Conseil consultatif .
Les élections partielles se sont déroulées lundi dans
l’indifférence générale et ont été marquées par de
nombreuses irrégularités. Compte rendu d’une journée
électorale sans suspens.
Journal d’un scrutin « ordinaire »
8
heures du matin dans la circonscription de Qasr Al-Nil au
Caire. Les bureaux de vote censés avoir ouvert leurs portes
aux électeurs sont encore fermés. Les rues sont désertes et
rien ne semble indiquer que des élections ont lieu. Seul le
bureau de vote numéro 2, situé à l’école primaire d’Al-Ittihad
al-qawmi, connaît une certaine animation. C’est ici en effet
que le président du Conseil consultatif et secrétaire
général du Parti National Démocrate (PND, au pouvoir),
Safouat Al-Chérif, doit voter. A 8h30, deux véhicules, un
camion équipé de haut-parleurs et un autobus arrivent et
prennent place devant le bureau de vote. « Nous sommes venus
pour soutenir les candidats du PND aux élections. C’est ça
la démocratie. Chaque camp doit soutenir ses candidats »,
assure l’un des jeunes. Il s’agit en fait de jeunes
militants envoyés par le PND. Tandis que l’on attend
l’arrivée de Safouat Al-Chérif, les haut-parleurs se mettent
à diffuser des chansons patriotiques. Quant aux jeunes
militants, ils descendent de temps en temps du bus et se
mettent à chanter et à répéter des slogans à la gloire du
PND.
Il est 9h30 lorsque le convoi de Safouat Al-Chérif arrive
enfin. Les chansons patriotiques cèdent alors la place à
l’hymne national. Al-Chérif, accompagné de Nabih Al-Alqami,
candidat du PND dans cette circonscription, et d’un certain
nombre de députés du parti au pouvoir, salue la « foule » et
se dirige aussitôt vers le bureau de vote sous les ovations
et les youyous émis par les jeunes militantes du parti.
Quelques minutes après, le président du Conseil consultatif
sort. Devant une foule de journalistes, il fait des
déclarations solennelles : « Ces élections sont un tournant
dans l’histoire de l’Egypte. Elles font suite aux
amendements constitutionnels. Nous appelons les citoyens à
participer au scrutin et à choisir librement leurs députés.
Nous souhaitons que ces consultations soient libres et
transparentes sous la surveillance de la haute commission
chargée de surveiller le scrutin. Nous ne permettrons aucune
irrégularité », proclame Al-Chérif.
Mais
trois heures plus tard, les bureaux de vote sont toujours
déserts. Seuls les bulletins de vote de Safouat Al-Chérif et
des députés du PND reposent dans l’urne. Aucun électeur ne
s’est présenté. A l’intérieur du bureau de vote, les
employés chargés d’accueillir les électeurs papotent et
parlent de la pluie et du beau temps. Ce sont des
instituteurs que l’on a fait venir des provinces, des
fonctionnaires des impôts et ... des membres du PND (!). «
Venez par ici. Ce bureau de vote est acquis au PND ! »,
lance l’un d’eux.
Aucun candidat de l’opposition ou des indépendants ne s’est
montré. En scrutant les murs à l’entrée du bureau de vote,
on comprend vite l’explication. Les trois principaux
candidats dans cette circonscription ont été exclus le matin
même du scrutin par le ministère de l’Intérieur ! « Le
ministère de l’Intérieur annonce l’annulation de la
candidature de Adel Abdel-Hamid Mégahed, Samia Bayoumi
Mahmoud et Mohamad Ahmad Massoud pour des raisons de
sécurité », assure un communiqué du ministère, affiché à
l’entrée du bureau de vote. Les électeurs venus voter pour
ces indépendants ont fait demi-tour.
Le PND seul en lice
Dans un autre bureau de vote situé à l’école Bahesset
Al-Badiya à Imbaba, à Guiza, c’est le même scénario. Seules
quelques banderoles décorant l’entrée de l’école indiquent
que c’est un jour d’élections. Dans la cour, une dizaine de
personnes ont pris place sur un banc. Il s’agit du député
PND de l’Assemblée du peuple et ses partisans venus soutenir
les candidats du parti. Bien que 28 candidats se fassent
face dans cette circonscription, les lieux sont déserts.
Après de longues minutes enfin, un citoyen se présente :
C’est un homme âgé d’une cinquantaine d’années. « Je suis
nassérien et je suis venu voter bien que le Parti nassérien
boycotte les élections », explique-t-il. La surprise est
qu’il vote pour le PND. « Oui, je vais voter pour le PND car
logiquement, c’est seulement le représentant de ce parti qui
a des pouvoirs et des relations pour régler nos problèmes,
même si les autres députés sont plus sérieux ». Malgré cette
logique, ce monsieur n’a pas pu voter car il n’a pas trouvé
son nom sur la liste électorale. Il est sorti du bureau de
vote désespéré sans avoir accompli son devoir.
Irrégularités en série à Al-Khalifa
L’école
Delbroune Choukri, située dans une petite ruelle populaire
encombrée du quartier d’Al-Khalifa, fait office de bureau de
vote. Un duel serré se déroule dans cette circonscription
entre le député sortant du PND Ahmad Salama et le candidat
indépendant Mokhtar Rachad. Les citoyens ont fait venir un
groupe de musique pour soutenir le candidat indépendant.
Signe qu’il est très populaire. « Nous sommes prêts à tout
faire pour le Dr Rachad », crie Morcos Aziz, l’un des
partisans du candidat indépendant. Et de poursuivre : «
Rachad aide les pauvres, qu’ils soient musulmans ou
chrétiens. Il aide aussi les jeunes femmes à préparer leurs
trousseaux de mariage ». Il est subitement interrompu par la
Moallema Sabah, vêtue en galabiya noire : « Chut, tais-toi
». Une violente dispute aurait certainement éclaté entre
Morcos et la Moallema, qui travaille pour le compte du
député du PND, si la police n’était pas intervenue pour
empêcher une escalade. « La Moallema Sabah est très connue
dans le quartier », assure un groupe de jeunes vêtus de
t-shirts portant le nom et le slogan de Rachad. Et
d’affirmer qu’elle donne entre 5 et 20 L.E. aux femmes qui
votent pour le candidat du PND. Outre la Moallema Sabah, une
poignée de partisans du PND s’affairent sur les lieux. En
constatant que les citoyens s’apprêtaient à voter pour le
candidat indépendant, ils ont appelé en renfort le député de
l’Assemblée du peuple de la circonscription. Venu
rapidement, celui-ci s’est mis à renvoyer les citoyens venus
voter, avec la complicité des agents de la sécurité.
Corruption à Suez
Dans
le gouvernorat de Suez, l’ambiance est très différente. Bien
qu’il y ait onze candidats qui se présentent aux élections,
on ne voit que des banderoles pour Sameh Fahmi, le ministre
du Pétrole, accrochées par les citoyens de la ville, ainsi
que des poupées gonflables portant son nom. Des voitures
Toyota, Skoda et Mercedes, sur lesquelles sont placardées
des affiches du ministre, sillonnent les rues en appelant
les habitants à venir dire oui au candidat du PND. En
revanche, on peut noter l’absence notable de pancartes
électorales pour les autres candidats indépendants, dont
deux appartiennent aux Frères musulmans.
Les façades des sièges du gouvernorat et du PND croulent
sous l’amas de banderoles et il est difficile de trouver
l’entrée de ces bâtiments. Le gouvernorat, le PND ainsi que
les sociétés pétrolières de la ville ont réuni tous les
moyens nécessaires pour amener les électeurs jusqu’aux urnes
: autobus, fonctionnaires et même de l’argent pour acheter
les voix. Le montant du pot-de-vin était à 9h00 de 50 L.E.
puis à 12h00, l’enchère était montée à 150 L.E. par voix. Ce
n’était pas suffisant, les électeurs ont décidé d’exploiter
l’occasion et de réclamer de la nourriture. Les partisans du
PND leur ont donc amené du kébab et du kofta accompagnés de
boissons fraîches et de cigarettes pour les hommes. Tout
ceci n’a pas suffi pour attirer en masse les électeurs qui,
jusqu’à midi, étaient très rares. Le responsable local du
parti justifie ce faible taux de participation par le fait
que les gens sont à leur travail à cette heure-là. « Les
gens travaillent et ils ne sont pas habitués à participer
aux élections du Conseil consultatif. De toute façon, la
bataille est déjà gagnée, comme le montrent les banderoles,
le peuple a déjà choisi ».
La ville de Suez constitue une seule circonscription
accueillant 261 bureaux de vote. Ils sont tous encerclés
depuis 7h00 du matin par des agents de la Sûreté d’Etat et
de la Sûreté centrale. « Ils ne laissent entrer que les
électeurs munis d’une carte électorale rouge ou une autre
distribuée par le PND portant la photo du candidat Fahmi.
Toutes les femmes portant soit le niqab soit le khimar et
les barbus se voient interdire l’accès des bureaux de vote
par les policiers », confie d’un ton désabusé Al-Sayed
Raafat, un des deux candidats des Frères musulmans qui
lui-même s’est vu interdire l’accès au bureau pour voter. Il
dénonce également l’arrestation de ses délégués le matin
même, alors qu’ils devaient contrôler la régularité des
opérations électorales. Seuls les délégués du PND ont pu
pénétrer dans les bureaux pour mieux s’assurer du vote en
faveur de leur parti.
Devant tous les bureaux de vote, des hommes équipés de
haut-parleurs critiquent les deux députés Frères musulmans
de la ville, siégeant à l’Assemblée du peuple pour leur
manque d’initiatives et ils font l’éloge, en revanche, de
Fahmi qui a créé 300 emplois en une semaine pendant la
campagne électorale.
A côté du bureau de vote de l’école des Martyrs où Fahmi est
inscrit, de vieilles femmes attendent depuis 9h00 du matin
l’arrivée du ministre. Elles ont établi des listes de
demande avec l’espoir d’obtenir sa signature pour trouver un
appartement ou un emploi, mais en vain. A 12h00, le ministre
a finalement fait son apparition, dans sa Mercedes
climatisée, entouré de ses gardes du corps et accompagné du
gouverneur. Il n’a même pas daigné saluer les citoyens.
Ceux-ci n’ont eu comme seule solution que de se jeter sur sa
voiture, mais le chauffeur a quand même démarré en trombe et
sa garde personnelle les a écartés violemment. « S’ils ont
droit à ces appartements, alors ils doivent suivre les
procédures habituelles. Ils sont juste avides », affirme
Jeanette Labib, membre du bureau des relations publiques du
gouvernorat.
Les citoyens, eux, savent que Fahmi va gagner et que ceux
qui n’ont su saisir leur chance pendant la campagne ou le
jour des élections n’obtiendront rien de plus.
Chérine
Abdel-Azim
Ola Hamdi
Héba Nasreddine