Travail .
Un accord signé par le ministère de la Main-d’œuvre et de
l’Emigration avec l’Arabie saoudite pour l’envoi de 120 000
femmes de ménage égyptiennes défraye la chronique.
Protection ou braderie ?
«
Une femme de ménage égyptienne pour un salaire de 700 rials
saoudiens, soit environ 1 000 L.E., avec diplômes,
références et professionnalisme garantis ». Telle est la
publicité publiée dans un journal saoudien suite à la
signature d’un protocole de coopération entre la ministre
égyptienne de la Main-d’œuvre et de l’Emigration et la
Chambre de commerce d’Arabie saoudite. Cet accord,
concernant 120 000 femmes de ménage, a été conclu par les
autorités égyptiennes dans le but annoncé de remédier au
problème du chômage et de préserver les droits des
travailleurs égyptiens dans les pays du Golfe.
Un protocole qui a provoqué un tollé en Egypte. Remous dans
le Parlement et les ONG féminines. Dans la rue, l’ambiance
est électrique et les esprits sont hantés par ce protocole
qui humilie la femme égyptienne. Que ce soit dans les cafés,
les bureaux et les moyens de transport, tout le monde en
parle et exprime un sentiment de colère et d’indignation
face à la politique du gouvernement.
« C’est comme si la ministre de la Main-d’œuvre, avec cet
accord, stigmatisait la femme égyptienne comme servante. Un
tel accord porte atteinte à la réputation de l’Egypte »,
explique Gamal Zahran, député au Parlement, tout en
rappelant le scandale de Hala Sarhane, animatrice de la
chaîne de télévision Rotana, qui a diffusé quatre émissions
sur la prostitution en Egypte.
« Jusqu’à quand va-t-on ruiner la réputation de nos femmes
en les présentant une fois comme des prostituées et une
autre comme des femmes de ménage ? ». Et d’ajouter : « Les
hommes ont du mal à trouver du travail. Et pour régler le
problème du chômage en Egypte, le gouvernement n’a rien
trouvé d’autre comme solution que d’exploiter nos filles et
nos femmes comme domestiques ? Mais pourquoi a-t-on si peu
d’égard envers les Egyptiens et leur dignité ? Quelles sont
les mesures prises pour offrir plus de sécurité à ces
femmes, ou bien vont-elles être victimes à toute sorte
d’abus à l’instar de la servante originaire des Philippines
? », s’indigne-t-il.
Réalisant
sa bévue, le Dr Aïcha Abdel-Hadi, ministre de la
Main-d’œuvre et de l’Emigration, a présenté récemment ses
excuses tout en assurant qu’elle a exclu catégoriquement de
l’accord signé l’article concernant le travail des femmes
égyptiennes en tant que domestiques. Pourtant, cela n’a pas
calmé l’opinion publique. Selon la ministre, le programme du
gouvernement insiste sur l’importance de créer de nouveaux
emplois pour faire face au chômage. C’est dans cette
perspective qu’elle a orienté sa politique. « Je ne sais pas
pourquoi ce protocole a provoqué tout ce tabac. Les
travailleurs égyptiens font souvent l’objet de pratiques
discriminatoires dans les pays du Golfe. Plusieurs démarches
ont été donc prises à ce propos telles que l’application de
15 accords et protocoles signés avec les pays d’accueil et
qui visent à protéger les droits des travailleurs égyptiens,
dont le dernier était celui de l’Arabie saoudite »,
explique-t-elle, tout en ajoutant que les pays signataires
sont engagés à garantir des conditions de travail
acceptables comme définies dans ces accords. Des comités
conjoints sont formés d’experts égyptiens et étrangers pour
résoudre les problèmes des travailleurs égyptiens dans ces
pays respectifs. « Ainsi travaillons-nous également à
régulariser la situation de la main-d’œuvre égyptienne
clandestine dans ces pays », souligne-t-elle. Et d’ajouter :
« L’insertion de la femme dans le marché du travail est
aussi importante pour s’attaquer au problème du chômage ».
Un accord humiliant
Moustapha
Bakri, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Al-Osboue et
député au Parlement, estime, pour sa part, que le fait
d’éliminer le mot « servante » du contrat ne résout pas le
problème vu qu’elle l’a remplacé par d’autres mots du même
sens tels que femme de ménage, nourrice, maîtresse de
maison, chef de cuisine et assistante aux personnes âgées. «
Ce sont des appellations différentes désignant, en fait, le
même travail et accomplissant les mêmes tâches »,
souligne-t-il, tout en ajoutant que cet accord ne les
protégeait pas. Autrement dit, en logeant chez l’employeur,
elles risquent de subir non seulement de mauvais
traitements, mais aussi des abus sexuels.
D’après Bakri, si le nombre de domestiques originaires des
Philippines logées chez leur employeur a connu récemment une
grand recul en Arabie saoudite, c’est à cause du
comportement inhumain dont elles sont victimes : injures,
châtiments corporels et harcèlements sexuels, surtout que le
rapport entre la femme de ménage et son employeur n’est pas
soumis à une législation. Beaucoup d’entre elles se sont
suicidées en se jetant par les fenêtres, d’autres se sont
échappées suite à la perte de leurs droits financiers. Ces
expériences traumatisantes ont alerté leur gouvernement et
ont mis à nu le manque de protection dont sont victimes
leurs ressortissants étrangers dans ce pays. Raison pour
laquelle ces gouvernements ont mis des conditions strictes
garantissant les droits de leurs filles et femmes avant
l’accréditation des contrats, telles que toucher un salaire
de 2 000 rials par mois, faire le pèlerinage et avoir des
congés payants, des horaires fixes et des tâches bien
précises. Ce n’est donc pas une bonne à tout faire : le
ménage, la cuisine, les emplettes et la garde des enfants.
« Qui pourrait donc protéger la femme de ménage égyptienne
des attouchements du mari ou des orgies du fils, surtout en
l’absence du rôle joué par notre ambassade qui ne parvient
pas à résoudre les litiges qui surviennent entre les
employeurs et les employés égyptiens ? », dit-il tout en
déplorant les conditions de « quasi-non droit » et
d’exclusion sociale dans lesquelles vivent les travailleurs
égyptiens dans la majorité des pays d’accueil dans le Golfe.
« Si les personnes occupant des postes prestigieux comme les
médecins et les ingénieurs souffrent de l’exploitation en
l’absence d’une instance capable de les assister en cas de
problème, quel sera donc le sort d’une femme de ménage
là-bas ? », souligne Bakri. De plus, la ministre de la
Main-d’œuvre n’a pas signé d’accord avec son homologue, mais
avec la Chambre de commerce en Arabie saoudite, une instance
non concernée par la question des droits des travailleurs. «
A qui donc peut s’adresser une femme ou une fille en cas de
litige ? Celle-ci n’obtiendra jamais gain de cause et risque
même d’être accusée d’un délit quelconque : vol ou
dévergondage ».
Le prix de la pauvreté
Face aux conditions strictes imposées par certains pays pour
protéger leurs ressortissantes, le côté saoudien n’a qu’à
accepter leurs conditions ou trouver une autre alternative.
Et le Dr Aïcha, ministre de la Main-d’œuvre, a voulu combler
ce déficit par cet accord qu’elle vient de signer en échange
d’un salaire de 700 rials et non 2 000, demandé par celle
originaire des Philippines par exemple. « La fille candidate
au voyage en Arabie saoudite doit être diplômée, avec une
bonne maîtrise de la langue anglaise et avoir moins de 30
ans, tout cela pour 700 rials seulement. Mais à ce prix-là,
et avec toutes ces qualifications, une jeune femme ne
peut-elle pas trouver un travail plus intéressant et décent
en Egypte ? », explique le Dr Omayma Moustapha, psychologue,
tout en ajoutant que même avec un salaire aussi bas,
certains Saoudiens préfèrent tout de même employer des
femmes de ménage originaires d’Asie, non seulement parce
qu’elles sont plus compétentes, mais aussi parce qu’ils
pensent qu’avec 700 rials, on ne peut pas avoir une
domestique bien qualifiée. Effectivement, « plus le prix est
bas, plus l’objet perd de sa valeur », estime un Saoudien.
Maha Helmi, présidente de l’Association des femmes de
l’avenir (Sayedat Al-Mostaqbal), pense que 700 rials, ce
n’est guère une offre alléchante qui puisse garantir une vie
décente en Arabie saoudite. « Il n’est pas question
d’exporter nos femmes et de les humilier pour quelques sous.
Pourquoi ce sacrifice ? Pour être réduite à l’esclavagisme
et soumise aux caprices et aux ordres du patron, alors qu’en
Egypte nombreuses sont les familles qui ont réellement
besoin de nourrices et de femmes de ménage ? », se
demande-t-elle, tout en ajoutant que dans une société
conservatrice comme la nôtre, on n’apprécie pas beaucoup que
la femme parte seule pour travailler à l’étranger.
D’ailleurs, comment l’Arabie saoudite qui refuse l’accès de
la femme célibataire de moins de 45 ans à La Mecque pour
faire le pèlerinage sans mehrem (chaperon) va-t-elle
accepter l’entrée de femmes de moins de 30 ans qui
habiteront et travailleront seules ? Maha nous rappelle des
exemples de jeunes filles qui se sont mariées avec des
Saoudiens et se faisaient passer pour des servantes dans les
familles saoudiennes alors qu’elles étaient des épouses et
non des domestiques.
Face à cette avalanche de critiques, certains défendent
pourtant farouchement cet accord et estiment qu’il améliore
la situation de la main-d’œuvre égyptienne.
« Pourquoi ne pas partir pour travailler selon des
conditions et des termes définis par le gouvernement
égyptien et acceptés par le côté saoudien ? On n’oblige
personne à partir, pourtant, ceux ou celles qui acceptent de
le faire n’auront rien à perdre et bénéficieront, en plus,
de tous leurs droits sans discrimination aucune », explique
Nour Bakr, un expert économique.
Ce n’est pas l’avis de Nihad Aboul-Qomssane, présidente du
Centre égyptien des droits de la femme, qui rejette le
départ des travailleuses.
« Cet accord n’est qu’un marchandage illégal de la femme et
un nouvel aspect d’esclavage au vu et au su du gouvernement.
Et au moment où un pays comme l’Allemagne discute le droit
de l’ouvrier et son salaire qui atteint 8,25 euros par
heure, notre ministre tente de régler le problème de la
pauvreté en exportant nos femmes pour servir dans les foyers
des Arabes du Golfe. Voilà à quoi est réduit notre pays
aujourd’hui qui a toujours été la source culturelle des
Arabes en exportant des professeurs d’universités ! »,
conclut Aboul-Qomssane, non sans sarcasme.
Chahinaz Gheith