Kéfaya.
Le mouvement d’opposition a refait surface en appelant à une
journée morte le 23 Juillet. Métamorphose d’un groupe qui se
veut rassembleur au delà des partis.
Ça suffit ?
«
Si aujourd’hui nous appelons à la désobéissance civile à
l’occasion du 23 Juillet, cela veut dire que nous existons
toujours. Le mouvement est plus ou moins actif selon
l’actualité », lance l’ancien coordinateur de Kéfaya, George
Ishaq, à tous ceux qui lui disent que son mouvement a fait
son temps. « La culture de protestation et de critique,
c’est Kéfaya qui l’a ressuscitée. Les manifestations des
ouvriers, des enseignants, c’est l’esprit de Kéfaya qui les
a rallumées. Nous avons essayé de soustraire les gens à la
culture de la peur pour critiquer le président de la
République en personne », ajoute encore Ishaq sur un ton
fier.
Un mouvement de conscience, et non pas un parti politique,
un mouvement qui demande à ses adhérents d’ôter à sa porte
leurs chapeaux idéologiques, un mouvement qui ne saurait
avoir aucun « programme » écrit puisqu’il s’agit de
rassembler les rangs de l’opposition quels que soient les
programmes. C’est ainsi que s’était présenté Kéfaya il y a
trois ans à tous ceux qui partagent la soif du « changement
».
Le mouvement a joué sur la colère de la population et l’a
libérée de sa peur. Son baptême de feu, ce fut en 2004 lors
d’une manifestation où l’on s’attaquait, directement et pour
la première fois, au président Moubarak. Un tabou s’est
brisé, et la situation ne sera jamais « comme avant ». La
bonne exploitation des médias a fait le reste et Kéfaya
s’est imposé une bonne fois pour toutes. Mais ce défoulement
qui ne connaît pas de limites était étrange au style des
forces de l’opposition classique qui respectent volontiers
les lignes rouges.
Briser un tabou, mais ...
« Nous participons à toutes les actions de Kéfaya qui sont
en accord avec nos principes. Quand les positions ou le mode
d’action ne nous conviennent pas, nous nous éloignons sans
pour autant prendre une position hostile », affirme le
président du parti du Rassemblement, Réfaat Al-Saïd. « Il
arrive par exemple que Kéfaya rassemble des citoyens pour
une manifestation de solidarité avec les Palestiniens et les
gens découvrent qu’il s’agit de scander des slogans contre
Gamal Moubarak. Or, ce ne sont pas forcément des slogans que
tout le monde peut prendre à son compte », critique-t-il.
Ayant commencé avec pour slogan « Non à un nouveau mandat,
non à l’hérédité », en référence au président Moubarak et à
son fils Gamal, le mouvement a dû en trois ans d’existence
se constituer des objectifs palpables pour rassembler ceux
qui ont aussitôt découvert que huer le nom du président ne
résout rien de leur problème.
« Il se trouve aussi que les gens sont pauvres, et que
souvent leur seul souci est de parvenir à nourrir leurs
enfants. Nous avons donc décidé d’établir toujours le lien
entre politique et vie quotidienne. Maintenant, nous
essayons d’expliquer aux gens que s’ils sont au chômage,
s’ils ne trouvent pas d’eau potable, c’est parce que les
responsables sont corrompus et ne font pas leur devoir »,
explique George Ishaq. « Nous sommes un mouvement qui évolue
et qui change. Pour nous, rien n’est figé, rien n’est sacré
», reconnaît-il.
La corruption, la privatisation et les droits des ouvriers
devinrent ainsi des sujets de mobilisation plus susceptibles
de galvaniser les masses.
Cela dit, le fait de n’être pas une formation politique
constitue à la fois la force et la faiblesse de Kéfaya. «
Après les élections législatives de 2005 où ils se sont
imposés comme la principale force d’opposition, les Frères
musulmans ont été les premiers à l’avoir abandonné. Les
autres partis politiques ont été occupés par leurs
dissensions internes et donc, ont été moins actifs au sein
de ce mouvement », analyse Abdallah Al-Sénnawi, rédacteur en
chef de l’organe du Parti nassérien. « A mon avis, le
mouvement s’est pratiquement achevé après le départ de son
ancien dirigeant, ceux qui ont pris les rênes ne sont que
des marginaux, aucun courant de poids ne place sa confiance
en ce mouvement, qui jadis a réussi à faire peur au régime
», ajoute-t-il.
L’électron libre de cette coalition disparate fut les
islamistes qui ont, à maintes reprises, essayé de profiter
de la puissance mobilisatrice de Kéfaya pour leur propre
compte, notamment durant les manifestations. Les prises de
position jugées trop « laïques » de son ex-dirigeant George
Ishaq ont provoqué un retrait important des islamistes.
Ensuite, la nomination de Abdel-Wahab Al-Messeiri, avec son
assise d’islamiste, est venue comme une tentative de ne pas
perdre cette composante de poids. « Je figure parmi les
signataires du document constitutif de Kéfaya, comme
citoyen. En tant que Frères musulmans, nous sommes soucieux
d’éviter tout poste de direction pour qu’il n’y ait pas de
malentendus », affirme Essam Al-Eriane, cadre de la
confrérie, tout en accordant un bilan « positif » au
mouvement.
Le choix de Messeiri a donc payé, du moins partiellement.
Même si son statut d’homme politiquement neutre et peu
engagé soulève beaucoup de réserves. Personne ne peut encore
savoir si le vieux sage à la santé fragile parviendra à
revigorer son jeune mouvement incertain.
Chérif Albert