De ses entretiens réguliers avec Mahfouz, l’écrivain Gamal
Al-Ghitani a veillé à garder des notes précises dans
Al-Magalès Al-Mahfouziya (Dar Al-Chourouq, 2006). Ici, il
s’agit d’une conversation informelle lors d’une promenade à
Gamaliya en 1978.
Dans la direction d’Al-Hamzaoui, du marché d’Al-Hamzaoui, se
trouvent les petites échoppes d’épices et de parfums. A cet
endroit-là, le marché a gardé son ancienne configuration et
son allure première.
Comme
dans les marchés égyptiens du XIXe siècle, il n’y avait pas
de barrière entre l’acheteur et le vendeur. Si ce bâtiment
se trouvait dans n’importe quel pays européen, tout aurait
été fait pour le conserver, le restaurer, et y attirer des
touristes. On se dirige vers le quartier des bijoutiers.
Naguib Mahfouz s’arrête devant l’entrée de l’impasse de la
Salehiya. Au-dessus de la vieille portière s’élève le
minaret d’Al-Saleh Negmeddine Ayyoub, l’un des plus anciens
du Caire, et le plus exceptionnel aussi ; il est couronné
d’une forme en encensoir. C’est considéré comme l’un des
premiers modèles de minarets égyptiens quand ils ont
commencé à se différencier.
Naguib
Mahfouz s’arrête quelques instants devant une porte fermée,
et me demande :
— Il y a
encore un café ici ?
— Oui,
mais on est dimanche aujourd’hui, lui répond un passant.
— C’est
un café parmi les plus étranges, dit-il. C’est un long
passage très étroit, avec des deux côtés des sièges ; quand
on est installé, on effleure celui qui nous fait face. C’est
ainsi que c’était à notre époque.
On
retourne vers la rue Al-Moëz li dine Allah. Il montre en
riant une ancienne bâtisse détruite :
—
Plusieurs très belles jeunes filles vivaient dans cette
maison. Certains notables venaient s’installer ici, levaient
le regard, faisaient jouer leurs sourcils et effilaient
leurs moustaches à leur adresse. C’est comme ça qu’on
draguait dans les années vingt et trente.
On
traverse le « marché au cuivre », où Naguib Mahfouz a
imaginé l’emplacement de l’échoppe d’Ahmad Abdel-Gawwad dans
la trilogie. Je remarquai que son regard s’arrêtait parfois
sur certains endroits, ralentissait à d’autres, et qu’il
levait la tête la plupart du temps pour observer, contempler.
Je n’ai pas voulu troubler ses souvenirs en posant des
questions et en demandant des éclaircissements.
On passa
devant l’ancien ensemble de Qalaoun, le Bimarstan, le hammam,
la mosquée, la coupole, la mosquée d’Al-Nasser Qalaoun, la
mosquée Barqouq. Les minarets s’y élèvent, élancés, hauts,
surtout les minarets de Qalaoun et de Barqouq.
— Vous
avez décrit l’emplacement de la maison de la famille d’Ahmad
Abdel-Gawwad dans la trilogie, dis-je à Naguib Mahfouz.
D’après votre description, il n’y a pas de maison dans le
lieu que vous avez décrit, mais le palais du prince Bichtaq.
Naguib
Mahfouz tomba d’accord avec moi. On passe devant le célèbre
hammam du sultan.
— Il est
encore là ?, demande-t-il.
— Il
fonctionne encore, répondis-je. La plupart des hammams
d’Al-Gamaliya fonctionnent encore.
Arrivés
au sabil de Abdel-Rahmane Katkhoda, Naguib Mahfouz s’est
arrêté un instant, et me montre la ruelle des Toumbaqchiya.
— Cet
endroit était tout entier occupé par le marché des
commerçants du Cham. Ils s’installaient devant leurs étals,
avec leurs hauts turbans jaunes, à fumer le narguilé. Ils
étalaient le « naql » – c’était du qamareddine, des noix,
des amandes et de la noix de coco.
Puis,
désignant les ruines d’un ancien bâtiment spacieux :
—
C’était la maison d’Al-Mahaylimi, une grande famille.
Plusieurs d’entre eux ont participé à la Révolution du 23
Juillet.
— On va
se diriger maintenant vers la place de Beit Al-Qadi. On peut
passer par le caveau de Qormoz, ou par celui de la ruelle de
Beit Al-Qadi.
— Je
suis venu ici il y a une semaine et je suis déjà passé par
là, me dit-il.
— Vers
l’autre caveau alors …
Traduction de Dina Heshmat