Karen Koning AbuZayd, commissaire
générale de l’Office de secours et de travaux des Nations-Unies pour les
réfugiés palestiniens (UNRWA), a exposé au Caire, la semaine dernière, les
besoins urgents des Palestiniens de la bande de Gaza après la prise de contrôle
par le Hamas,et les obstacles à l’accomplissement de sa mission.
« La bande de Gaza est dans un état
économique et humanitaire dramatique »
Al-Ahram Hebdo : Vous venez de
rencontrer le secrétaire général de la Ligue arabe et le chef de la diplomatie
égyptienne pour demander une aide aux Palestiniens dans la bande de Gaza. Quels
sont exactement les besoins ?
Karen Koning AbuZayd : Nous leur avons expliqué la situation très difficile des
Palestiniens qui subissent un blocus israélien depuis le coup de force du
Hamas, le 15 juin dernier. L’UNRWA a lancé à l’occasion un appel à une aide
urgente à la bande de Gaza. Nous avons besoin de 8 millions de dollars pour
répondre aux besoins essentiels des réfugiés, notamment alimentaires, et 9
millions de dollars pour restaurer les habitations endommagées par la violence.
Nous
avons défini des projets d’urgence d’un montant de 30 millions de dollars, la
moitié de la somme sera consacrée à des projets de création d’emplois pour les
Palestiniens, alors que l’autre moitié sera destinée aux programmes d’aide
financière et de restauration. L’UNRWA s’occupe des travaux de reconstruction
des camps de réfugiés dans la bande de Gaza, y compris la reconstruction des
écoles, des centres de la communauté, des installations sanitaires, ainsi que
des installations médicales. Pourtant, en raison de la fermeture de la bande de
Gaza par Israël et la conséquente insuffisance de matières premières, l’agence
a annoncé, le 9 juillet, la suspension de ses projets de construction à Gaza. Les
projets de construction en cours, qui représentent 93 millions de dollars,
comprennent notamment la réparation d’abris pour 16 000 réfugiés.
— Le directeur de l’UNRWA dans la bande
de Gaza, John Ging, a averti que la fermeture par Israël des points de passage
pourrait augmenter les souffrances des Palestiniens et mener à une catastrophe
humanitaire. Quelle est l’action de l’UNRWA dans ce territoire après le blocus
imposé par l’Etat hébreu ?
— Nos
services continuent normalement, dans les écoles et les hôpitaux, mais les
travaux de réfection d’écoles ou de reconstruction de quartiers résidentiels
sont suspendus, faute de matériaux de construction. Nous avons engagé des
contacts avec les autorités israéliennes afin de trouver une solution à cette
situation, et nous avons un espoir de les convaincre non seulement d’ouvrir les
points de passage de la bande de Gaza pour laisser entrer les matières premières
et les produits alimentaires, mais aussi de laisser sortir les exportations
palestiniennes. L’économie de la bande de Gaza est dans un état dramatique. Rien
que le mois dernier, 3 000 petits projets ont été obligés de fermer leurs
portes, mettant au chômage plusieurs milliers de personnes. Cette dégradation
économique a accru le chômage dans la bande de Gaza, qui atteint aujourd’hui 36
% de la force de travail, alors que le taux de ceux vivant en dessous du seuil
de pauvreté est de 90 %. Ces derniers dépendent essentiellement de l’aide
humanitaire internationale. L’UNRWA et le PAM (Programme Alimentaire Mondial)
offrent de la farine, de l’huile, du lait et du sucre à plus d’un million de
Palestiniens à Gaza. Les dernières violences à Gaza et la fermeture de ce
territoire par Israël ont produit une situation humanitaire dramatique. Les
mesures de boycott imposées par Israël à la bande de Gaza depuis un an et demi
a augmenté la demande des Palestiniens sur les services de l’UNRWA, notamment
dans le secteur de la santé. Cette demande va croissant.
Le
seul moyen de sortir de la crise actuelle à Gaza est d’aider les Palestiniens à
vendre leurs produits à l’étranger. Environ un million de vêtements dans la
bande de Gaza attendent d’être exportés vers Israël. Une grande quantité de
fruits et légumes devraient être exportés vers d’autres pays.
D’un
autre côté, il ne faut pas oublier que l’attention portée par la communauté
internationale pendant les 18 derniers mois aux évolutions dans la bande de
Gaza a escamoté les développements négatifs en Cisjordanie, notamment
l’expansion des colonies de peuplement juif et la multiplication des barrages
routiers et des points de passage, rendant plus difficile la liberté de
mouvement des Palestiniens et l’activité économique. Israël impose des
restrictions importantes à l’entrée des Palestiniens à Jérusalem, ce qui réduit
l’accès des réfugiés aux services de l’UNRWA. Ces mesures poussent plusieurs
Palestiniens, qui ont les moyens, à partir. Plusieurs autres préparent, ou
rêvent, de partir.
— Quels sont les autres obstacles
dressés par les autorités israéliennes dans les territoires palestiniens ?
— Le
blocus et les procédures administratives imposés par Israël nous handicapent
dans notre travail. L’Etat hébreu nous impose aussi de faire passer nos
importations par les ports israéliens, ce qui retarde et rend plus chères nos
importations. En Cisjordanie, les restrictions au droit de circulation nous
handicapent aussi dans notre travail.
— Quelle est l’action de l’UNRWA pour
venir en aide aux réfugiés palestiniens qui ont fui ou subissent les
affrontements armés entre l’armée et l’organisation islamiste du Fatah
al-islam, dans le camp de Nahr Al-Bared, au nord-Liban ?
— 30
000 réfugiés palestiniens ont fui les combats de Nahr Al-Bared vers d’autres
camps de réfugiés, notamment celui de Badawi. Nous avons lancé un appel à une
aide d’urgence de 12,7 millions de dollars et la communauté internationale a
été prompte à répondre à cet appel. Nous apportons aux réfugiés l’aide
nécessaire, qui nous a coûté jusqu’ici quelque 12 millions de dollars. Dans une
phase ultérieure, et après la fin des combats, l’UNRWA compte reconstruire le
camp de Nahr Al-Bared. Mais avant, il faut effectuer un travail de déminage.
— Qu’en est-il des milliers de
Palestiniens bloqués à la frontière entre l’Egypte et Israël, près du point de
passage de Rafah ?
— Il
nous est difficile d’aider ces Palestiniens. Notre responsabilité se limite aux
Palestiniens dans les territoires occupés, dans la bande de Gaza et en
Cisjordanie, ainsi qu’en Jordanie, en Syrie et au Liban. La question des
Palestiniens dans d’autres pays, en Egypte ou ailleurs, relève du
Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés (HCR). Mais nous
déployons nos efforts, en coordination avec le HCR, auprès des autorités
concernées pour ouvrir tous les points de passage.
— L’UNRWA souffre d’une crise
financière, qui affecte sa mission envers les réfugiés palestiniens. Comment
entendez-vous régler ce problème ?
— Je
n’aime pas l’appeler crise. Notre budget de cette année, qui se monte à 500
millions de dollars, souffre d’un déficit de 100 millions, soit 20 %. Une somme
importante qui se répercute d’une façon négative sur notre mission qui
comporte, entre autres, les travaux de reconstruction des camps de réfugiés
dans la bande de Gaza, y compris la reconstruction des écoles, des centres de
la communauté, des installations sanitaires, ainsi que des installations
médicales. Les pays arabes se sont engagés il y a plusieurs années à offrir une
aide à hauteur de 7,8 % de leurs budgets annuels aux réfugiés palestiniens,
mais ils n’ont pas tenu leurs promesses puisque les aides accordées
n’atteignent que 400 millions de dollars, soit 3 % seulement du budget de
l’UNRWA. Nous demandons donc aux pays arabes, notamment aux riches Etats du
Golfe, d’augmenter leurs assistances et de revenir au niveau de leur
contribution des années 1980, qui se situait aux alentours de 8 % du budget de
l’UNRWA. La poursuite de l’état actuel des choses se traduit par une
détérioration constante de nos services dans les différents domaines de
l’emploi, de l’éducation, de la santé, etc.
La
contribution au budget de l’UNRWA est facultative pour les Etats. Une trentaine
de pays y participent, notamment les Etats-Unis et l’Union européenne, qui
fournissent 90 % du budget. Viennent ensuite le Japon, le Canada, la Norvège et
d’autres pays européens qui offrent entre 5 et 6 %, et les pays arabes (3 %).
Outre
notre budget annuel, nous lançons chaque année, depuis 6 ans, un appel à une
assistance urgente pour les réfugiés palestiniens. Cette année, nous avons
demandé 240 millions de dollars. Nous n’en avons reçu que 100 millions. Le
problème est que la communauté ne contribue d’habitude que lorsque la situation
se détériore dramatiquement ou lorsqu’il y a une avancée significative dans le
processus de paix. Mais en temps normal, les contributions sont très
insuffisantes .
Propos recueillis par Hicham Mourad