ghattas 


 

Les marchés

De ses entretiens réguliers avec Mahfouz, l’écrivain Gamal Al-Ghitani a veillé à garder des notes précises dans Al-Magalès Al-Mahfouziya (Dar Al-Chourouq, 2006). Ici, il s’agit d’une conversation informelle lors d’une promenade à Gamaliya en 1978.

Dans la direction d’Al-Hamzaoui, du marché d’Al-Hamzaoui, se trouvent les petites échoppes d’épices et de parfums. A cet endroit-là, le marché a gardé son ancienne configuration et son allure première. Comme dans les marchés égyptiens du XIXe siècle, il n’y avait pas de barrière entre l’acheteur et le vendeur. Si ce bâtiment se trouvait dans n’importe quel pays européen, tout aurait été fait pour le conserver, le restaurer, et y attirer des touristes. On se dirige vers le quartier des bijoutiers. Naguib Mahfouz s’arrête devant l’entrée de l’impasse de la Salehiya. Au-dessus de la vieille portière s’élève le minaret d’Al-Saleh Negmeddine Ayyoub, l’un des plus anciens du Caire, et le plus exceptionnel aussi ; il est couronné d’une forme en encensoir. C’est considéré comme l’un des premiers modèles de minarets égyptiens quand ils ont commencé à se différencier.

Naguib Mahfouz s’arrête quelques instants devant une porte fermée, et me demande :

— Il y a encore un café ici ?

— Oui, mais on est dimanche aujourd’hui, lui répond un passant.

— C’est un café parmi les plus étranges, dit-il. C’est un long passage très étroit, avec des deux côtés des sièges ; quand on est installé, on effleure celui qui nous fait face. C’est ainsi que c’était à notre époque.

On retourne vers la rue Al-Moëz li dine Allah. Il montre en riant une ancienne bâtisse détruite :

— Plusieurs très belles jeunes filles vivaient dans cette maison. Certains notables venaient s’installer ici, levaient le regard, faisaient jouer leurs sourcils et effilaient leurs moustaches à leur adresse. C’est comme ça qu’on draguait dans les années vingt et trente.

On traverse le « marché au cuivre », où Naguib Mahfouz a imaginé l’emplacement de l’échoppe d’Ahmad Abdel-Gawwad dans la trilogie. Je remarquai que son regard s’arrêtait parfois sur certains endroits, ralentissait à d’autres, et qu’il levait la tête la plupart du temps pour observer, contempler. Je n’ai pas voulu troubler ses souvenirs en posant des questions et en demandant des éclaircissements.

On passa devant l’ancien ensemble de Qalaoun, le Bimarstan, le hammam, la mosquée, la coupole, la mosquée d’Al-Nasser Qalaoun, la mosquée Barqouq. Les minarets s’y élèvent, élancés, hauts, surtout les minarets de Qalaoun et de Barqouq.

— Vous avez décrit l’emplacement de la maison de la famille d’Ahmad Abdel-Gawwad dans la trilogie, dis-je à Naguib Mahfouz. D’après votre description, il n’y a pas de maison dans le lieu que vous avez décrit, mais le palais du prince Bichtaq.

Naguib Mahfouz tomba d’accord avec moi. On passe devant le célèbre hammam du sultan.

— Il est encore là ?, demande-t-il.

— Il fonctionne encore, répondis-je. La plupart des hammams d’Al-Gamaliya fonctionnent encore.

Arrivés au sabil de Abdel-Rahmane Katkhoda, Naguib Mahfouz s’est arrêté un instant, et me montre la ruelle des Toumbaqchiya.

— Cet endroit était tout entier occupé par le marché des commerçants du Cham. Ils s’installaient devant leurs étals, avec leurs hauts turbans jaunes, à fumer le narguilé. Ils étalaient le « naql » – c’était du qamareddine, des noix, des amandes et de la noix de coco.

Puis, désignant les ruines d’un ancien bâtiment spacieux :

— C’était la maison d’Al-Mahaylimi, une grande famille. Plusieurs d’entre eux ont participé à la Révolution du 23 Juillet.

— On va se diriger maintenant vers la place de Beit Al-Qadi. On peut passer par le caveau de Qormoz, ou par celui de la ruelle de Beit Al-Qadi.

— Je suis venu ici il y a une semaine et je suis déjà passé par là, me dit-il.

— Vers l’autre caveau alors …

Traduction de Dina Heshmat

 




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