Liban . Les violences
entre réfugiés et forces de l’ordre se sont propagées du camp de réfugiés de
Nahr Al-Bared à celui de Aïn Héloué. Une contagion qui remet sur le tapis la
question des camps palestiniens.
Au bord de l’implosion
L’armée
libanaise a accentué cette semaine son offensive contre les miliciens du Fatah
Al-Islam retranchés dans le camp de réfugiés palestiniens de Nahr Al-Bared. Signe
d’une possible extension des violences, des heurts ont aussi opposé des
islamistes armés appartenant au groupe de Jound Al-Cham, à des soldats libanais
à l’une des entrées d’un grand camp de réfugiés palestiniens, Aïn Héloué, dans
le sud du Liban. Cette fois-ci, c’est un second groupuscule islamiste, le Jound
Al-Cham implanté dans le camp, qui est à l’origine des combats. Il s’agit d’un
groupe salafiste comme le Fatah Al-Islam, mais à la différence de ce dernier
qui compte des combattants de diverses nationalités arabes, ses membres sont
tous des Palestiniens. Le Jound Al-Cham entretient des liens avec le Ousbat
Al-Ansar, un puissant groupe islamiste palestinien qui a participé en 2000 à
des combats entre des islamistes et l’armée libanaise à Denniyé, dans le nord
du Liban. Plusieurs de ses membres, qui ont trouvé refuge à Aïn Héloué, sont
recherchés par la justice libanaise. Dans le même temps, une fusillade a éclaté
dimanche au sud de Beyrouth, dans un autre camp de réfugiés palestiniens.
Il s’agit là des plus graves
affrontements intérieurs qu’ait vécus le Liban depuis la guerre civile de
1975-1990. La situation semble en effet explosive au pays du Cèdre. Cette
nouvelle crise née dans les camps de réfugiés s’ajoute à celle, politique, opposant
la majorité parlementaire à l’opposition, notamment chiite. Ni l’une ni l’autre
ne semblent se diriger vers une solution pacifique. Sur le plan politique, la
décision de l’Onu de créer un tribunal spécial pour juger les assassins de
Hariri ne fait que compliquer la donne (voir encadré). Quant à la crise dans
les camps de réfugiés palestiniens, elle risque, elle aussi, de s’accentuer, et
ce malgré la baisse d’intensité des combats à Nahr Al-Bared. Un porte-parole de
l’armée a affirmé qu’il n’y aurait « aucune trêve » avec les combattants du
Fatah Al-Islam « jusqu’à leur reddition », alors que le premier ministre Fouad
Siniora a affirmé samedi que la seule issue à cette crise était la reddition
des hommes armés. M. Siniora a en outre accusé le Fatah Al-Islam, qui reconnaît
des affinités idéologiques avec Al-Qaëda, de « liens avec certains services de
renseignements syriens », ce que Damas dément formellement. Là aussi, les deux
crises s’entremêlent. Le Fatah Al-Islam a réaffirmé de son côté qu’il ne se
rendrait pas et qu’il se battrait « jusqu’à la dernière goutte de sang ».
Aucune issue au conflit ne semble
ainsi se profiler dans l’immédiat, les protagonistes campant sur leurs
positions et les médiateurs palestiniens ayant suspendu leurs bons offices.
Une bombe à retardement
Cependant, au-delà de la
possibilité ou non de régler dans l’immédiat cette crise, les événements de
Nahr Al-Bared et plus récemment ceux de Aïn Héloué ont remis sur le tapis une
question hautement épineuse au Liban, celle des camps de réfugiés palestiniens.
Selon l’agence des Nations-Unies pour l’aide aux réfugiés palestiniens,
l’UNRWA, près de 400 000 réfugiés palestiniens vivent au Liban, soit 10 % de la
population, 224 000 d’entre eux sont répartis dans 12 camps, dans lesquels
s’entassent les descendants de ceux qui ont fui la Palestine en 1948. Le Liban
est parsemé de ces camps du nord au sud. Certains sont tout petits, comme Mar
Elias et ses 1 411 résidents, d’autres sont immenses comme Aïn Héloué, le plus
grand avec 45 000 habitants, ou Nahr Al-Bared et ses 31 023 réfugiés.
En 1982, l’invasion israélienne et
le départ forcé de l’Organisation de la Libération de la Palestine (OLP) du
pays marquent un tournant pour ces réfugiés. 65 % d’entre eux avaient du
travail grâce à l’organisation de Yasser Arafat, qui assurait aussi le
financement des structures sanitaires et éducatives. Depuis, c’est l’agence des
Nations-Unies pour les réfugiés palestiniens qui assure pour l’essentiel leur
survie et leur éducation. Leur situation s’est ensuite détériorée au cours des
années 1990 pour différentes raisons. Les services et l’aide de l’OLP se sont
arrêtés depuis les accords d’Oslo en 1993. Jusqu’à cette date, l’OLP avait pris
en charge la presque totalité des besoins quotidiens des camps. Depuis 1993,
cette aide se réduit presque exclusivement au versement de modestes pensions
attribuées aux familles des martyrs. D’autre part, lors de la guerre du Golfe
de 1991, les milliers de Palestiniens travaillant dans les pays producteurs de
pétrole, dont beaucoup provenaient du Liban, ont perdu leur emploi et ont été
contraints à quitter ces pays. Ce fut pour les familles restées au Liban un
manque à gagner très important. En outre, l’aide financière versée à l’OLP par
les pays arabes a été fortement réduite en raison du soutien de l’OLP à l’Iraq,
lors de cette guerre. En même temps, les services assurés par l’UNRWA ont, eux
aussi, diminué. Ceux-ci, dans les différents domaines pour lesquels elle a reçu
mandat de l’Onu en 1949 (aide alimentaire, infrastructures des camps, santé,
éducation), se sont réduits alors même que leur développement n’avait jamais
été aussi nécessaire. Cette situation tient surtout à la réduction importante
du budget global de cet organisme. Aujourd’hui, les réfugiés craignent que
l’UNRWA ne soit en train de liquider graduellement ses activités. Cela
signifierait que l’Onu a opté pour l’implantation définitive des réfugiés
palestiniens dans les pays d’accueil, et ce en contradiction avec les
résolutions 194 et 302 de l’Onu et la fameuse question du droit de retour.
De leur côté, les autorités
libanaises, notamment pour éviter que ne soit remis en cause l’équilibre
fragile entre les communautés, évitent par tous les moyens l’intégration des
réfugiés. D’où un certain nombre de lois restrictives régissant la vie des
réfugiés palestiniens. Ainsi, les Palestiniens au Liban n’ont-ils aucun droit
social ni civique et n’ont qu’un accès limité aux équipements éducatifs
gouvernementaux. Ils n’ont aucun accès aux services sociaux publics. Ils ne
sont pas autorisés à obtenir un permis de travail pour 72 métiers, dont ceux de
médecin, d’avocat ou d’architecte. Leur est interdit aussi d’amener des
matériaux de construction dans les camps, leurs habitations sont précaires,
insalubres voire dangereuses. Une situation qui place les Palestiniens dans un
état d’extrême précarité : avec 25 %, Nahr Al-Bared a le pourcentage le plus élevé
de réfugiés palestiniens vivant dans une pauvreté abjecte et officiellement
enregistrés auprès des Nations-Unies comme des cas de « détresse particulière
», alors qu’à Aïn Héloué, le taux de chômage atteint les 70 %. Dans de telles
conditions, il n’est pas surprenant de voir proliférer dans les camps
palestiniens une certaine sympathie pour Al-Qaëda, voire des affiliations
officielles. Une situation appelée à perdurer tant que le problème de réfugiés
ne sera pas inclus dans un règlement global du conflit israélo-palestinien.
Abir Taleb