Loi du kholea.
Elle permet à une femme de rejeter son mari contre
renoncement à ses droits pécuniaires. Mais après 7 ans
d’application, les hommes dénoncent les abus dont ils sont
victimes, et une association dont l’objectif est de rétablir
l’équilibre homme-femme a été créée.
Les ex-maris crient à l’injustice
«
Pourquoi a-t-on réservé un wagon exclusivement pour les
femmes ? Pourquoi ne pas les contraindre à vivre ce que nous
endurons quotidiennement ? Pourquoi l’administration du
métro n’a-t-elle pas partagé les wagons de manière plus
équitable ? », s’interroge le Dr Morsi Abdel-Sattar,
coordinateur du Front de lutte contre la femme autoritaire,
qui a intenté un procès contre le ministre des Transports.
Selon ses propos, réserver un wagon pour les femmes est une
façon de les distinguer de l’autre sexe, alors que la
Constitution interdit toute discrimination de sexe, de race
ou de religion . « L’égalité signifie égalité dans tous les
domaines. Octroyer des droits aux femmes et les privilégier
par rapport aux hommes, c’est discriminatoire. Alors autant
créer un conseil national pour les hommes, à l’instar de
celui des femmes. Si la femme demande à exercer le métier de
juge, pourquoi ne travaillerait-elle pas comme employée
d’égouts ou ne ferait-elle pas son service militaire ? »,
poursuit le Dr Abdel-Sattar, qui a connu l’expérience du
kholea (divorce demandé et obtenu de fait par les femmes,
contre renoncement à leurs droits pécuniaires).
Professeur de philosophie, Morsi, 52 ans, a longtemps
travaillé à l’étranger avant de revenir définitivement en
Egypte pour se remarier après le décès de sa première femme.
Son malheur a été d’avoir signé une procuration à sa seconde
épouse. Cette dernière n’a pas hésité à s’emparer de tous
ses biens. « Elle connaissait parfaitement les règles du jeu
et donc, elle n’est pas tombée dans le piège en avançant des
motifs tels que des violences conjugales, adultère ou
avarice. Ceci aurait transformé le procès en une procédure
normale de divorce », explique-t-il, tout en ajoutant que sa
femme s’est présentée devant le juge, tête baissée, et lui a
dit tout bas qu’elle avait peur de transgresser les
préceptes de Dieu. Une phrase courante souvent prononcée par
les femmes pour obtenir le kholea. Morsi, dont la femme n’a
jamais manifesté l’envie de divorcer, s’est retrouvé du jour
au lendemain ruiné. « Elle a volé tout mon argent, vendu
l’appartement que j’occupais avant de préparer son coup. Le
comble de tout, c’est qu’elle a remis au greffier l’argent
de sa dot estimé à une centaine de L.E. », dit-il amèrement.
Morsi n’a eu d’autre choix que d’intenter un procès contre
elle pour escroquerie. Et avant même que le tribunal ne
rende son jugement, elle avait disparu dans la nature. Il
apprendra plus tard qu’elle s’est remariée et vit
tranquillement de son argent.
Le phénomène prend de l’ampleur
Le
Dr Morsi n’est pas la seule victime du kholea. Sept ans se
sont écoulés depuis la promulgation de la loi concernant le
droit au kholea, un droit octroyé par la charia (loi
islamique). D’après les statistiques du ministère de la
Justice, environ 4 717 procès de kholea ont été intentés au
cours de ces deux dernières années au Caire et 90 % des cas
de divorces traités auprès des tribunaux en Egypte
concernent le kholea. On s’attend à ce que ce taux atteigne
les 95 % dans les trois prochaines années. En effet, le
phénomène du kholea est en train de prendre de l’ampleur. Il
est devenu la dernière arme utilisée par la femme pour se
défendre contre un homme qu’elle déteste ou ne supporte plus
sous le même toit que le sien. Il suffit de faire un tour
dans les tribunaux du statut personnel ou de parcourir la
page des faits divers pour constater l’importance du
phénomène et les raisons parfois futiles et comiques
utilisées par les femmes pour obtenir le kholea. Des
prétextes comme « Passe son temps à se curer le nez », «
Ronfle trop », « Ne prend qu’une seule douche par semaine »,
« Refuse de laver le chien » ou encore l’exemple de cette
femme, qui après 35 ans de mariage, réalise que son conjoint
n’est pas de son niveau intellectuel car elle est diplômée
de l’Université américaine et lui d’une université publique,
ou celle dont le mari refuse de lui parler en anglais ...
Bref, des raisons insignifiantes et ridicules pour se
séparer d’un homme.
« Jadis, la femme faisait tout pour protéger son foyer.
Soucieuse de préserver l’harmonie familiale, elle supportait
les difficultés de la vie en faisant de nombreuses
concessions et beaucoup de sacrifices pour sauvegarder sa
famille. Aujourd’hui, elle n’hésite pas à détruire son
ménage. Que veut la femme actuelle qui bénéficie de tous ses
droits jusqu’à léser son époux ? », s’interroge le Dr
Abdel-Samad Al-Dessouqi, directeur du Front de lutte contre
la femme autoritaire, tout en ajoutant que le but de son
association n’est pas de porter préjudice à la femme mais
plutôt de la protéger d’elle-même et d’aider les couples à
vivre plus harmonieusement. Selon ses propos, la plupart des
hommes sont contre la loi du kholea, car elle a contribué à
augmenter le nombre de séparations en poussant de nombreuses
femmes, sous l’emprise de la colère, à demander le divorce.
Ce qui a des conséquences négatives sur le noyau familial et
l’avenir des enfants. Par ailleurs, l’association tente de
rétablir l’équilibre entre homme-femme. Le Dr Abdel-Samad,
62 ans, a purgé 5 ans de prison pour une affaire politique.
Une fois libéré, il s’est retrouvé sans toit. « Avec la
procuration que je lui ai signée, elle a tout vendu. Je
n’accorde pas beaucoup d’importance à l’argent, mais ce qui
m’a chagriné, c’est d’avoir vécu durant 35 ans avec une
femme que je ne connaissais pas », dit-il au bord des
larmes. Et quand sa femme a intenté un procès de kholea et
qu’elle devait se présenter fréquemment au tribunal, il a eu
pitié d’elle, vu son âge et son état de santé, il a fini par
céder en la répudiant. « Elle n’a pas respecté ses enfants
qui occupent des postes importants, ni ses petits-enfants.
Le makhloue (rejeté par sa femme) devient la risée de tous
», poursuit le Dr Abdel-Samad qui a préféré sauver sa
réputation pour qu’on ne lui donne pas le qualificatif de «
makhloue ». Pourtant, il éprouve le même sentiment que
beaucoup d’hommes qui ont été réprimés et marginalisés par
des femmes aux revendications de plus en plus
spectaculaires. Pour se défendre, ils ont créé une
association. Composée de 150 membres, dont quelques femmes,
cette association exige la modification de certains articles
de la loi du kholea.
Pour eux, il n’y a pas de raison de s’opposer au kholea
puisque c’est une loi qui n’est pas en contradiction avec la
charia. Mais chaque cas doit être traité de la même manière
et suivant la charia et non pas seulement selon la seule
appréciation personnelle des juges. Car l’expérience montre
qu’il existe des tas de lacunes. Le Dr Morsi Abdel-Sattar
relate le cas d’un procès qui a eu lieu au tribunal d’Abou-Hamad,
à Charqiya (nord). Une femme a profité de l’absence de son
mari travaillant à l’étranger pour falsifier des documents,
obtenir le kholea et se remarier orfi (mariage non
officialisé). Et quand son premier mari est rentré, elle a
continué à vivre avec lui pour profiter de son argent. Mais
il a fini par découvrir le manège. Bien que ce mari ait
intenté un procès pour adultère et que Dar Al-Iftaa (Conseil
des avis religieux) ait refusé le kholea à sa femme, le
tribunal a prononcé son verdict en lui accordant le kholea,
mais il l’a aussi condamnée avec son concubin à une peine de
prison et à payer une amende. Le même cas s’est reproduit au
tribunal de la famille à Madinet Al-Chohadaa, à Ménoufiya
(nord), mais cette fois, le juge n’a pas accordé le kholea.
« La loi est appliquée différemment, cela change d’un
tribunal à un autre. Il ne faut pas que les juges prononcent
leur verdict suivant leur entendement », explique le Dr
Abdel-Samad, qui pense que le kholea n’est pas une loi en
tant que telle puisqu’on ne peut pas faire appel contre un
jugement de kholea. Autrement dit, la séparation est
définitive et sans aucun recours. Il se demande comment les
choses vont se dérouler si le tribunal refuse le kholea et
que la femme a déjà refait sa vie ou est enceinte d’un autre
homme. Raison pour laquelle des avocats se sont portés
volontaires pour relever les points négatifs et noter les
modifications nécessaires afin de les soumettre au
Parlement.
Ne disposant toujours pas de local pour se réunir, les
membres de l’association se rassemblent à l’Ordre des
avocats pour défendre leurs droits. Ceux qui se sont connus
dans différents tribunaux au cours de leurs procès font la
connaissance des nouveaux membres. Ils prévoient de mener
des campagnes de sensibilisation dans les quartiers où ils
habitent et pensent même créer une revue parlant des hommes
victimes du kholea, mais aussi des enfants qui paient un
lourd tribut après la séparation de leurs parents. « Une
étude faite sur 200 enfants des rues à Imbaba, Bassatine,
Dar Al-Salam et Aïn-Chams a montré que 75 % d’entre eux se
sont retrouvés sans toit après le divorce de leurs parents
par kholea », souligne le Dr Abdel-Sattar. Ce dernier, assis
tout près de Hassan, un nouveau membre de l’association,
tente de lui remonter le moral en lui prodiguant quelques
conseils. Ressentant pour la première fois un sentiment de
défaite et d’humiliation, Hassan vient de rejoindre le
groupe après son expérience amère du kholea. Son histoire
s’est répandue comme une traînée de poudre dans son
quartier. Un homme « makhloue » est considéré comme un homme
indigne et vénal pour avoir accepté de marchander le prix de
la liberté de sa femme. « Parfois, on se moque de moi et
souvent on me manifeste une certaine pitié condescendante et
je déteste les deux : être un sujet de discussion ou me
sentir victime », dit-il tout en ajoutant qu’il a même
essayé de se remarier avec une voisine, mais elle l’a
refusé, lui lançant : « Je ne peux pas me marier avec un
homme rejeté de cette manière par son ex-femme ». Du coup,
Hassan a déménagé loin de son quartier où il avait vécu 10
ans. Aujourd’hui, il est à la recherche d’un autre emploi et
pense même quitter définitivement le pays. Pour lui, le
temps où la femme avait du mal à se remarier après un
divorce est révolu.
Désormais, c’est aux hommes de souffrir.
Chahinaz Gheith
Bouchra Chiboub