Sierra Leone. Le gouvernement a tenu son pari d’organiser dans le calme des présidentielles et des législatives cruciales pour l’avenir politique et économique du pays.

 

Freetown tourne la page Kabbah

 

Les Sierra-Léonais se sont rendus massivement samedi aux urnes pour élire leur nouveau président, pour un mandat de cinq ans, et 112 des 124 députés du Parlement monocaméral, au scrutin majoritaire à un tour. Dans la capitale, Freetown, et en province, des files d’attente se sont formées devant la plupart des 6 171 bureaux de vote bien avant l’heure de leur ouverture, traduisant un fort engouement des quelque 2,6 millions d’électeurs en dépit d’averses régulières.

Dans l’ensemble du territoire, les opérations de vote se sont déroulées « sans incident majeur », selon Marie-Annie Isler Béguin, chef de la mission des observateurs de l’Union Européenne (UE), qui fait partie des quelque 350 agents internationaux déployés sur place. La campagne, hantée par le souvenir des 50 000 morts de la guerre civile, a été dans l’ensemble pacifique, comme le souhaitaient les responsables électoraux. Ce calme qui a majoritairement régné samedi dans le pays a, en partie, rassuré de nombreux observateurs rendus inquiets par les affrontements politiques ayant perturbé le début de la campagne électorale dans plusieurs villes.

Sept candidats se disputent la magistrature suprême, le président sortant Ahmad Tejan Kabbah, arrivé au pouvoir en 1996, ne pouvant se représenter après deux mandats. Le vice-président sortant Solomon Berewa, du Parti du peuple de Sierra Leone (SLPP, au pouvoir), et Ernest Koroma, chef du Congrès de tout le peuple (APC, principal parti d’opposition), sont favoris, mais l’ex-ministre Charles Margai, dissident du SLPP, pourrait selon les observateurs perturber l’ordre établi. Pour être élu dès le premier tour, un candidat devra obtenir plus de 55 % des suffrages. Le deuxième tour éventuel est prévu deux semaines après la proclamation des résultats. Des résultats complets provisoires sont attendus à la fin de la semaine.

Coopté par le président Kabbah, M. Berewa, 69 ans, a joué le rôle de chef de gouvernement dans un pays privé de premier ministre et s’est efforcé de se forger ces derniers mois une image de politicien dynamique, en rupture avec celle de son prédécesseur, souvent pointé du doigt pour son immobilisme. M. Berewa se présente comme le candidat tout désigné pour diriger la Sierra Leone parce qu’il est « très organisé, très sérieux », pas intéressé par l’argent mais par le fait de « développer la Sierra Leone ». Son rival, M. Koroma, 53 ans, s’est engagé à rétablir la stabilité dans le pays en vue d’attirer des investissements étrangers, de combattre la corruption et de rétablir les services de base comme l’alimentation en eau et électricité. M. Koroma, candidat malheureux de la présidentielle de 2002, fustige le manque d’efficacité du SLPP. « Quarante-six ans après l’indépendance, nous sommes au plus mal », soulignait-il régulièrement. Quant à Charles Margai, 61 ans, il est le président du nouveau parti d’opposition, le Mouvement du peuple pour un changement démocratique (PMDC), créé en janvier 2006. Il a promis une véritable rupture en Sierra Leone. « Je n’ai pas de couleur politique, le PMDC est un parti vierge », assurait-il.

Dans les élections législatives, l’APC menace sérieusement la prédominance du SLPP, fait inhabituel dans une région où les formations au pouvoir sont fréquemment reconduites. Il joue sur le mécontentement alimenté, entre autres, par un taux de chômage de l’ordre de 60 %, et sur la volonté de changement d’une population jeune : plus de la moitié des 2,6 millions d’électeurs inscrits ont moins de 35 ans.

Pour contrer la vague de mécontentement, le vice-président Solomon Berewa, qui succédera peut-être à Kabbah à la tête de l’Etat, s’est engagé à lutter contre une corruption endémique et à destituer tout responsable qui n’atteindrait pas les objectifs fixés par le gouvernement. Mais sa formation, le SLPP pâtit dans l’opinion publique de son incapacité de doter le pays d’un réseau routier correct et d’approvisionner la population en eau potable et en électricité. Le pays a vu ses infrastructures en grande partie détruites pendant la guerre et se trouve dans une situation critique malgré un fort soutien international, en particulier britannique. C’est ainsi que les candidats aux deux scrutins ont principalement centré leurs programmes sur la lutte contre le chômage, la construction d’hôpitaux ainsi que la fourniture d’eau potable et d’électricité à la population.

Les scrutins présidentiel et législatif font figure de test démocratique pour l’ancienne colonie britannique durement frappée par la pauvreté et dont l’image est ternie par une guerre civile (1991-2001) qui figure parmi les plus violentes de l’histoire moderne. Pour la première fois depuis la fin de la guerre, les autorités sierra-léonaises ont assuré seules le bon déroulement des élections. Les derniers scrutins, en 2002, avaient été organisés sous l’étroite supervision des Casques bleus de l’Onu, qui ont quitté le pays fin 2005. « Ce n’est pas seulement le jour de l’élection qui est important, c’est aussi la manière dont les partis politiques accueillent les résultats », a prévenu la chef de la mission des observateurs de l’UE.

 

Une situation économique critique

Mais le vrai test de ces deux consultations électorales se joue sur le terrain économique. « Tous les problèmes surgiront dans les jours suivant les élections, lorsque parviendront les résultats », pronostique un observateur étranger, selon lequel l’APC devrait être en tête à Freetown mais en perte de vitesse en brousse, où vit la majeure partie des 5,7 millions d’habitants.

Regorgeant de richesses minières, dont notamment des diamants, la Sierra Leone peine cependant à faire redémarrer une économie quasiment réduite à néant pendant la guerre malgré un fort soutien international. Le pays, dont 70 % de la population vit avec moins d’un dollar par jour, a été classé en 2006 à l’avant-dernière place de l’Indicateur du Développement Humain (IDH) du Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD).

Le pays a bénéficié ces dernières années de nombreux allégements de dette, mais la population, figée dans la pauvreté, tarde à en tirer des bénéfices. Les élections présidentielle et législatives de samedi sont considérées par la majorité des Sierra-Léonais comme une opportunité de relancer la croissance et l’emploi dans ce pays ouest-africain considéré comme l’un des plus démunis de la planète. Ravagé à la fin d’une guerre civile de 10 ans, le pays tente de remettre progressivement sur pied ses infrastructures industrielles et agricoles, mais le processus tarde à porter ses fruits. « Les cinq prochaines années, ça passera ou ça cassera », estime Henry Macauley, président de la Chambre de commerce de Sierra Leone.

Ces dernières années, les bailleurs internationaux ont pourtant manifesté leur confiance à la Sierra Leone et ont soutenu plusieurs réformes gouvernementales, le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale (BM) annulant notamment 1,6 milliard de dollars de dette. En conséquence, l’activité économique est en progression, avec une croissance de 7,5 % et une inflation contenue à 11 %, mais elle tarde à se répercuter sur le marché de l’emploi. Pour cela, les observateurs estiment qu’il faut en priorité relancer l’industrie des diamants, paralysée au début des années 2000 par un embargo onusien destiné à empêcher les rebelles de financer leurs actions par la vente de « diamants du sang ». Les sept candidats à la présidentielle se sont engagés à relancer ce secteur au potentiel exceptionnel.

L’autre impératif, l’abandon de certaines mauvaises habitudes qui font de ce pays un des plus mal notés chaque année par l’ONG Transparency International, qui publie un classement des pays les plus corrompus.

Selon le gouvernement, il faut du temps avant que la croissance économique ne se répercute au niveau social. Pour l’instant, le pays tient largement grâce à l’aide internationale, notamment britannique (environ 60 % du budget de l’Etat). Une situation avec laquelle le gouvernement issu des prochains scrutins devra rompre.

Dans l’attente d’une amélioration des conditions de vie de la population, certains craignent cependant que le chômage (qui oscille entre 70 et 80 %) puisse constituer une menace pour la stabilité du pays.

Hicham Mourad