Conflit arabo-israélien.
Nouveauté pour le processus de paix en panne : la mission
très médiatisée de Tony Blair, désormais émissaire du
Quartette international. Avec des prérogatives limitées et
un profil jugé anti-arabe et très pro-américain,
l’ex-premier ministre britannique suscite peu d’optimisme.
Au service de l’Amérique
Hier,
un architecte de la guerre contre l’Iraq, aujourd’hui, un
envoyé pour la paix au Proche-Orient, ce sont des fonctions
tellement contradictoires que Tony Blair en a fait acte. Cet
ex-premier ministre britannique vient de terminer sa
première mission en tant qu’émissaire du Quartette
international dans la région, en vue de relancer le
processus de paix. Une tournée commencée par la Jordanie,
elle-même membre du Quartette arabe, avec des escales à
Ramallah et Jérusalem, avant de se terminer au Bahreïn. A
chaque station, les propos sont les mêmes : de « sérieuses
fenêtres de possibilités pour promouvoir la paix », mais
sans entrer dans les détails ni montrer comment on peut
ouvrir ces fenêtres.
La tournée est terminée mais le débat reste ouvert. Blair
qui doit retourner en septembre dans la région aurait « un
plan de travail détaillé » nécessitant l’ouverture des
bureaux à Ramallah et Jérusalem où il compte passer une
semaine tous les mois. De la véritable application et un
esprit d’organisation somme toute. Mais cela n’apporte pas
de réponse à la question de savoir que peut-il apporter au
processus de paix.
Mais avant de répondre à cette question, il est nécessaire
d’abord de s’interroger : Qu’est-ce qu’il avait déjà
présenté pour le Proche-Orient quand il était le numéro un
britannique ? Un flash-back dans le passé de Blair nous
permettra de dire purement et simplement : rien. Il est vrai
qu’il a effectué quelques tournées au Proche-Orient, pour le
même but : promouvoir le processus de paix, mais en vain. La
dernière était en septembre 2006. « Des tournées qui
s’inscrivaient dans le cadre d’une propagande pour essayer
d’embellir son image ternie aux yeux du peuple britannique
», estime Seif Abdel-Fattah, politologue égyptien. .En fait,
le conflit arabo-israélien a été toujours le domaine où
Blair manifestait une contradiction flagrante. Blair,
premier ministre, parlait toujours de la nécessité de la
création d’un Etat palestinien. Mais avec son alliance
durant la guerre de l’Iraq avec les néo-conservateurs qui
soutiennent la mainmise israélienne en Cisjordanie, ses
paroles perdaient toute crédibilité. On a relevé à cet égard
de nombreuses complaisances à Israël. N’est-ce pas lui qui a
dénoncé le cessez-le feu lors de l’agression israélienne
contre le Liban au cours de l’été 2006 ? Pour ce, il a reçu
des sobriquets peu dignes : « le caniche, le serviteur de
Bush », étant donné son suivisme en ce qui concerne la
politique américaine, pro-israélienne dans la région.
Devenant alors, aujourd’hui, l’émissaire du Quartette, que
peut-on attendre de lui ? Ne faudrait-il pas envisager les
choses autrement ? Un politicien ne peut-il pas changer de
masque ? Le pragmatisme n’est-il pas toujours de mise si
l’on veut résoudre une question ? Pour le moment, les
analystes sont peu convaincus d’un changement, d’autant plus
que la tâche assignée à Blair ne touche pas le fond du
problème. « Une mission vouée à l’échec. Puisque le
Quartette lui-même n’a jamais réussi à mettre sur les rails
la chose pour laquelle il a été créé, à savoir appliquer la
Feuille de route au sujet de laquelle une date avait été
fixée : 2005 ». Cette tâche qui lui a été attribuée, d’après
une volonté purement américaine, à peine un jour passé après
avoir ôté le costume du premier ministre britannique, avait
provoqué une grande frustration non seulement au sein du
monde arabe, mais aussi européen. Comment l’émissaire du
Quartette censé être une personnalité neutre soit quelqu’un
qui a toujours fait preuve de partialité ? Tout le monde
s’interroge.
Robert Fisk, journaliste britannique, spécialiste du
Moyen-Orient, avait écrit dans The Independent, le jour qui
a suivi la désignation de Blair : « Je suppose que
l’étonnement n’est pas le mot adapté. C’est le mot
stupéfaction qui vient à l’esprit. Je ne pouvais tout
simplement pas en croire mes oreilles (...). J’ai vérifié la
date — non, ce n’était pas un 1er avril — mais je suis
accablé par le fait que cet homme incapable et trompeur
(...) qui a le sang de milliers d’hommes, de femmes et
d’enfants arabes sur les mains, puisse réellement devenir
notre délégué au Moyen-Orient ».
Et voilà que la première mission et le premier test ont
suscité des critiques. Pour Emad Gad, rédacteur en chef d’Israeli
Digest, publié par le Centre d’Etudes Politiques et
Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, sa tournée a été un échec
dès le départ. « Ses déclarations ont été tellement
déconcertantes, il a dit qu’il est venu pour écouter,
apprendre et réfléchir. Comment une personnalité d’une telle
stature internationale et d’expérience politique comme Blair
puisse dire de telles choses, alors qu’il devrait être l’un
des meilleurs connaisseurs de la situation ? », s’interroge
Gad. Il rappelle que la Grande-Bretagne a une responsabilité
historique à l’égard du peuple palestinien. La Déclaration
Balfour en 1917, sur la création d’un foyer national juif en
Palestine, le soutien de la Grande-Bretagne à l’immigration
sioniste en Palestine sous mandat britannique à l’origine de
la création de l’Etat d’Israël et la nakba (catastrophe)
palestinienne sont autant de faits qui doivent
responsabiliser la Grande-Bretagne.
Pour Mohamad Al-Sayed Saïd, vice-directeur du CEPS, il est
tout à fait difficile de penser que Blair puisse dévier de
la ligne pro-israélienne dictée par les Etats-Unis. « Même
s’il le veut, il ne dispose pas de l’indépendance de le
faire. Il se trouvera face aux attributions si limitées de
sa tâche qui lui dictent de ne pas aborder les négociations
sur le statut final », dit Saïd. Et c’est là le fin mot de
l’histoire.
La charrue devant les bœufs
La tâche précise de Tony Blair, comme il est affiché par le
Quartette, est de travailler à consolider l’économie et les
institutions palestiniennes, en prévision de l’établissement
d’un Etat palestinien viable. Mais, pas d’intervention
politique. Ce que les Palestiniens constatent amèrement.
Pour le négociateur palestinien Saëb Eraqat, la création
d’institutions palestiniennes ne peut se faire sans progrès
politiques sur le terrain, susceptibles de mettre fin aux
mesures israéliennes dans les territoires palestiniens
occupés. « Comment peut-on parler sérieusement de
développement économique et de gouvernance alors que les
colonies, le mur, les restrictions sur le mouvement et les
barrages sapent l’idée même d’un Etat palestinien. Soyons
réalistes », dit-il.
Ni les Etats-Unis ni les Israéliens ne veulent voir Blair
jouer un rôle politique, et c’est d’ailleurs cette mainmise
américaine qui avait été à l’origine de la démission du
prédécesseur de Blair, James Wolfensohn, tout frustré. En
fait, l’ancien envoyé spécial du Quartette sur le
Proche-Orient a accusé l’Administration américaine de lui
avoir sapé le travail. « Les Etats-Unis n’ont jamais renoncé
à garder la haute main sur les négociations
israélo-palestiniennes ... Le problème central, c’est que je
ne disposais pas de l’autorité nécessaire. Cette autorité
revenait au Quartette et au sein du Quartette, elle revenait
aux Américains », dit Wolfensohn.
Aussi pour Israël, la presse israélienne relevait d’ailleurs
le souci d’Israël que M. Blair n’outrepasse pas ses
attributions. Lors de leur rencontre avec Blair, les
dirigeants israéliens ont tenu à faire passer deux messages,
selon la presse israélienne. « Le premier est qu’Israël
souhaite la bienvenue à l’ancien premier ministre
britannique dans son nouveau rôle. Le second est que (...)
Israël va travailler à s’assurer que Blair ne s’écarte pas
de son mandat, à savoir la création d’institutions de
gouvernement palestiniennes ». Un grand souci pour Israël,
puisque ces négociations vont forcer le gouvernement
israélien à aborder des points épineux — frontières,
Jérusalem, réfugiés palestiniens — et à risquer ainsi son
avenir politique.
Un saut dans le vide
Blair n’est pas aussi autorisé à dialoguer avec le Hamas, ce
qui rend tous les efforts déployés, s’ils existent, voués à
l’échec. Ce mouvement qui avait affiché sa disposition de
dialoguer avec Blair s’est élevé contre cette omission. «
Ignorer le Hamas, et par conséquent une grande partie du
peuple palestinien, ferait de la mission de Tony Blair un
saut dans le vide », dit Fawzi Barhoum, un porte-parole du
mouvement.
Selon Seif Abdel-Fattah, si le dialogue avec le Hamas est
interdit, c’est parce que la mission principale, cette
fois-ci, c’est de combattre ce mouvement que Washington
accuse de terrorisme et d’avoir des liens avec Téhéran.
Difficultés interpalestiniennes, incertitude sur les
intentions de Washington qui a invité à une conférence
internationale, prérogatives limitées pour Blair, tout ceci
nous ramène dans ce cercle vicieux de la crise
proche-orientale. La mission de Blair dans ce contexte
est-elle importante ou bénéficie-t-elle simplement de
médiatisation, s’agissant d’un ancien premier ministre qui a
fait beaucoup parler de lui ? Une chose est sûre : on est en
plein chantier avec des initiatives de toutes sortes, mais
d’architecture prévue, il n’en est pas encore question, de
quoi bien arranger Israël.
Aliaa
Al-Korachi