Le roman du Saoudien Ibrahim Badi,
20 ans, fait couler beaucoup d’encre dans les milieux
littéraires arabes pour son audace dans la critique de la
société. Extrait de Hob fil Saoudiya qui dévoile le non-dit
et dépasse les tabous de sexualité et même de politique.
Amour en Arabie saoudite
Je revins à l’université. J’étais aux nues. Je me souvenais
de tout dans les plus menus détails. Comment avais-je tendu
la main, comment l’avais-je touchée ? Comment s’était-elle
courbée … ?
J’aime cela. J’aime ressasser ce que nous avons fait après
chaque fois.
Je pénétrai dans la salle de conférences. Je regardai les
visages de mes collègues. Je souriais.
Pouvaient-ils le pratiquer en voiture ? En plein rue
Al-Riyad ?! ...
Ils craindraient d’être pris en flagrant délit dans un lieu
isolé non légal. Ils ne pouvaient imaginer ce qui en
découlerait. Mieux vaut peser leurs actes cent fois avant de
s’y aventurer …
Même s’ils ont la tête brûlée, ils n’auront pas la chance de
rencontrer une folle comme elle. Qui pourrait accepter de
faire ce que nous faisons ? Que dirait-elle à son père si
l’Institution de mise en examen la faisait arrêter ? Que
dirait-elle s’ils venaient à la prendre à la maison des
jeunes filles en lui donnant à lire le procès-verbal où tout
est noté dans les menus détails, comme s’ils écrivaient les
chapitres d’un roman pornographique ? ...
Je chassai toutes ces idées. Je concentrai mes pensées sur
elle, à l’endroit où je la prendrai après le cours. Lorsque
je la raccompagnerai de la société jusque chez elle. Dans
l’un de ces restaurants que nous avons fréquentés, mais
lequel ? Dans lequel pourrons-nous jouir d’un plaisir plus
long ? Son père sait qu’elle est en réunion et il ne sera
pas inquiet de son retard.
Je me l’imaginai les jambes nues, étendue sur ma cuisse en
voiture alors que le professeur indien débitait sa
conférence. Je ne comprenais pas ce qu’il disait à cause de
son mauvais anglais. Mais ai-je écouté un mot de sa
conférence ? Je tournai les pages du cours et je l’imaginai,
elle.
Chaque nouvelle fois efface les fois précédentes. Toujours.
Aucune de celles que j’ai connues avant elle ne me frôle
l’esprit. J’essayai de revenir avec ma mémoire en arrière.
Je compris alors que c’était sa volupté à elle qui me
faisait sentir ma virilité et me faisait oublier toutes les
femmes précédentes.
Après la conférence qui dura une heure, je me dirigeai
rapidement vers ma chambre dans le foyer des étudiants.
L’étudiant qui partageait ma chambre n’était pas là.
J’ouvris un tiroir que je gardai en général fermé à clé. J’y
gardai des sous-vêtements de grande valeur. J’avais honte
que mes amis s’en aperçoivent. J’avais honte surtout d’une
culotte en soie rouge munie de deux fermetures éclair. Je
pensai déjà à la remarque que j’allais entendre, si mon
collègue avait vent de cette culotte en particulier, il
penserait que je n’étais qu’un demi-homme.
J’écartai la rouge. Je la cachai au fond du tiroir. Je la
reportai pour une occasion meilleure. J’en choisis une
imprimée sur laquelle étaient dessinés des cœurs rouges.
Je la portai. J’imaginai son visage lorsqu’elle la verrait.
Je pensais avec plaisir au compliment qu’elle me ferait pour
mon goût.
J’ouvris mon armoire. Je sortis le parfum Dunhill Desire.
Elle m’avait dit une fois : « Il n’y a aucune relation entre
mon amour pour ce parfum et le sens du mot Desire. J’aime
son odeur comme j’aime ton désir passionné ».
Le moment du rendez-vous se faisait plus proche. Je
conduisais ma voiture vers le siège de la société. Je
sentais un drôle de sentiment. Mon pouls se faisait plus
rapide. Je tremblais. Je claquai des dents. Je n’arrivais
pas à me maîtriser. J’avais froid, bien que le thermomètre
signalât 36 degrés. Je me souvins du climatiseur de l’auto.
Je l’éteignais. Je revoyais les faits.
Je n’avais pas pu sortir avec celles qui l’avaient précédée,
souvent. Elles n’avaient pas accepté d’appliquer mes folles
suggestions. Même celle qui avait consenti, sa terreur avait
tué l’instant du plaisir. Sa peur de voir pénétrer les
imposeurs de la loi à n’importe quel instant à l’intérieur
du restaurant, lui faisait oublier tout plaisir.
Les visages des autres jeunes filles disparaissent en bribes
dans mon imagination avant mon arrivée au siège de la
société.
J’attendais dans l’auto. J’éteignis le moteur et
j’attendais.
Celui qui était en réunion avec elle pouvait-il la
considérer comme une séductrice ? Elle découvre son visage
et montre des mèches de ses cheveux. Elle se maquille …
Pourquoi me préoccuperais-je de la manière dont ils la
perçoivent ? Je suis heureux de sa volupté. Même si ce n’est
qu’une déchue à leurs yeux, à eux tous …
Comment cela ne me faisait-il rien ? Comment accepter
d’épouser une femme que l’on considère déchue ? …
Pourquoi est-elle ainsi ? Parce qu’elle découvre son visage,
s’installe avec eux, se maquille et montre des mèches de ses
cheveux ? Qu’y a-t-il de mal à cela ? ...
Les Saoudiennes ne font pas cela. Elles se couvrent de la
tête aux pieds.
Mais elle est saoudienne également. Quel mal y a-t-il à ce
que son travail requiert qu’elle voie des hommes ? …
A leurs yeux, c’est une femme métissée. Son père est
saoudien et sa mère est libanaise. Ma mère également n’est
pas saoudienne, mais égyptienne ! Sommes-nous des fils de
chien parce que nos mères ne sont pas saoudiennes ?
Je passais d’une question à une autre. Je reprenais les
mêmes questions et les mêmes réponses. Comme si je posais
les questions et y répondais pour la première fois. Je ne
connaissais pas la vérité à ce moment. Je justifiais toute
chose. Je me persuadais qu’elle n’avait fait cela avec
personne auparavant. Plus tard, je découvrirai ses
mensonges. Je comprendrai qu’elle m’avait caché la vérité et
que j’étais un imbécile lorsque j’avais imaginé que son
expérience, sa folie et son audace étaient spontanées. Elle
fera la connaissance d’un autre jeune homme, un jour, elle
fera avec lui tout ce qu’elle faisait avec moi.
******
Ihab se mit à faire des reproches à Fatma à cause de sa
manière de marcher. Il s’était contenté de la distance entre
la voiture et la porte de la société pour élaborer son
jugement : « Tu te dandines ».
Elle lui fit remarquer qu’il l’humiliait lorsqu’il utilisait
des mots comme : « Tu te dandines en marchant, tu fais du
charme en parlant, tu badines dans ta manière d’être ». Elle
demanda à haute voix : « Tu penses que je fais exprès ? ».
Il ne répondit pas. Il demanda comment s’était passée la
réunion ? Il hurla lorsqu’il apprit qu’elle s’était réunie,
seule avec le directeur. Elle avait dit : « Même le
secrétaire est sorti lorsque je suis entrée dans la pièce du
directeur ».
— Comment acceptes-tu ? Pourquoi ne lui as-tu pas dit que tu
ne pouvais pas t’isoler avec lui ou avec un autre ? Tu es
saoudienne. Tu as le droit de ne pas t’installer seule avec
quelqu’un ? Utilise cela pour ne pas t’installer seule avec
quelqu’un, dans un lieu fermé. Ils doivent comprendre que la
nature de ton travail ne nécessite pas qu’ils s’isolent avec
toi.
Elle ne répondit pas. Il la regardait alors qu’elle
regardait de l’autre côté. Il se reprit : « A moins que tu
ne désires cela ? ».
Elle se tut un moment puis hurla : « Je suis une séductrice,
je me dandine, je fais du charme et je badine. Et ce que je
fais avec toi, je le fais avec d’autres. Cherche une jeune
fille toute neuve. Fais-moi grâce et fais-toi grâce de tout
ce mauvais sang ».
Elle lui disait à ces moments-là : « Tu adores te faire du
mauvais sang comme un drogué, tu ne rates aucune occasion
sans faire régner la mauvaise humeur ». Puis elle se
reprenait : « Je sais que tu as bon cœur et que tu oublies
vite ».
Elle était habituée à ce genre de situations. Il lui dira
dans une occasion semblable : « Ce n’est pas la première
fois que tu acceptes de t’isoler avec un directeur ».
Elle appelait cela : Ouvrir les anciens dossiers.
***
A cet instant, en auto, je m’aperçus de son silence. Je lui
fis mes excuses. Je justifiais ma colère en prétextant la
jalousie. Elle sourit. Elle décida de changer une situation
maussade qu’elle avait instaurée elle-même. Elle n’était pas
du genre à reconnaître ses erreurs. Mais elle sentit un
désir passionné vers moi. Comme à son habitude, elle
souhaitait sauter dans mes bras depuis qu’elle m’avait vu
dans la voiture en train de l’attendre.
Je savais cela, car elle avait proposé qu’on aille dans un
restaurant de fast-food. Elle prétendait qu’elle mourait de
faim. Et ce n’était pas vrai. Elle mourait de désir. Elle
voulait vivre le plaisir. Elle voulait comme d’habitude que
cela arrive de manière non concertée. Elle ne voulait pas
que je sache qu’elle était sensuelle. Elle voulait que je
propose, bien que ce soit elle qui proposait en réalité ;
aller dans un restaurant ou que je l’accompagne !
Combien j’étais imbécile ! Je la croyais toujours. Je
pensais que c’était moi qui la menais.
Je me posais plusieurs questions, lorsqu’elle étendait son
corps sur la banquette, me tenait la main. Je pensais :
Combien de fois l’avons-nous fait dans les restaurants de
fast-food ? Je ne sais plus. Si je me mariais avec elle,
continuerais-je à le faire dans les restaurants ?
Je me souviens comment je l’avais convaincue la première
fois et avais calmé sa peur de nous faire attraper. J’avais
dit : « Ils pensent que les jeunes gens et les jeunes filles
se rencontrent dans les restaurants chers pour avoir un plus
grand laps de temps. Dans les restaurants 5 étoiles, la
jeune fille et le jeune homme profitent du temps de
l’attente de la nourriture qui se prépare à feux doux. C’est
comme ça qu’ils réfléchissent. Ils ne pensent jamais aux
restaurants de plats rapides. (Je ne savais pas qu’elle ne
craignait rien, qu’elle faisait semblant de me résister.
Elle voulait que je prenne toujours les devants et que je
joue le rôle de celui qui convainc et qui prend
l’initiative) ».
Notre relation est devenue plus intime dans les restaurants
des plats rapides. Nous n’avions besoin ni de beaucoup de
temps ni de préparation. On partait rapidement sachant
pertinemment bien que personne ne douterait que nous avions
fait quelque chose en 10 minutes. On apprit à ne pas avoir
peur et à ne pas s’en faire. Un rideau en tissu et une
petite pièce nous suffisaient.
Traduction de Soheir Fahmi