Al-Ahram Hebdo, Une | Les mains magiques endolories
  Président Morsi Attalla
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 15 au 21 août 2007, numéro 675

 

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Dossier

Artisanat. A Khoronfiche, dans le quartier historique de Gamaliya, les créateurs de chefs-d’œuvre dont raffolent les touristes vivent de plus en plus dans la précarité.

Les mains magiques endolories

Au fin fond du quartier de Gamaliya, près du centrale téléphonique se trouve Khoronfiche : un monde à part. Un rassemblement de dizaines d’ateliers de fabrication de métaux se côtoient pour former une véritable chaîne de travail dans laquelle chacun à un rôle bien précis à jouer. Design, gravure, zincographie, martelage, laminage, compression, pression, peinture et emballage. Quotidiennement, une main-d’œuvre hautement qualifiée se rassemble dans ces ateliers formant un long couloir étroit au milieu d’anciens bâtiments, témoins de périodes fastes de l’histoire d’Egypte. Ces artisans, qui présentent aux grands marchands du célèbre Khan Al-Khalili ces chefs-d’œuvre qui passionnent les touristes, restent eux dans l’anonymat. Des gens, au ban de la société, contraints à vivre au jour le jour, mais qui sont capables de défier toutes les dures conditions de travail et de surmonter la vie difficile qui les accable. Et c’est dans la chaleur suffocante de l’été que Réda, Samuel, Samir et les autres transforment les métaux en chefs-d’œuvre dans des pièces aux surfaces dérisoires où les bouches d’aération sont rares. Des travaux qui impliquent pourtant l’utilisation de matières chimiques comme l’alcool, l’essence et le tinar (solvant organique composé d’acétone et d’autres matières chimiques) auprès de fours dont la chaleur peut atteindre jusqu’à 280º C. Mais il faut bien gagner sa croûte. L’artisan n’a qu’à résister s’il veut vivre. « C’est le seul métier dont on possède tous les secrets. Nous n’avons pas d’autre choix », dit Réda, marteleur. Dans sa pièce de quelques m2 servant d’atelier, ornementée de versets du Coran, il commence sa journée en tentant de faire fonctionner l’unique ventilateur. Une tentative à l’issue toujours incertaine. Il ne sait jamais s’il doit s’attendre à un échec ou à une réussite.

S’en remettre à Dieu

Pourtant, comme pour le reste, il ne s’inquiète pas. « Tout est dans les mains de Dieu ». Telle est sa philosophie de vie, surtout à une époque où le marché est très fluctuant. Un jour, le travail dans les ateliers se fait d’arrache-pied pour répondre à l’importance des commandes. Un autre, Réda et ses voisins baignent dans l’oisiveté. Et bien que les mois de juillet et d’août constituent la saison prospère des artisans de Khoronfiche, l’ambiance dans les ateliers n’en donne pas l’impression. Réda et son voisin Samuel s’occupent en martelant et en ciselant quelques pièces commandées par des clients des pays arabes comme l’Arabie saoudite et la Syrie. « Ces Arabes cherchent l’habileté de l’artisan égyptien, mais c’est le hasard qui fait que ce genre de petites commandes arrivent jusqu’à nous », explique Réda, qui regrette les beaux jours de son métier. « Il y a quelques années, nous n’avions pas le temps de nous reposer, le cycle de travail était sans fin et nous gagnions une vingtaine de L.E. par pièce. Aujourd’hui, à cause de l’augmentation incessante du prix du cuivre, matériau essentiel pour notre travail, notre marge de bénéfice ne dépasse pas les 2 ou 3 L.E. par pièce », dit-il, tout en martelant une couverture de cuivre du Coran. En fait, cela ne concerne pas uniquement le cuivre car tous les prix des matières premières utilisées par cet artisanat comme le plomb, l’or et l’argent, ne cessent de grimper. A titre d’exemple, le prix d’un gramme d’or, servant à colorer le cuivre, est d’environ 140 L.E. « Un coût de fabrication de plus en plus cher dont le marché ne tient pas compte, puisqu’il doit faire face à la concurrence arabe et chinoise. Ce qui fait que nous remboursons notre argent par crédit et que notre marge de bénéfice est toujours plus que médiocre ».

Une passion dévorante

Une situation qui incite Réda à interdire à son fils de le rejoindre dans son atelier, de peur qu’il ne s’éprenne du métier. Tout le contraire de ce qu’il pensait à ses débuts. Alors âgé de 12 ans, originaire de Qalioubiya, il est venu chercher un gagne-pain au Caire. Passionné par le métier qu’il a appris auprès de Mahfouz Al-Cheikh, l’un des plus grands maîtres, il avait un rêve d’avoir son propre atelier. « Des jours où travail et passion permettaient d’atteindre les bénéfices de 200 L.E. par semaine », dit Réda qui préfère aujourd’hui que son fils soit médecin ou ingénieur plutôt que d’attendre tout au long de la journée qu’une commande veuille bien tomber. Réda comme d’autres artisans de Khoronfiche s’étonnent de la manière dont les autorités les traitent et négligent leurs talents. « Les touristes qui viennent au Caire pour voir le Nil et les Pyramides viennent aussi a priori pour acheter les produits du Khan Al-Khalili qui ne sont autres que nos propres créations. Même dans les autres pays comme l’Arabie saoudite, nous sommes bien mieux accueillis et estimés », dit Réda, en citant l’exemple de son frère qui y exerce le même métier loin des conditions de travail égyptiennes. Aujourd’hui, il fait fortune de son travail car son talent est véritablement reconnu.

Autres ateliers, autres cycles de travail et autres conditions. Acides, bassins, nickel sont autant d’éléments qui participent à produire la couleur finale du métal utilisé pour les médailles, trophées, calèches, couverture de Coran ou d’Evangile, statues pharaoniques oxydées, argentées ou dorées. Samir, dont les traits de visage et les ongles révèlent qu’il a de longues années d’expérience et de professionnalisme derrière lui, est arrivé depuis déjà tôt ce matin. Il s’occupe du zincographe. Il y a cinquante ans, il commençait à apprendre le métier auprès d’Arméniens qui résidaient au Caire. Il raconte qu’à cette époque, l’artisan était roi en son pays. « Nous gagnions 100 L.E. par jour à l’époque de Nasser puis avec l’ouverture économique de Sadate, c’était la prospérité. Mais depuis la guerre du Golfe, les choses ont changé. Le tourisme a chuté et notre artisanat avec. D’ailleurs, nombreux sont les artisans qui ont quitté le métier à cause de l’inflation des prix. Le cuivre qui était à 80 pts est vendu aujourd’hui à 55 L.E. », explique Samir, en ajoutant qu’autrefois le jeune artisan pouvait subvenir aux besoins de 4 ou 5 familles. « Alors qu’aujourd’hui, celui qui exerce notre métier doit avoir la patience de Job », regrette l’artiste, dont les trois enfants ont poursuivi leurs études pour être diplômés universitaires. Il se souvient du jour où son fils a essayé d’exercer son métier et s’est blessé. « Une blessure que sa mère n’a pas supportée, alors j’ai préféré qu’il fasse autre chose ».

Les risques du métier

Des blessures courantes dans un art qui attire de moins en moins la nouvelle génération. Cependant, il y a des exceptions. Samia, une trentaine d’années, est en train de colorer, au rythme rapide d’une experte, des plaques servant à la remise de prix avec le logo du ministère de l’Enseignement et de l’Education d’Arabie saoudite. Samia, qui exerce le métier de coloriste depuis sa tendre enfance, confie être aujourd’hui l’une de ses adeptes. Et devant une large table à côté du four de plus de 280º C, elle fait un mélange de couleurs à l’aide de matières chimiques dont les noms lui sont aussi familiers que leur utilisation : alcool, essence et tinar. Et avec ses mains qui semblent avoir déjà beaucoup souffert, elle poursuit son travail pendant de longues heures sans même utiliser de gants. « Je me suis habituée à travailler de cette manière même si je dois acheter de temps en temps des médicaments pour remédier au problème d’allergies dont mes mains souffrent à cause des matières chimiques », dit Samia, qui touche 90 L.E. par semaine et achète pour 30 L.E. de médicaments. Cependant, elle assure qu’elle a ce métier dans le sang. Une passion qui fait tenir ces artisans, même par cette chaleur étouffante des mois les plus chauds de l’été. Et ce qui importe est d’accélérer le rythme des dernières retouches pour arriver au cycle final, celui de l’emballage chez Am Abdo.

Hala Soliman, l’une des propriétaires de sept de ces ateliers, fait sa tournée pour vérifier la qualité du travail. C’est elle qui est chargée de conclure des marchés auprès de différents instances, ministères, universités, instituts pour la fabrication des trophées. Un business rentable qui alimente le marché en récession des artisans. « Alors, c’est à moi de surveiller le bon déroulement du travail pour que les clients qui ont confiance en notre réputation soient satisfaits », dit Hala.

Entente patrons-artisans

Des responsabilités qui exigent qu’elle reste jusqu’à minuit dans les ateliers, voire qu’elle y passe la nuit. Une femme dans un milieu masculin. Un état de fait qui gêne beaucoup ses parents, mais qui, pour Hala, est une affaire close.

« C’est mon métier et les artisans sont ma grande famille. Ici, ils me protègent, me soutiennent et vice-versa », dit-elle. Une solidarité qui semble être la loi dominante à Khoronfiche et qui semble être leur seule arme de défense face aux mauvaises conditions de travail et de vie. Hala, la femme d’affaires, essaye de conclure le plus de contrats possibles pour capter de nouveaux clients, afin de faire travailler le plus grand nombre d’artisans. Eux, déploient leurs efforts pour être à la hauteur de ces commandes. Les règles sont fixées : celui qui n’a pas d’argent peut tout simplement emprunter à son voisin, si quelqu’un est malade, il est spontanément remplacé par un collègue. Et pendant les moments de repos, tout le monde se rend chez Oum Zaghloul pour qu’elle leur prépare sa « pizza ». Une sorte de crêpes populaires que cette femme âgée fait à son idée et dont le prix varie en fonction du budget de chacun. Un jour, ils la remboursent, un autre c’est elle qui les invite. Ainsi va la vie.

Doaa Khalifa
May Sélim

 




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