Ossama Al-Ghazali Harb,
rédacteur en chef de la revue Al-Siyassa al-dawliya
(politique internationale), a un parcours semé de virevoltes
d’opinions. Il est aujourd’hui l’une des figures
emblématiques d’un nouveau parti, Le Front démocratique.
L’idéologue pluriel
Il a cette manière de se familiariser avec les gens qui fait
tomber les barrières. En entrant dans son bureau de la revue
Al-Siyassa al-dawliya (politique internationale), partie du
groupe de presse Al-Ahram, il engage une conversation
affable avec les journalistes qui l’entourent. En dépit de
ses postes et fonctions multiples, il préserve son sarcasme
comme un homme sans soucis. Il s’adresse à son secrétaire :
« Nasser, s’il te plaît, n’interromps pas l’entretien et dis
que je parle en direct à la radio ou à la télévision ! Ou
bien que je tourne un film ! ». Ce rédacteur en chef d’Al-Siyassa
al-dawliya vient de fonder un nouveau parti politique, Le
Front démocratique. Il continue cependant à remplir ses
fonctions de parlementaire en tant que membre du Conseil
consultatif. Il est aussi conseiller auprès du Centre des
Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram et
publie régulièrement ses écrits dans la presse arabe. Un
temps, il a aussi enseigné les sciences politiques à
l’Université du Canal de Suez.
A 60 ans, il reste aussi polémique qu’à ses débuts. Car
l’homme n’a cessé de changer d’idéologie politique son
parcours durant. Enfant et adolescent, il se rangeait du
côté nassérien, influencé par l’ère du temps. Ensuite,
étudiant à la faculté d’économie et de sciences politiques
de l’Université du Caire, il a de plus en plus viré à
gauche, au gré des transformations du pays dans les années
1960, rejoignant l’Organisation de la jeunesse socialiste.
Avant de revenir vers une position plus libérale vers la
moitié des années 1980.
Un itinéraire qui se reflète sur son parcours professionnel.
Au début des années 1990, il a fondé avec l’économiste Saïd
Al-Naggar l’assemblée libérale d’Al-Nidaa al-gadid. Puis, il
a été membre du Comité des politiques, présidé par Gamal
Moubarak, au sein du Parti National Démocrate (PND, au
pouvoir). Mais il en a claqué la porte en 2005, en signe de
protestation contre l’amendement constitutionnel et
notamment celui de l’article 76 sur l’élection
présidentielle. « Au départ, j’étais optimiste sur ce comité
au sein du PND regroupant près de 30 personnalités éminentes
œuvrant à la réforme », explique ce politicien et analyste
issu de la classe moyenne.
Lorsqu’il raconte sa vie, c’est comme pour justifier ses
horizons diversifiés. Choubra, son quartier cairote natal,
abritait autant de musulmans que de chrétiens. Son père,
professeur d’arabe, diplômé d’Al-Azhar (la plus haute
instance sunnite), était de tendance libérale mais a quand
même écrit La femme dans l’islam, considéré aujourd’hui
comme un ouvrage de référence. « J’avais 7 ans lorsqu’un
matin mon père est parti prononcer le sermon du vendredi à
la mosquée et n’est jamais rentré », dit-il.
Le jeune Ossama, toujours premier de sa classe, entend dire
que son père aurait tourné Nasser en dérision pendant son
sermon, ce qui lui valait six mois de prison. « C’était le
premier incident politique de ma vie. J’ai alors compris ce
que voulait dire une arrestation politique », ajoute-t-il.
A 9 ans, il vit l’agression tripartite de 1956. Un an plus
tard, lors d’une excursion à Port-Saïd avec des camarades de
classe, il est frappé par la destruction de la ville. Une
image qui reste à jamais gravée dans sa mémoire, peut-être
responsable de son choix pour les sciences politiques,
contrairement à la volonté de son père qui le voyait plutôt
médecin.
Dès le début de ses études, il est témoin des vagues
d’arrestations de Frères musulmans en 1965, qui ont abouti à
l’exécution de Sayed Qotb, le théoricien de cette mouvance
religieuse. Près de 18 000 personnes sont arrêtées en une
seule nuit, dont le père d’Ossama Al-Ghazali Harb. Un père
âgé, à la santé précaire, et qui n’avait pas de rapport avec
les Frères musulmans, selon le fils. Cet été-là, il est en
camp organisé par les jeunes socialistes dans la banlieue de
Hélouan, alors que son père est détenu à quelques
kilomètres, dans la prison de Torah. « Cette situation a
influencé mon activité dans l’organisation des jeunes
socialistes. J’avais un discours très différent comparé à
celui de mes collègues. J’insistais plus qu’eux sur la
liberté, la démocratie et les droits de l’homme », se
souvient Ossama Al-Ghazali Harb, qui continue à prôner les
mêmes valeurs. Même si parfois on le taxe de beau parleur,
désireux d’être toujours sous les feux de la rampe.
Un autre incident le marque, lorsqu’il pose sa candidature à
une bourse en Turquie, délivrée par l’organisation des
jeunes socialistes : son nom est rejeté in extremis sous
prétexte que son père fait partie des Frères musulmans. Le
monde était-il une série d’injustices ?
La défaite de 1967 est un tournant. « La population, sous
l’effet de la désinformation, pensait qu’on était vainqueur
! Le choc a été indescriptible ! Je me suis éloigné de mon
père pour pleurer, par honte de fondre en larmes devant lui
», se rappelle-t-il, affirmant qu’à l’époque, il était
convaincu que le système corrompu était à l’origine de la
catastrophe. « J’ai pensé que le régime n’était pas assez
socialiste, contrairement à ce qu’il proclamait. Alors j’ai
plongé dans une lecture approfondie des références marxistes
et socialistes », dit-il. Cette recherche poussée de la
vérité n’est pas étrangère au choix de sa profession :
journaliste. De nouveau, il déçoit son père, qui attendait
de lui une carrière de diplomate.
Ossama Al-Ghazali Harb a d’abord rejoint le journal d’Al-Gomhouriya
(la République) en 1972. Cette même année, il est arrêté
lors des émeutes organisées notamment par les étudiants
marxistes, sous Sadate. Le président était accusé d’avoir
manqué à ses promesses d’avant-guerre et le pays était en
ébullition. Ossama Al-Ghazali Harb passe 15 jours en prison,
et par conséquent a été renvoyé de l’armée avant de terminer
ses 3 ans de service militaire. « Jusqu’à présent, il est
mentionné sur mes papiers officiels que mon service
militaire a été interrompu pour causes sécuritaires »,
ironise-t-il.
Sa deuxième expérience sous les verrous remonte au mois de
janvier 1975. Les ouvriers et les Marxistes organisaient
alors des manifestations, toujours sous Sadate. Il n’y
participe pas, mais ses liens avec Zaki Mourad, alors
président du Parti socialiste, sont suspects. « L’expérience
a été très intéressante avec Mourad. Six mois durant j’ai
connu de près les têtes pensantes du mouvement socialiste »,
ajoute-t-il sur l’air innocent de celui pris la main dans le
sac.
C’est aussi un enchaînement de coïncidences qui l’amène à
repenser ses idées socialistes. D’abord, il y a eu cette
bourse en Union soviétique à la fin des années 1960,
accordée par l’organisation des jeunes socialistes.
Optimiste et joyeux sur le départ, il rentre déçu et
désabusé. « La rencontre avec les cadres socialistes en
prison et la fréquentation des journalistes de gauche au
journal d’Al-Gomhouriya ont fait que j’ai décidé de ne plus
adhérer à cette réflexion. On y insistait trop sur la
loyauté envers l’Union soviétique ».
La ferveur marxiste perd progressivement de son éclat,
Al-Ghazali Harb intègre alors la fondation d’Al-Ahram fin
1975. Une nouvelle phase semble commencer. Deux ans plus
tard, il est titularisé au Centre des recherches
stratégiques d’Al-Ahram et publie son premier livre sur la
stratégie israélienne et la résistance dans les territoires
occupés. Ses lectures s’opèrent désormais de manière
différente. Et le chercheur s’inscrit en thèse, refusant de
partir à l’étranger pour obtenir son doctorat. C’est là un
autre tournant. « J’étais persuadé que ni le nassérisme ni
le socialisme, ni l’islamisme ne me convenaient. J’ai donc
décidé d’opter pour le libéralisme ».
A l’époque, il multiplie ses publications et œuvre, dit-on,
à changer les orientations du centre de recherche, annexé à
Al-Ahram. Celui-ci avait plutôt une réputation socialiste,
sous la présidence de l’expert en sociologie politique
Al-Sayed Yassine. Au bout de quelques années, Al-Ghazali
Harb le remplace. Plus tard, il succède à Boutros
Boutros-Gahli, parti aux Nations-Unies, au poste de
rédacteur en chef de la revue Al-Siyassa al-dawliya
(politique internationale) en 1991. « Je suis incapable de
rester figé. On ne peut avoir qu’une seule directive dans la
vie. Chaque étape renferme ses propres convictions. Je fais
preuve d’une grande flexibilité pour me montrer confiant et
convaincu de l’idéologie que j’adopte », explique-t-il.
Ce ne sont pas uniquement ces volte-face qui lui attirent
les foudres. Il y a aussi ses diverses et régulières
déclarations, sources de vives polémiques. Comme celles sur
son soutien à la normalisation avec Israël, conséquence
inéluctable de la signature des accords de Camp David. Il en
est de même pour ses déclarations, dans la presse, appuyant
l’invasion de l’Iraq par les Etats-Unis afin de le libérer
du régime corrompu de Saddam Hussein. C’est peut-être en ses
positions qu’il faut trouver les causes de son échec aux
élections du Syndicat des journalistes en 2005, face au
Nassérien Galal Aref.
Le voilà aujourd’hui obtenir l’autorisation de fonder avec
entre autres Yéhia Al-Gamal, expert en droit
constitutionnel, et Aziz Sedqi, ancien premier ministre de
Nasser, un nouveau parti politique, le Font Démocratique. «
On ne peut pas rester coincé entre deux pôles politiques :
les Frères musulmans et le PND, au pouvoir. Il fallait une
nouvelle formation », explique-t-il dans la presse.
Un tel parcours ne s’est pas fait sans le soutien précieux
de sa famille : sa femme Mervat, sœur de son ami d’enfance
l’homme d’affaires Mamdouh Hamza, et ses deux filles.
Celles-ci ont été les premières adhérantes à son parti. En
attendant, nul ne peut prévoir quelle sera la prochaine
étape.
Rania
Hassanein