Erminia Kamel,
directrice artistique de la troupe de ballet de
l’Opéra du Caire, vient de fêter ses 25 ans de carrière.
Cette ballerine d’origine italienne continue à se dépenser
corps et âme.
Tourbillon de danses
Arouss Al-Nil (la sirène du Nil) n’est pas seulement le
dernier ballet classique purement égyptien où a joué cette
danseuse étoile de l’Opéra, il y a deux ans. C’est aussi une
attribution adéquate à la ballerine d’origine italienne qui
a choisi de célébrer sa dernière apparition sur scène, en
soliste, avec ce rôle de sirène, symbole du sacrifice.
L’histoire d’Erminia Kamel et son allure, avec ses longs
cheveux dorés, la rapprochent de cette sirène du Nil. Car la
ballerine rêveuse, également épouse et mère, s’est sacrifiée
de bon gré pour l’amour et la famille. « La sirène du Nil a
une valeur symbolique pour moi. On ne m’a pas jetée dans le
Nil, mais je suis arrivée d’Italie pour plonger dans un
monde tout à fait autre. Ce nouveau monde m’a rendue plus
puissante. Il m’a offert une nouvelle vie que j’apprécie
beaucoup », affirme chaleureusement Erminia Kamel.
Née à Milan, Erminia, née Gambarelli, est issue d’une
famille italienne, très mélomane mais loin de la danse
classique. A l’âge de 6 ans, la petite Erminia a commencé à
créer des petites chorégraphies avec sa sœur de cinq ans son
aînée. « Je me rappelle qu’à l’époque, mon père a filmé la
scène. Ma sœur était assez ennuyée, cependant, je
l’obligeais à danser, la traitant d’idiote. Je lui disais :
Tu vas être belle, bouge, ne crains rien. Tout le monde
pensait que ma passion pour la danse était un peu exagérée
», se rappelle la ballerine qui, à l’âge de 9 ans, a demandé
à sa mère de prendre des cours privés de ballet en suivant
son cursus normal d’éducation. Un an plus tard, son
professeur de danse propose à ses parents que la petite
contribue à la sélection de Noël, celle de l’Académie de
ballet de la Scala de Milan. « Ce n’était pas facile. 400
candidates ont participé à la compétition. Seules 20 ont été
sélectionnées, ensuite 15 et enfin 6 ont été retenues, y
compris moi. On m’a dit que j’avais le mouvement harmonieux
et l’oreille musicale », assure-t-elle. Jusque-là, toute son
ambition était centrée sur la réussite à accéder à la
compagnie de ballet de l’Académie de la Scala de Milan. Une
fois ce rêve atteint, elle n’a pas tardé à se heurter à la
vie réelle. La jeune danseuse de la Scala ne pensait pas au
mariage, puis elle a rencontré son prince charmant. « La
surprise de ma vie a été que l’homme que j’ai aimé et qui a
demandé ma main en mariage devait retourner à son pays, l’Egypte
». L’Egyptien venu à la Scala pour acquérir plus
d’expériences en matière de danse n’était que Abdel-Moneim
Kamel, directeur actuel de l’Opéra du Caire. A l’époque, il
était soliste de la troupe de l’Opéra du Caire et alors
boursier à Milan. « On constituait un parfait duo,
interprétant des rôles secondaires pendant deux ans. Nous
avons dansé ensemble les plus beaux ballets classiques, à la
Scala. Puis, un jour, Kamel m’a franchement avoué qu’il
devait rentrer en Egypte pour former une vraie compagnie de
ballet à la place de celle qui existait et dont les danseurs
sont éparpillés ici et là, après l’incendie de l’ancien
Opéra du Caire dans les années 1970. Mon mari me racontait
comment les membres de l’ancienne troupe s’asseyaient sur le
trottoir, face à l’Opéra incendié, en le pleurant ». Erminia
Kamel, normalement très obstinée en ce qui concerne sa
carrière de danse, n’a pas tardé à comprendre le sens de la
vie à deux. Elle a sacrifié son rêve de devenir soliste
professionnelle à la Scala pour partager le rêve de son
partenaire, et l’a suivi en Egypte.
Passionnée de la culture pharaonique, islamique et copte,
elle ne se sentait pas tout à fait perdue. Elle avait en
effet l’habitude de lire des bouquins sur l’Egypte que son
père s’appropriait en Italie. Sa mission la plus ardue était
plutôt de déconstruire les barrières la séparant des gens du
pays. « Au début, les gens me prenaient pour quelqu’un de
snob et orgueilleux. Peut-être parce que j’étais timide et
réservée. Petit à petit, J’ai dû changer. J’ai permis aux
autres de partager mon monde. Et actuellement, j’ai plus
d’amis égyptiens qu’étrangers. Avec eux, je sors prendre
l’air tous les vendredis », raconte Erminia. Ses petites
escapades du vendredi lui rappellent les promenades avec son
père architecte. Durant ses visites en Egypte, il aimait se
rendre avec sa fille dans les vieux quartiers, observant les
détails architecturaux de leurs bâtiments. « Cette
magnifique finesse architecturale fait défaut à l’art
moderne, à qui manque les petits détails », explique Erminia
Kamel. Son penchant pour tout travail détaillé est fortement
lié non simplement à son goût, mais aussi à sa profession. «
La vie est une question de détails ; il faut la mener avec
passion, même s’il s’agit parfois de petites choses
inutiles. La danse est un monde que nous créons. Que le
ballet existe ou pas, peu importe. Ce qui est salutaire,
c’est la passion des danseurs, ceux qui aiment offrir à leur
public un moment de pure joie ou d’oubli, communiquant
spirituellement avec eux ». Cette communication, entre elle
et le récepteur, provient d’une forte sincérité, la rendant
capable de créer un contact avéré. C’est la même chose que
l’on ressentait en la voyant danser avec Abdel-Moneim Kamel
à la Scala de Milan. « C’est la danse qui a favorisé le
premier contact entre nous. La danse nous a aidés à mieux
nous connaître, non pas à nous aimer. Car, l’amour vient
toujours en coup de foudre », déclare Erminia Kamel qui, au
bout de 25 ans, n’a jamais regretté sa décision.
Dans le temps, elle ne savait pas qu’au Caire, beaucoup
d’occupations l’attendaient : avec son mari, elle devait
rassembler les danseurs, oser de nouvelles chorégraphies,
recréer une saison de ballet et à la fois danser. « Je me
souviens de ma première apparition sur scène, au Caire.
C’était au théâtre Gomhouriya, en 1982, dans le ballet de
Giselle. Je tremblais au début, tous les yeux étant braqués
sur moi. Des yeux inaccoutumés à voir une étrangère sur
scène. J’avais peur, mais mon mari m’a beaucoup encouragée
», se souvient-elle.
1987 a été pour elle un autre moment-clé. Non seulement elle
a eu son fils unique Karim, mais aussi l’on a construit le
nouvel Opéra du Caire. La danseuse-mère a retrouvé les
planches deux mois après l’accouchement et allaitait
l’enfant dans les coulisses entre deux scènes. « A partir de
cette date, mon mari et moi, nous avons recommencé notre
carrière professionnelle. J’ai essayé de poursuivre le même
système que j’ai appris à la Scala et que mon mari a acquis
grâce à ses professeurs russes venus au Caire ».
Petit à petit, le couple a réussi à établir des classes de
danse, des répétitions, des salles d’entraînement, de
relaxation ou de maquillage …
Soliste, ensuite directrice artistique de la troupe de
ballet de l’Opéra du Caire, Erminia Kamel lie toujours la
danse au jeu d’interprétation, elle tient à enseigner à ses
étudiants l’importance de l’expression physique. Raison pour
laquelle Le Boléro, ce ballet moderne qu’elle a joué maintes
fois, est le plus proche de son cœur. Pour elle, la
communication verbale et gestuelle est très importante. «
Chaque pas doit avoir une expression, un motif d’existence,
tout en respectant le système de la danse classique et la
propre personnalité de la ballerine qui doit s’imprégner
d’un caractère déterminé », déclare Erminia Kamel.
La ballerine refuse sévèrement toute accusation d’exploiter
le pouvoir de son mari, l’actuel directeur de l’Opéra, pour
danser à 45 ans passés. « Pour éviter toute critique et ne
pas me tourmenter, j’ai décidé d’arrêter de danser une fois
que j’ai senti mes muscles fatigués. Je suis assez cruelle
avec moi-même. C’est le public ordinaire qui m’a voué
l’admiration et qui compte pour moi. Lui, il ignore si je
suis l’épouse du directeur de l’Opéra ou pas. Jusqu’à
présent, on me demande pourquoi je ne danse pas. Le ministre
de la Culture, Farouk Hosni, m’a aidée sans me connaître ».
Et de s’exclamer : « Je suis plus connue en Egypte qu’en
Italie ! ».
Un corps menu, bien proportionné et un visage radieux lui
ont permis de monter sur scène le plus longtemps possible.
Aujourd’hui, elle se plaît dans son rôle de directrice.
Lorsque le ballet de l’Opéra est en performance, elle
s’assoit au sommet de la grande salle, dans la salle
réservée au contrôle sonore. Les nerfs tendus, ses pieds ne
cessent de bouger, mimant les gestes des danseurs sur scène.
« Quand ils font une belle performance, je pleure. Mon mari
me dit : Calme toi ! Tu étais plus relaxe en tant que
danseuse ! », dit-elle sur un ton de satisfaction, animée
par un rêve grandissant .
Névine
Lameï