Faits divers.
De récents incidents sanglants à Daqahliya, dans le Delta,
ont dévoilé un drame typique : la possession d’armes sans
autorisation, le trafic de drogues et le manque de services
dans les villages négligés par les Autorités.
Sur la ligne de feu
Rien
ne va plus. Des incidents sanglants ont eu lieu entre les
habitants de deux villages voisins, Al-Dahriya et Kafr
Al-Teraa Al-Qadima dans le gouvernorat de Daqahliya en
Basse-Egypte. Tout a commencé lorsque 3 mineurs originaires
du village Al-Dahriya, à bord d’un petit véhicule de
transport, ont dragué Chaïmaa, 23 ans, du village Kafr
Al-Teraa. Ils ont lancé une corde autour de son cou
entraînant sa chute. La victime a été traînée sur le sol,
les mineurs ont pris la fuite et le père a aussitôt dressé
un procès-verbal auprès de la police. Le lendemain, les
garçons ont été transférés au Parquet, qui a décidé de les
libérer. Cette décision a suscité la colère des habitants du
village Kafr Al-Teraa Al-Qadima. « La corruption est à la
base de la libération de ces criminels pistonnés. Le député
du PND, Salah Farag, originaire de leur village, Al-Dahriya,
est intervenu en leur faveur. Pourquoi donc ne pas les
lâcher ? », s’insurge Mahmoud, un des habitants de Kafr
Al-Teraa Al-Qadima. A minuit, Mahmoud a décidé avec une
centaine de ses confrères d’attaquer le village voisin.
Munis d’armes blanches, de sabres et de pistolets, ils ont
agressé les habitants d’Al-Dahriya, fait des dégâts dans
leur centre de jeunesse et saccagé les magasins. Pour se
défendre, les autres ont eu recours à leurs armes, qui sont
habituellement en leur possession. Au bout de trois heures
de heurts qui ont fait environ 90 blessés de tout âge et de
tout sexe, la police est enfin intervenue. Le lendemain, les
agresseurs ont bloqué la route qui mène à Al-Dahriya pour y
interdire tout accès et ont interrompu la pompe
d’irrigation,
située
dans leur terrain. La police a imposé le couvre-feu pendant
trois jours et arrêté une vingtaine de personnes inculpées
dans les incidents et qui ont été déclarées ensuite déjà
fichées par la police.« Nos seules activités sont
l’agriculture et le commerce et nous ne trouvions même pas
d’eau pour irriguer nos terres. Les fruits et légumes ont
pourri car nous ne pouvions pas les commercialiser »,
explique Mohamad Abdel-Aziz, commerçant qui a perdu 200 000
L.E. à cause de ces altercations. C’est après plusieurs
tentatives que les dirigeants et les maires des deux
villages ont pu réconcilier les habitants après avoir
rouvert l’enquête.
En fait, cet incident est la goutte d’eau qui a fait
déborder le vase. « Les villageois de Al-Kafr veulent se
venger de nous depuis les élections législatives de 2005,
puisque nous avons refusé de voter pour le candidat
indépendant originaire de leur village. Nous avons choisi
Salah Farag, qui est non seulement de notre village mais
aussi du PND », révèle Mohamad Rachad, employé, tout en
énumérant les services rendus au village par le député et le
ministre des Waqfs, lui aussi originaire de Dahriya. A
l’entrée du village, se dresse une très belle mosquée
imposante fondée par le ministre. Al-Dahriya est bien muni
de différents services et d’infrastructures. Les ruelles
sont asphaltées et éclairées par des lampadaires. Un centre
de jeunesse bien équipé est établi. Les habitants affirment
avec joie leur satisfaction du fait que tous leurs besoins
sont comblés.
A Kafr Al-Teraa, et seulement à quelques pas de Dahriya,
l’ambiance est complètement différente. C’est même le revers
de la médaille. Ici, les habitants d’Al-Kafr souffrent de la
négligence des responsables. « Nous vivons dans l’oubli »,
lâche Hassan Rizq, un des habitants et membre de la
municipalité de Cherbine, où se situent les deux villages.
Et d’ajouter : « C’est après trop d’insistance que les
responsables ont accepté de nous installer des
infrastructures. C’est quand même le moindre de nos droits.
Pourquoi nous en privent-ils? ». Les habitants n’oublient
pas le jour où ils ont vu les bulldozers, chargés
d’asphalter les rues, dans leur village. « Nous étions au
comble de joie à leur vue. Mais, tout d’un coup, nous nous
sommes rendu compte qu’ils passaient seulement par notre
village car c’est le seul chemin possible qui mène à Dahriya.
C’est le village du député qui était concerné, pas le nôtre
! », souligne Oum Ayman, une des habitantes qui se réjouit
de l’acte de l’agression commis par ses voisins contre
l’autre village. « C’est notre seule solution pour faire
écouter notre voix chez les responsables », affirme-t-elle.
Si
cet incident a dévoilé les rancunes enfouies et la
distinction entre les deux villages quant aux services
fournis, un autre problème surgit sur scène. Il s’agit de la
possession d’armes d’une manière illégale et la présence de
près de 1 200 accusés fichés par la police dans les deux
villages. « La plupart des villageois, sinon tous, possèdent
toute sorte d’armes sans autorisation, ainsi que des armes
blanches », avoue le maire de Kafr Al-Teraa qui estime que
c’est une chose tout à fait normale et habituelle car un bon
nombre d’habitants sont des trafiquants de drogues. Si le
maire affirme avec une telle simplicité que le trafic de
drogues est une activité enracinée dans le village depuis
des années, il défend avec beaucoup de conviction les
villageois qui, souffrant de la pauvreté, y ont recours pour
améliorer leur niveau de vie. « Le village, isolé et
négligé, souffre d’un taux de chômage très élevé », rétorque
le maire dont le fils a été arrêté à la suite des incidents.
Suite à cette flambée de violence, les responsables du
gouvernorat sont en train de discuter le lancement des
projets d’infrastructures dans le village et d’y installer
des écoles, un centre médical, ainsi qu’un centre de police.
Mieux vaut tard que jamais. Mais entre-temps, la situation
reste tendue. La police, qui est uniquement présente à
Dahriya, affirme que les officiers sont là pour maintenir la
paix. Toutefois, jusqu’à présent, il n’y a aucune intention
de lancer une campagne visant à mettre la main sur le trafic
d’armes et de drogues et à arrêter les délinquants. Prétexte
: ici ce n’est pas Al-Nékheila, en allusion à ce village
d’Assiout livré à la famille d’Awlad Hanafi, trafiquants de
drogues, pendant des années .
Héba
Nasreddine