Réformes Economiques . Le 4e
rapport sur la compétitivité égyptienne demande aux décideurs d’accélérer le
travail, en se penchant d’abord sur la redistribution des revenus et
l’abrogation des législations trop strictes.
Aller toujours plus vite
Ne
semble-t-il pas curieux d’appeler le gouvernement à mener davantage de
réformes, au moment même où la performance économique du pays est la meilleure
depuis de longues années ? C’est pourtant ce que demande le Conseil National de
la Compétitivité Egyptienne (CNCE) dans son 4e rapport annuel, intitulé «
Prendre le prochain grand pas ». Le rapport, dont l’Hebdo a reçu une copie, est
encore diffusé en nombre restreint.
« Pour
améliorer nos indices économiques et sociaux, il faut passer la quatrième
vitesse, la plus délicate », estime Samir Radwane, directeur exécutif du CNCE. Et
de donner l’exemple de la fabrication d’une automobile. « C’est plus ou moins
comme l’assemblage du corps d’une voiture. Maintenant qu’on excelle dans cette
industrie, il est temps d’apprendre à développer le moteur, afin de pouvoir
faire rouler la voiture nous-mêmes ».
Selon
les plus récentes études (2006), l’Egypte vient de réaliser une forte
croissance de 7,2 %, détient aujourd’hui des réserves internationales record en
devises (28 milliards de dollars), enregistre une croissance industrielle sans
précédent de 7 %, et le flux d’Investissements Directs Etrangers (IDE) est des
plus importants, avec 7,2 milliards de dollars. Des réalisations qui ont obtenu
la satisfaction des auteurs du rapport. Cependant, il est temps, d’après eux,
de se pencher sur cette croissance : qui en profite, et comment la soutenir à
ce niveau pendant une dizaine d’années, afin de réaliser le développement tant
espéré ?
En ce
qui concerne les IDE, il ne suffit plus de se vanter des chiffres record. Il
faut dorénavant œuvrer à les attirer là où ils sont le plus attendus. Radwane
donne l’exemple de l’Afrique du Sud après l’apartheid, ou encore de la Chine. Ces
deux pays avaient élaboré une liste de secteurs prioritaires, que les officiels
indiquaient aux investisseurs étrangers potentiels. « L’Egypte doit rechercher
des sources de croissance durables et non épuisables », appelle-t-on dans le
rapport. Radwane estime que l’attention doit être ainsi déviée vers l’industrie
et le tourisme. Cette recommandation n’est pas une nouveauté. Dans le rapport,
celle-ci concerne plutôt les remèdes proposés.
Ainsi,
est-il demandé d’introduire des politiques économiques ayant pour but de
redistribuer les revenus. « Il ne faut pas traiter la détérioration de la
distribution des revenus comme un problème social, c’est-à-dire en augmentant
les subventions publiques. Il s’agit plutôt d’une question économique », lance
Radwane, qui regrette que l’équipe ministérielle actuelle ne partage pas cette
vision. Dans ce même contexte, il note que la base sur laquelle repose la
croissance économique actuelle demeure fragile. « Car elle ne favorise toujours
pas les Petites et Moyennes Entreprises (PME), alors que le développement de ce
secteur mène directement à l’amélioration de la distribution des revenus »
(voir encadré). Et quand les revenus des classes les plus démunies augmentent,
ils sont au fur et à mesure entièrement dépensés dans l’économie nationale, sur
des produits locaux, ce qui favorise à son tour l’industrie locale. Raison pour
laquelle Radwane souligne l’importance du développement du secteur du tourisme
: cela entraîne la création de petites industries qui alimentent ce secteur,
créant davantage d’emplois. « Le tourisme est l’un des meilleurs outils de
redistribution, qui ne contraint pas les riches », affirme-t-il.
Passer à la « guillotine »
Mais
avant, le classement déplorable de l’Egypte dans divers rapports
internationaux, en ce qui concerne le cadre législatif des investissements, exigeait
de passer à la « guillotine » les réglementations trop strictes, afin d’attirer
davantage d’investissements. A ce propos, le rapport expose les expériences
d’autres pays, comme la Corée du Sud, qui a réussi à supprimer la moitié de ses
réglementations sévères et à simplifier un texte législatif sur cinq pendant 5
ans. « Il y a aussi le Mexique, qui a achevé cette mission en cinq ans. C’est
le modèle le plus proche de l’Egypte », note Radwane. Selon le rapport,
l’Egypte peut bénéficier d’une telle réforme étant donné le grand nombre de
réglementations entravant le travail des ministères. « Ces réglementations sont
sans intérêt et ne font jamais l’objet de révision. Le ministère de
l’Agriculture, à lui seul, est accablé par 300 000 textes, règlements et
décrets ministériels, dont quelques-uns datent de l’année 1880 », dit-il. La
simplification de ces réglementations qui entravent sans doute les affaires en
Egypte sera bénéfique au milieu des affaires, aux consommateurs et à l’Etat. Pour
Radwane, la « guillotine » est une illustration du type de réformes
intelligentes nécessaires pour aller au-delà des réformes limitées
d’aujourd’hui. « Car ce qui passe actuellement en Egypte ne représente qu’une
scène du théâtre de l’absurde », conclut-il.
Salma Hussein
Ibtessam Zayed
Défrayer le chemin pour les PME
Avec 80 % du PIB et 75 % des emplois fournis dans le pays, le secteur des Petites et Moyennes Entreprises (PME) reste malgré tout négligé. Ce dernier fait face à une série d’obstacles limitant les exportations et la concurrence. En tête de liste arrive l’accès au crédit. Moins de 10 % des PME sont financées par les banques. Le problème réside, selon le 4e rapport sur la compétitivité égyptienne, dans le fait que 92 % des demandes de crédit sont rejetées. Du coup, les PME perdent espoir et l’idée d’obtenir un crédit apparaît comme un rêve lointain. C’est ainsi que 78 % des PME n’ont jamais tenté d’obtenir un crédit bancaire. Les crédits accordés par les banques ont atteint 6,8 % en 2006 contre 11 % en 2002 et sont principalement en faveur du secteur public.
Le fardeau des réglementations représente une autre entrave à la compétitivité d’une économie. Vu leur coût, leur impact est plus dur sur les PME.
La faiblesse de la Recherche et Développement (R&D) représente un autre facteur majeur, puisque l’activité des PME repose sur des techniques traditionnelles primitives.
Le manque de main-d’œuvre qualifiée semble également un important frein à l’essor des PME, dans un pays où le taux d’alphabétisme des adultes atteint 45 %. « Tous les investisseurs se plaignent du manque de main-d’œuvre qualifiée. En Egypte, la formation de la main-d’œuvre en général est presque inexistante. Alors que ce problème pourrait affecter tout futur développement », souligne Samir Radwane, directeur exécutif du Conseil National de la Compétitivité Egyptienne (CNCE). Le rapport exhorte à ne pas prendre ce problème à la légère vu son importance pour tout investisseur.
L’économie égyptienne avait des avantages sur le marché des industries à fort emploi de main-d’œuvre, car en abondance et peu chère. Or ces avantages ont pratiquement disparu récemment si l’on compare l’Egypte à la Roumanie, dont la main-d’œuvre est plus qualifiée et moins chère que l’égyptienne. Accorder plus d’intérêts aux PME et à la formation de la main-d’œuvre est alors d’une importance majeure, selon les recommandations du rapport. « L’Etat se vante des réserves de 28 milliards. Pourquoi ne consacre-t-il pas 5 milliards à un projet de formation nationale de la main-d’œuvre ? Notre problème est qu’on n’est pas sérieux », estime-t-il .
S. H et I. Z.