Al-Ahram Hebdo, Visages | Mohamad Sultan
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Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 27 juin au 3 juillet 2007, numéro 668

 

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Visages

Avec 30 ans de carrière au milieu des plus grandes stars de la scène et de l’écran, le compositeur Mohamad Sultan a été le témoin d’une belle époque, dont il garde une profonde nostalgie et un doux souvenir.

Le gardien du temple

Un silence profond règne sur l’appartement de Mohamad Sultan donnant sur le Nil, dans le quartier huppé de Garden City. Il est 21h, l’heure du rendez-vous. Le compositeur est tiré à quatre épingles, fumant sa cigarette dans le salon.

L’intérieur est très classique, avec de multiples objets d’art et des pièces d’argent assez antiques. On est dans une ambiance feutrée, comme sur les photos en noir et blanc.

C’est ici que s’est écoulée toute sa jeunesse, ses beaux jours avec sa femme décédée il y a des années, la chanteuse d’origine syrienne Fayza Ahmad. Chaque pièce fait office d’un album-souvenir. Plein de photos sont accrochées, plein d’objets antiques choisis autrefois par Fayza, plein de tiroirs à cassettes, de CD et de notes musicales. Un compositeur y vivait avec une diva.

A 76 ans, il a la forme. N’a rien perdu de son allure d’aristocrate. Et parle non sans enthousiasme de sa tâche en tant que président du jury du Festival Oscar des vidéoclips, pour la cinquième fois consécutive. « Une tâche ardue vu l’état scandaleux des vidéoclips tournés actuellement dans le monde arabe ; ça va de mal en pis. On a surtout le souci d’imiter les autres, en Occident », dit-il, souhaitant freiner cette vague de chansons osées qui déferle.

En fait, Sultan conserve son calme légendaire. Il est réputé pour une lucidité à toute épreuve. Il ne rêve que de musique. « La musique est mon monde, mon métier noble qui m’a accordé crédit et célébrité ». Et d’ajouter : « Je n’ai pas grandi dans un milieu artistique, cependant dans mon entourage, la musique a toujours été omniprésente. Ma mère était une vraie mélomane et me chantait les œuvres d’Oum Kalsoum et de Saleh Abdel-Hay. Mon père, lieutenant à la police, surveillait mes études universitaires ».

Dès sa plus tendre enfance, il avait les yeux rivés sur le monde musical, sa vocation innée a joué en sa faveur. Le oud (luth oriental) était son unique compagnon et son meilleur ami. Il a commencé à gratter les cordes à l’âge de 8 ans. « C’est l’instrument le plus apte à exprimer mes pensées. Je l’ai connu enfant, puis adolescent ». C’est sa mère qui lui a acheté son premier instrument et l’encourageait à chanter. « Je jouais en cachette, par timidité. Je demandais à ma mère d’éteindre les lumières, pour que je chante dans l’obscurité. Elle se mettait alors derrière la porte pour m’écouter ».

Après le baccalauréat, il fait des études de droit, juste pour le plaisir de son père. « Tous les ministres et hauts responsables de l’époque étaient agrégés en droit, c’est pourquoi mon père insistait. Il voulait me garantir une bonne formation et un esprit assez rationnel ». Devant la mer ou les champs, il fermait les yeux, pour couper net avec son entourage et chanter ses sentiments. « Mon chant suivait les fluctuations de la vie et son rythme », dit-il sur un air contemplatif.

Sa relation avec la musique a d’abord été celle d’un affamé furibond. Sa rencontre, en 1943, avec le grand chanteur-compositeur, Mohamad Abdel-Wahab a été déterminante. De fil en aiguille, ce dernier est devenu pour lui un père d’adoption qui l’a beaucoup aidé à assouvir sa « soif artistique ». Il l’a accompagné à la radio d’Alexandrie, où il a enregistré sa toute première chanson.

Licence en poche, il se lance dans la composition musicale, interprétant quelques chansons d’occasion durant des fêtes privées. C’est il y a plus de 60 ans, au Club d’équitation d’Alexandrie, que la chance lui sourit. Il ne manque pas d’attirer l’attention d’un jeune homme, qui s’était installé sur la pelouse pour le contempler. « Gêné, j’avais demandé à l’un des gardiens d’éloigner cet inconnu qui m’épiait. C’était le réalisateur Youssef Chahine ! ». Ce dernier réussit à le convaincre de tenter sa chance au cinéma. « C’était un moyen de s’introduire dans le monde de l’art, pour se faire ensuite connaître comme chanteur- compositeur ».

Chahine lui attribue un rôle secondaire dans le film historique Al-Nasser Salaheddine (Saladin), soit celui de Hossameddine le cavalier. La barbe en collier et moustachu, personne ne pouvait se rappeler le visage du jeune comédien. Ceci dit, personne ne l’a reconnu sur écran. Mais tout de même, il a décidé de fermer son cabinet d’avocat à Alexandrie et de s’installer au Caire, à l’affût d’une deuxième chance.

Les dés sont jetés. Sultan est sélectionné pour un nouveau rôle par le réalisateur Henri Barakat, dans Yom matäbelna (le jour où l’on s’est rencontré), devant le chanteur-vedette Farid Al-Atrach. « Une réussite. De plus, j’ai noué amitié avec Farid Al-Atrach chez qui j’ai rencontré Fayza Ahmad pour la première fois. C’était la rencontre de ma vie », souligne-t-il d’une voix timbrée. « Accompagnée de son mari à l’époque, Fayza Ahmad m’a demandé si j’étais pilote de l’air car je portais une veste. Ensuite, elle ne m’a pas quitté des yeux pendant le reste de la soirée ».

Confiant, il n’a pas voulu l’appeler tout de suite, alors qu’elle lui avait donné son numéro de téléphone. Un an s’est écoulé avant leur deuxième rencontre hasardeuse, à Groppi. Ensuite, il fallait encore attendre une troisième année pour avoir droit à une troisième rencontre. Celle-ci a eu lieu grâce à la médiation d’une amie commune, une Fayza Ahmad divorcée. « Elle m’a invité le lendemain au casino Al-Chagara, au bord du Nil. Ensuite, on s’est promené sur le pont Qasr Al-Nil, on a chanté toute la nuit à tour de rôle, jusqu’au lever du soleil ».

Au terme de cette soirée, elle lui confie les paroles de la chanson Hato al-fol (colliers de jasmin), célébrant le retour des soldats égyptiens de la guerre du Yémen. Une première œuvre qui inaugurera une longue veine, dépassant les 200 chansons. Sa renommée est toute faite. Mais les rumeurs ne le quitteront plus. Les mauvaises langues l’attaquent, certains critiques lui conseillent de s’intéresser plutôt aux concours de beauté organisés sur les plages d’été. D’autres prétendaient que c’était Fayza, qui composait les chansons, pour les beaux yeux de son « gigolo » !

« Les rumeurs allaient bon train. Un jour, ils ont publié notre photo ensemble sur la couverture d’un fameux magazine, avec comme titre : L’amour fait ravage entre Fayza et Sultan ! Fayza était bouleversée, alors on a décidé de nous marier. Je ne voulais aucunement nuire à sa réputation ». Le mariage a duré 17 belles années, avec comme fruit la naissance de leurs deux fils jumeaux Amr et Tareq, aujourd’hui médecins vivant en France.

Le couple a mené une vie conjugale idéale et simple. Le mari se considérant un homme fortuné par la présence d’une telle épouse. « Fayza était une vraie femme et mère de famille, avant d’être une star ! Elle s’occupait du foyer, préparait les repas, rangeait mes vêtements et choisissait mes cravates ! », dit-il, sans lésiner sur les détails.

C’est Sultan qui devait en effet choisir les paroles de ses chansons et planifier leur carrière commune. Un vrai duo. « Elle était une femme très obéissante. Je lui ai conseillé une fois après notre mariage de ne plus jouer au cinéma, car, franchement, je ne l’aimais pas sur écran. Je trouvais qu’elle passait mal physiquement et n’avait pas tout à fait le style d’une comédienne. J’ai refusé que l’on partage la vedette dans une comédie musicale relatant notre histoire d’amour. Je n’aimais pas embrasser ma femme devant les caméras ! Elle a obéi sans même discuter, étant sûre de ma sincérité ». Une sincérité et un lien profond qui ne les ont pas empêchés de divorcer à deux reprises, puis de revenir ensemble après des périodes de séparation.

Leur chagrin trouvait écho dans leurs chansons. Fayza Ahmad tomba gravement malade et attendait une fin inévitable. « J’ai passé ces derniers jours à ses pieds, mais la mort l’a arrachée à la vie », dit-il d’une voix triste, regardant l’une de ses photos parsemant leur maison conjugale où il vit toujours. C’est son aquarium. Il refuse de s’en éloigner. Entouré des meubles, placés dans le même ordre choisi par Fayza, il plonge dans les souvenirs. Il refuse même de changer une horloge qui ne marche plus, car c’était elle qui l’avait ajustée une dernière fois avant de mourir. On a l’impression alors que chez lui, le temps s’est arrêté à une époque donnée. « Au conseil de plusieurs amis, proches de la famille, j’ai essayé de me remarier. Mais après de brèves fiançailles avec la chanteuse syrienne Mayada Al-Hinnawi, j’y ai renoncé. Ce n’était pas le même rapport qu’avec Fayza et l’on est resté amis ».

Ni mélancolique ni pessimiste, Sultan accepte la réalité des choses. Après une belle carrière dont il est fier, il ne pouvait faire des concessions artistiques ou personnelles. En solitaire, il ressuscite le temps révolu des « Grands ». Les coups de fil quotidiens qu’il reçoit de ses amis proches lui suffisent ainsi que ses plantes, ses deux luths et son chat Simbo, son compagnon. « Je ne peux offrir ma musique, mon âme, à une voix qui ne la mérite pas, juste pour gagner mon pain ». C’est un choix l

Yasser Moheb

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Jalons

1931 : Naissance à Alexandrie.

1960 : Diplôme de droit, à l’Université d’Alexandrie.

1963 : Chanteur approuvé par le comité de la radio.

1964 : Mariage avec la chanteuse Fayza Ahmad.

2006 : Hommage à l’Opéra du Caire pour l’ensemble de sa carrière.

2007 : Président du jury du Festival des Oscars du vidéoclip.

 

 

 




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