Samer Al-Mufti, grand expert
de la lutte contre la désertification, s’emploie à insuffler un esprit de
proximité et d’intérêt pour le désert et le Nil auprès du public et des
initiés. Passionné de cet
univers particulier, il en sonde les
mystères.
Un coeur penplé de déserts
Aux
différentes conférences qu’il anime à Saqiet Abdel-Moneim Al-Sawi, au club
d’Al-Seid (de tir), ou encore au club de Maadi, ou de Guézira … il arrive
toujours à l’heure, portable en main, dans un costume élégant, et de grandes
lunettes reflètent son regard pénétrant. D’un pas rapide, il s’installe dans la
salle et salue son audience. Il sort son carnet de notes et fait signe au
technicien de préparer l’écran pour la projection. On dénote le rituel d’un
homme sérieux, appliqué à sa tâche. Samer Al-Mufti, cet expert du Sahara et de
l’environnement, âgé de 62 ans, fait démarrer son séminaire à l’heure. Avec un
ton posé, il parle de son sujet favori : le désert, auquel il voue une passion
soutenue depuis plus d’une quarantaine d’années. Il évoque les différents
genres de Saharas, situe ceux de l’Egypte, de l’Afrique et de l’Arabie
saoudite. Il élucide les charmes propres aux Saharas blanc, bleu ou noir, etc. Tout
est bien expliqué et bien justifié du point de vue météo, géologie, géographie
et histoire. Ces informations, ce genre de savoir est sa spécialisation. Et
plus encore, il gratifie le public d’un condensé exhaustif de toutes ses expériences parce qu’il est
temps de changer son approche de son pays natal : l’Egypte. Al-Mufti s’emploie
à modifier les idées traditionnelles et les a priori considérant le pays comme essentiellement d’économie
agricole. Le sens du devoir l’impose. Et dans tous les séminaires et colloques,
les interventions radio ou télévisées, il ne cesse d’obéir à la conscience du
devoir et du patriotisme. Il explique : « L’Egypte est classée parmi les premiers pays de nature désertique,
dans le monde. Par conséquent, son sol ne se prête pas à une désertification
accrue. Or, l’on ne prête pas attention à cette vérité. La plupart de nos
projets de réformes économiques sont des projets d’agriculture et de culture du
désert. On s’oriente vers le Désert occidental avec l’idée qu’on peut
l’exploiter, à l’instar de la vallée du Nil ». Le transformer en « verdure » et
sur un ton ironique, il se rappelle de la rengaine souvent décantée à propos de
la terre d’Egypte : « On la veut entièrement verte, mais elle ne le sera jamais
», estime-t-il. Il s’agit là, en fait, d’une hypothèse bien étudiée et
calculée. Puisque l’Egypte et son Désert occidental sont classés comme des
régions de très forte sécheresse. Pour les spécialistes, la présence du Nil
n’est qu’une longue fissure dans le Sahara. « Comment croire qu’il faut tout
cultiver ? Le Sahara a son charme et ses mystères. Les touristes payent cher
dans les safaris pour visiter les cavernes et les oasis répandues dans le
désert … Il faut concevoir une nouvelle perspective qui nous mène à mieux
profiter du Sahara, au-delà des obstacles et des restrictions imposés par les
forces militaires à ce nouveau genre de tourisme ». C’est ainsi qu’Al-Mufti
défend sa thèse d’une nouvelle approche du désert, suscitant des controverses. L’expert
avoue que toute sa vie est consacrée au Sahara et à ses études scientifiques.
Encore
jeune adolescent, Samer Al-Mufti était avide de savoir, très attaché aux
programmes et émissions scientifiques diffusés à la radio et à la télévision
sur le monde des animaux, les histoires des plantes, l’univers de la mer … Les
documentaires l’attiraient davantage. Quant aux longs métrages qui filment les
déserts de par le monde, il les connaît par cœur. « Je n’ai pas visité les
déserts du monde, mais à travers ces films, j’ai beaucoup voyagé »,
évoque-t-il. Et évidemment, sans même le planifier, le jeune Samer était bien
différent. Ses amis se délectaient à lui offrir un ouvrage savant sur la
science ou encore sur le désert. S’attendait–on à un génie du futur ? Samer
Al-Mufti, bac en main, voulait entrer à la faculté des sciences pour assouvir
sa soif de la science. Mais l’occasion ne lui était pas propice. Il rejoint
donc la faculté d’agronomie sans se départir de son intérêt pour le savoir
scientifique. Son amour pour le désert se développe de plus en plus.
Une
fois diplômé, il est rapidement embauché au Centre des recherches désertiques. Quelques
mois après, il part pour le désert faire son service militaire. Il se trouve
dès lors dans le milieu qui a tant bercé son imaginaire. « Là, c’était mon
premier contact direct avec le désert égyptien. Une véritable expérience qui
m’a beaucoup appris ». Le désert occupe tout son horizon de réflexion, loin de
sa spécialisation académique de biochimie de nourriture de l’animal, et loin de
sa profession de chercheur. « Je vivais dans le désert et j’observais ses
mystères de près ». De retour, il
continue à travailler au ministère de l’Agriculture, poursuit ses études
supérieures et étudie aussi à la faculté de communication. Une étude qui lui a
permis ensuite de préparer quelques émissions à la radio comme Fiafi (pluriel
de faïfaa, qui signifie le désert en arabe), diffusée sur la fréquence
d’Al-Charq Al-Awssat, et quelques programmes télévisés sur la chaîne 3. Il
contribue aussi à l’élaboration de la maquette et à l’impression de certaines
revues scientifiques.
En
marge de ce labeur entreprenant, Al-Mufti exerce du sport, joue du piano et de
la flûte, se marie et fonde une famille. Mais il ne manque pas à son occupation
première de fouiller dans les histoires du désert et de réunir plus de 4 000
photos sur les Saharas du globe. Il suffit de mentionner devant lui le nom du
Sahara du Robea Khali, ou celui du nord de l’Afrique pour qu’il se charge de
tout expliquer … Avec pareille érudition, et des années d’études, il fallait
donc s’interroger sur les déficiences des projets d’agriculture en Egypte et de
la culture du désert. « En 1958, Abdel-Hakim Amer lançait les projets de la
nouvelle vallée. Avec l’Organisme de la culture du Sahara, on s’attendait à
cultiver environ trois millions d’hectares. Au départ, la superficie arable
était de 20 000 hectares. Cinquante ans après, cette superficie a été à peine
doublée. Les projets de développement du désert, comme Tochka, Moudiriyet
Al-Tahrir et autres sont des projets qui s’étalent sur de longues années sans
jamais toucher leurs cibles. Car ils dépendent essentiellement de l’irrigation
de l’eau souterraine, qui est bien une source limitée et tarissable »,
souligne-t-il. Un avis qui ne plaît pas souvent aux politiciens et aux
responsables de ces projets. Mais cela ne contrarie pas Samer Al-Mufti. Il le
dit ouvertement : « Je ne joue pas avec la politique ». Il maintient son avis
contre vents et marées. Certains lui reprochent une telle franchise, et une
telle attitude claire et directe. Raison pour laquelle Al-Mufti, malgré, tout
son savoir, ses expériences et ses conclusions, est resté à l’écart des grands
postes et du pouvoir. « J’ai passé toute ma carrière loin des feux des
projecteurs. J’étais exclu des grands honneurs en raison de mes idées et de mes
positions réfractaires à toute compromission. Mais je ne le regrette point.
L’honnêteté est mon cheval de bataille ». Il est en quelque sorte habitué à ces
positions hostiles. Enfant, il vénérait son père l’avocat, un homme honnête et
de droiture reconnue. « Je savais qu’il payait cher ses positions fermes et ses
avis sans détours. Cela lui valait de demeurer toujours dans l’ombre. Mais il
ne s’en offusquait pas. Je n’ai jamais vu un combattant de sa trempe »,
raconte-t-il.
Même
quand la chance sourit un peu, il est désigné expert ou conseiller auprès des
gens du pouvoir, ses adversaires interviennent pour saborder ses plans et
entraver ses réformes. Ainsi, au ministère du Commerce, entre 1995 et 2000,
lorsqu’il s’occupe des projets d’agriculture, le ministre le marginalise-t-il
totalement. De même, conseiller du développement économique auprès de Farouq
Al-Baz, responsable de la culture du désert, il a dû quitter ses fonctions au
bout d’une courte durée. « Vous devriez lâcher du lest en renonçant à vos
points de vue intransigeants », lui dit, un jour, un homme d’affaires de renom,
sur un ton critique. Cependant, ses idées finissent par trouver écho auprès du
parti du PND, où il est nommé membre du comité d’agriculture, sans qu’il ait
affiché un esprit partisan auparavant.
Récemment,
dans une interview télévisée, il a exprimé clairement une opinion opposée aux
assertions du ministre de l’Irrigation. Il a annoncé et anticipé sur la
sécheresse du Nil et la submersion du Delta. « On m’accusait ouvertement de ne
plus être un savant ou un expert, que je suis un agent de puissances
extérieures visant à détruire le pays …
et ainsi de suite. Mais, lors d’une confrontation télévisée, dans le programme
de 10h, le ministre a affirmé que toutes mes anticipations du point de vue
scientifique sont vraies ». Les incidents d’accrochage avec les hommes
politiques sont nombreux. Mais Samer Al-Mufti en sort ennobli et confiant dans
ses objectifs. Il sait qu’il est toujours sur le bon chemin. Même à la
retraite, il continue à œuvrer dans la voie du changement voulu. Ainsi,
adopte-t-il un nouveau projet de formation et d’entraînement des jeunes pour le
développement du désert. Il veille à mettre ses idées en application et à créer
une génération de chercheurs qui seront plus à même de transformer la destinée
fatale du désert égyptien. Ce projet, qui vient d’être accrédité par les
autorités, sera lancé au cours du mois présent. Jusqu’au dernier souffle, Samer
Al-Mufti reste cet homme pour qui le Sahara est un rêve et une obsession
enchanteresse
May Sélim
Jalons
1945 : Naissance au Caire.
1967 : Diplôme de la faculté d’agronomie.
1968 : Service militaire et premier contact direct avec le désert.
1980 : Naissance de sa fille aînée Omniya.
1995 : Emission Fiafi à la radio.
2003-2005 : Secrétaire général du Centre des recherches désertiques.
2006-2007 : Série de colloques à Saqiet Abdel-Moneim Al-Sawi.