Handicapés.
La naissance d’un enfant handicapé est un traumatisme pour
sa famille. Et c’est la réaction à cette nouvelle qui va
déterminer son avenir. Parcours difficiles de couples.
Attention aux faux départs !
«
Quand je voyais des cas d’enfants handicapés, je me
contentais de montrer ma compassion à l’égard de la famille,
sans penser un seul instant pouvoir me retrouver un jour
dans une telle situation. En fait, ce sentiment
d’indifférence face aux soucis des autres est fréquent »,
explique Imane Samir, 26 ans, secrétaire qui vient de mettre
au monde son premier enfant. Dès la naissance, le père du
petit Mohab s’est douté que son enfant présente un retard
mental, car son cou n’était pas normal. Discrètement, il se
dirige vers un laboratoire d’analyses de chromosomes pour en
avoir le cœur net et sans en parler à la mère, qui devait
passer quelques jours à l’hôpital suite à un accouchement
par césarienne. « Il a fallu attendre 13 jours pour obtenir
les résultats, une période difficile et décisive dans ma
vie. J’étais partagé entre ce sentiment d’espoir et
d’angoisse. Ne pouvant en parler à ma femme, je souffrais en
silence. J’ai dû l’informer au fur et à mesure », raconte
Walid, 30 ans, un jeune artiste. Quant à Imane, la mère,
elle ne s’est pas du tout doutée que son enfant pouvait être
anormal, puisque les analyses au cours de la grossesse n’ont
montré aucun signe inquiétant. « Lorsque j’ai appris que mon
bébé avait un retard mental, tout s’est effondré autour de
moi. Je voyais la vie en noir. Il a fallu enterrer tous les
rêves planifiés pour mon fils. Face à ce destin, j’ai
éprouvé un sentiment d’injustice. Je me voyais confrontée à
l’inconnu », confie Imane qui, une fois le choc passé, ne
s’est pas laissée aller au désespoir. Aujourd’hui, elle
n’hésite pas à chercher une solution au handicap de son fils
en prenant conseil auprès des associations et centres de
rééducation.
L’action sociale
Avoir
un enfant handicapé est souvent un drame pour beaucoup de
familles. La situation s’aggrave lorsqu’il s’agit du premier
bébé. Durant ces dernières années, l’Etat a déployé de
grands efforts pour que la société puisse accepter cette
catégorie longtemps marginalisée et contrainte à vivre
cloîtrée dans les maisons comme si avoir un enfant handicapé
était une « infamie », comme l’exprime une maman dont le
fils est handicapé. Cependant, rares sont les couples bien
informés ou préparés à accueillir un enfant pareil.
Aujourd’hui, certaines associations s’efforcent d’apporter
un soutien moral aux mamans en leur donnant des conseils,
comme le fait l’association Al-Haq fil hayat (le droit de
vivre) pour atténuer ce premier choc qui, parfois, peut
entraîner des conséquences graves. « La maman a besoin d’un
soutien moral, surtout au cours des premiers mois, pour
avoir le courage d’assumer et de poursuivre son pénible
périple. On lui montre qu’elle n’est pas seule, ce qui est
très important pour ne pas se sentir isolée dans les moments
difficiles, car l’entourage manque parfois de tact. Elle a
alors la possibilité de rencontrer des mères qui partagent
le même problème. C’est aussi l’occasion pour elle de
découvrir des exemples de réussite d’enfants handicapés
ayant obtenu des médailles aux Jeux olympiques ou des prix
dans les festivals de musique. On lui propose nos services,
comme par exemple de laisser son enfant chez nous, le temps
de faire ses courses le matin. Elle a la possibilité de
suivre des stages et d’apprendre les choses les plus
élémentaires pouvant servir son enfant durant la première
partie de sa vie », explique Nani Saleh, présidente de
l’association Al-Haq fil hayat et mère de deux filles
handicapées.
D’autres associations insistent sur le fait de sensibiliser
le couple. « Un enfant est conçu à deux, et donc la
responsabilité doit être partagée entre les parents ». C’est
ainsi que le Dr Hanaa Hussein, kinésithérapeute et
présidente de l’association Bayti (ma maison), résume sa
philosophie. Elle assure que souvent la mère est pointée du
doigt comme si elle était responsable de ce qui arrive. «
Parfois, le père ou l’entourage l’accusent d’être
responsable du handicap de son enfant pour avoir ingurgité
certains médicaments ou présentent quelques cas d’hérédité
dans sa famille, etc., oubliant que c’est un problème
concernant le couple. Et c’est cette information que l’on
essaye de leur communiquer », explique le Dr Hanaa.
Des associations œuvrent pour soutenir les mères et les
couples ; pourtant, la réaction de ces derniers diverge.
Selon la psychologue Hala Al-Sayed, la psychologie des
mamans d’enfants handicapés correspond souvent à l’un de ces
trois cas : un amour sans bornes pour l’enfant et un grand
dévouement pour lui au risque de négliger ses frères et
sœurs, ou alors un rejet total. D’autres ne veulent pas
reconnaître que leur enfant est handicapé et agissent avec
lui comme s’il était normal. « Ce cas de figure s’observe
clairement lorsque l’enfant n’est pas trisomique. Parfois
même, il est beau physiquement et la famille ne veut pas
admettre son retard mental », remarque Saleh.
Impacts divers
Noha,
professeure à l’université et mariée à un célèbre médecin, a
suivi ce chemin. Elle a inscrit sa jolie petite fille dans
une garderie pour enfants normaux. Malheureusement, elle en
a beaucoup souffert, car les autres gamins se moquaient
d’elle et ne pouvaient pas comprendre son état. « A cet âge,
on est sans pitié », déplore la maman. Sa petite a ensuite
eu de graves problèmes psychologiques et lorsque les parents
ont compris son état, il était trop tard. Agée de 9 ans,
elle avait déjà raté beaucoup de choses et son état s’était
détérioré, puisque ses parents n’ont pas voulu reconnaître
qu’elle était handicapée.
« Cette situation a lieu plus fréquemment dans les familles
aisées et cultivées que modestes. Ces premières ont du mal à
accepter la vérité, étant donné leur réussite dans la vie.
Par contre, les gens pauvres l’admettent plus facilement,
ils n’ont pas tendance à cacher l’enfant, qui de ce fait
s’intègre facilement dans la société. Dans les quartiers
populaires, il est courant de voir les enfants handicapés
jouer avec les autres sans aucune difficulté. Le problème
est à moitié résolu dès que l’on en prend conscience »,
ajoute Saleh.
D’autres familles refusent ce fait et n’arrivent donc pas à
aimer leurs enfants. Selon la même psychologue, elles se
contentent soit de les déposer dans un pensionnat, soit de
les enfermer chez eux.
La famille Hazem, dont le père est officier, a caché son
enfant handicapé pendant plus de 15 ans. Le garçon n’est
sorti de la maison que le jour de son décès. Une attitude
aberrante, d’après Saleh, car ces enfants sont
particulièrement très sensibles et savent si leurs parents
les aiment ou pas. Et s’ils réalisent qu’on les rejette, ils
refusent d’apprendre quoi que ce soit et restent bloqués
totalement. En fait, le sentiment de refus de ces enfants
commence, d’après le Dr Hanaa Hussein, à apparaître dès les
premiers jours. C’est important que l’entourage aide le
couple à surmonter ce choc, car si l’enfant est entouré
d’une famille compréhensive, ses progrès ne seront que plus
grands. Héba, ingénieure et mère d’une fille handicapée, a
failli intérioriser les critiques de sa belle-famille. « Tu
as une petite matrice qui a comprimé le cerveau de l’enfant.
Tu es la cause de ce problème », lui répétait sans cesse sa
belle-mère devant son mari. Pourtant, Héba a décidé, avec
l’aide de son époux, de ne plus prêter attention à ce genre
de commentaires. « Je me sentais coupable les premiers
jours, mais j’ai dû me corriger car face à cette pression,
je commençais à rejeter mon enfant et n’arrivais plus à lui
donner le sein. Mon mari, un homme pieux, m’a conduit à la
raison, me conseillant d’admettre la volonté de Dieu et de
ne plus être méchante avec ma petite comme le faisait mon
entourage », relate Héba. « Il faut accepter ce qui nous
arrive d’une manière civilisée et savoir surmonter le choc,
car les gens jasent et jaseront toujours. Seule une forte
personnalité peut passer outre de telles mesquineries »,
explique Héba qui a dû restreindre son cercle d’amies et
créer un nouvel entourage capable de la soutenir.
Certains parents sont capables de transformer leur problème
privé en une cause publique. Nani Saleh en fait partie. Elle
a eu sa première fille handicapée alors qu’elle était à
peine âgée de 19 ans. Personne ne voulait lui dire la
vérité, bien qu’elle sentît qu’il y avait quelque chose
d’anormal. « Les médecins en Egypte ne voulaient pas me le
dire. Chacun souhaitait qu’un autre le fasse à sa place. La
veille de mon départ, le Dr Mamdouh Gabr, célèbre pédiatre,
m’a mise face à mon destin et m’a demandé d’être solide, car
l’état de ma fille exigeait de grands efforts ». Lorsque
Nani est partie en Angleterre, elle a observé combien ces
enfants étaient bien intégrés aussi bien dans la rue que
dans les écoles et même dans l’ensemble de la société. « Je
suis retournée en Egypte avec une nouvelle conception, car
j’avais compris combien ces enfants avaient le droit de
vivre. Ils peuvent aussi apporter de la joie à leurs parents
», explique Nani qui, plus tard, accouchera encore d’un bébé
handicapé. De retour en Egypte, elle a fondé, avec l’aide de
9 mamans, l’association Al-Haq fil hayat, première en son
genre en Egypte, pour parrainer les handicapés. Cette
association deviendra une icône, puisque plusieurs enfants
sont devenus de grands sportifs ou d’excellents musiciens.
Imane, quant à elle, a décidé de ne pas céder au premier
choc. Elle effectue actuellement un stage de Montessori,
nouvelle méthode d’apprentissage pour les enfants
handicapés, une formation qui permet de mieux comprendre et
aider son propre enfant. « Je vais peut-être changer de
carrière et de nouveaux horizons s’ouvriront à moi. Avoir un
enfant handicapé apporte à mon expérience une touche
particulière où espoir et chagrin fusionnent », conclut-elle
.
Dina
Darwich