Al-Ahram Hebdo, Enquête | Du plomb dans les ailes
  Président Morsi Attalla
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 13 au 19 juin 2007, numéro 666

 

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Enquête

Développement . A chaque phase ses défis, l’Egypte ne fait pas exception à la règle. Ainsi, pour maintenir une croissance élevée, le gouvernement lutte, pas toujours avec les bonnes méthodes, contre des phénomènes comme l’inflation, le manque d’infrastructures et de main-d’œuvre qualifiée, les disparités sociales, ou encore les restrictions du financement bancaire. Dossier. 

Du plomb dans les ailes

« Ces deux dernières années, nous avons réalisé d’importantes avancées. Le taux de croissance n’a cessé d’augmenter. Il a atteint 7,2 % lors du premier semestre 2007. Bien des obstacles ont donc été surmontés. Ce taux de croissance soutenu a cependant fait émerger d’autres problèmes importants », estime le premier ministre Ahmad Nazif. L’heure n’est donc pas aux auto-félicitations quant à la conduite de l’économie nationale. Le gouvernement en est bien conscient.

L’inflation arrive en tête de liste des préoccupations avec des prix qui ne cessent d’augmenter d’une année à l’autre. Selon certains économistes, l’inflation, actuellement de 12 %, ne sera pas inférieure à 25 % l’année prochaine. Ce que le gouvernement refuse d’admettre. « Les chiffres officiels ne montrent qu’une partie de l’énorme hausse. L’inflation n’est en fait que le revers de la médaille d’une politique économique entamée il y a deux ans, depuis l’arrivée du gouvernement de Nazif. Son objectif principal est de relancer l’économie et d’encourager l’investissement et la croissance. Pour cela, il doit accepter une inflation élevée », assure Omniya Helmi, spécialiste au Centre des études économiques.

A son arrivée au pouvoir en juillet 2004, le gouvernement avait parié sur la croissance. Plus de croissance ne signifie-t-il pas plus de produits sur le marché et donc une baisse des prix ? Cependant, le scénario voulu ne s’est pas retrouvé sur le terrain. Selon Mohamad Fathi Saqr, conseiller du ministre du Développement économique, « le gouvernement n’a fait qu’alimenter l’inflation en augmentant les salaires des fonctionnaires ainsi que les subventions en espèces aux plus démunis. Des hausses médiocres qui ne satisfont personne et qui donnent une excuse aux commerçants pour augmenter leurs prix. Ces hausses s’inscrivent aux dépens des investissements publics indispensables à l’accélération de la croissance ».

Nazif a récemment affirmé œuvrer à réduire de moitié le taux d’inflation actuel : « La réduction du taux de l’inflation est faisable. Il faut avoir confiance en le gouvernement et en sa politique », affirme-t-il. Il ajoute que « la croissance n’est pas la cause principale de ce fort taux d’inflation. Deux autres phénomènes sont à prendre en considération. La grippe aviaire qui a engendré une hausse considérable de tous les produits alimentaires et la modification des prix de l’énergie ». « Justifications futiles », juge Gouda Abdel-Khaleq, professeur d’économie à l’Université du Caire. Pour d’autres économistes indépendants, la politique économique appliquée est loin de réduire le taux d’inflation. Selon Samir Radwane, ex-directeur du Forum des études économiques, il faut d’abord connaître les raisons de l’inflation pour pouvoir y remédier. « Il faut accroître la production des biens pour qu’elle rejoigne la demande. Or, la croissance actuelle provient de services comme la construction et les télécoms. Il n’existe pas de vraie production industrielle, ni agricole », dit-il. Même en ce qui concerne le seul secteur ayant enregistré un boom, celui de l’immobilier, il suffit de remarquer que les investisseurs livrent bataille sur une portion infime du territoire. Et cela mène à la spéculation et la hausse des prix.

 

Les besoins d’infrastructure

L’infrastructure nécessaire à absorber la croissance galopante est absente. Les propos du ministre du Commerce et de l’Industrie, Rachid Mohamad Rachid, le confirment. « L’industrie égyptienne, malgré ses grands progrès, ne peut répondre à la demande née de la croissance. Car nous sommes en manque de terrains et d’infrastructures. Nous prévoyons ouvrir 800 usines à court terme, mais nous ne trouvons pas des emplacements adéquats ». La création d’une dizaine de zones industrielles et de projets est en suspens en raison du manque d’infrastructures : pas d’eau potable et manque de moyens de transport dans un bon nombre de gouvernorats de la Haute-Egypte, pas de terrains disponibles dans les cités industrielles proches du Caire. Qu’il s’agisse de terrains, de services ou de moyens de transport, qu’il s’agisse de la Haute-Egypte ou du Delta, le pays est incapable d’absorber le boom industriel. « C’est vrai. L’infrastructure en Egypte doit être modernisée et multipliée pour pouvoir aller de pair avec la croissance dont témoigne l’Egypte. Mais nos ressources financières sont incapables de réaliser un tel objectif. Et pour cela, on compte sur le partenariat du secteur privé pour accélérer le processus », souligne Nazif. Une solution peu réaliste, selon Samir Radwane, président du Conseil égyptien de la concurrence. « Le secteur privé ne peut pas faire de miracles. L’Etat doit élaborer une politique claire et en assumer la responsabilité principale », résume Radwane. Sahar Nasr, économiste à la Banque mondiale, rejoint cette idée. Elle assure que « le gouvernement doit s’impliquer davantage et gérer au mieux cette question. Cela encouragera le secteur privé à venir ».

Ce partenariat avec le secteur privé a soulevé l’opposition de plusieurs autres experts. Ahmad Galal, directeur général du Forum des études économiques, assure que les PPP (Partenariat Public-Privé) permettraient en fait à l’Etat de s’endetter sans que cet endettement n’apparaisse dans ses comptes. « Le gouvernement utilise les PPP pour résoudre ses problèmes de budget de façon temporaire, mais à long terme, le budget s’alourdira », estime-t-il. Car le coût final de l’opération est souvent plus important : le secteur privé emprunte une partie des fonds nécessaires à un projet auprès des banques, et le gouvernement paye le coût de ces crédits au secteur privé. Il ne faut pas également oublier que quand le secteur privé s’implique, la question des prix est soulevée. Notamment lorsqu’il s’agit de services publics monopolisés.

L’Egypte souffre d’un taux de chômage très élevé. Pourtant, je cherche à recruter de bons cadres, mais je n’en trouve pas. J’ai reçu 20 000 demandes d’emploi, mais aucun profil qualifié », a confié à l’Hebdo Mohamad Nosseir, homme d’affaires et PDG du groupe Alkan. En effet, plus de 2 millions de personnes recherchent du travail en Egypte et des milliers d’emplois ne se sont pas pourvus faute de compétence. Dans cette situation, le premier accusé est le système d’enseignement défectueux, auquel le gouvernement de Nazif n’a pu remédier. Conséquence : Un manque de la main-d’œuvre qualifiée qui est un problème considérable pour les investisseurs, qui ne cessent de l’évoquer avec le gouvernement. Au sud de l’Egypte, par exemple, où le chômage atteint d’énormes proportions, la plupart de la main-d’œuvre vient du Caire ou des villes du Delta. Les qualifications requises par les entreprises qui y investissent dépassent l’offre nationale.

Sur cette main-d’œuvre qualifiée, deux points essentiels sont à discuter. L’enseignement et les salaires. En ce qui concerne le premier, comme l’affirme Ahmad Galal, ses rendements sont très médiocres. Car, selon lui, « si les indices officiels ont été améliorés, on n’observe aucune influence positive. Le taux de pauvreté n’a pas été réduit, les revenus ne se sont pas améliorés, rien. C’est la qualité de l’enseignement qui nécessite un vrai changement ». Quant aux salaires, ils sont réduits à peau de chagrin, comparés aux pays voisins. Ainsi le petit nombre de cadres compétents quittent-ils le pays. « L’Egypte ne profite pas de sa richesse. Les plus talentueux émigrent dès que possible », explique un investisseur étranger à la conférence Economist, qui s’est déroulée la semaine dernière au Caire pour discuter des réformes effectuées en Egypte.

Face à cette difficulté, Nazif n’a présenté qu’un calmant. « Le gouvernement promet d’avancer sur la question de la formation pour procurer une main-d’œuvre qualifiée », dit-il. Alors que le système éducatif en général reste sans réforme. C’est pourquoi la situation est d’autant plus obscure pour les investisseurs. « Le taux de chômage élevé est le résultat normal d’un système qui n’arrive pas à proposer de diplômés qualifiés. Ce qui crée un large fossé entre l’offre et la demande », souligne Ihab Abou-Ouf, homme d’affaires. Et d’ajouter : « Comment l’Egypte pourra-t-elle assister à une révolution de l’enseignement si la qualité de l’enseignement public est très basse et que l’améliorer est immensément coûteux ? », se demande-t-il.

 

Le gouffre entre riches et pauvres 

Si le gouvernement se vante d’une croissance jamais observée avant la nomination du cabinet Nazif, la grande majorité des citoyens ne la ressentent pas encore. Seule une minorité de riches en a en fait profité. « La croissance a accentué les disparités sociales entre les Egyptiens », selon une étude récente de la Banque mondiale sur la pauvreté en Egypte. Une autre étude réalisée par le Centre égyptien des études économiques (ECES) plaide pour une modification de la politique des dépenses publiques pour réduire la pauvreté. Selon la même étude, 13,6 millions de personnes n’ont pas accès aux produits de première nécessité. Un nombre égal souffre de la pauvreté. Pour réduire cette disparité, Ibrahim Al-Essawi, économiste à l’Institut national de planification, suggère : « L’Etat doit modifier le système des impôts sur le revenu. La nouvelle loi sur les impôts a réduit les catégories de contribuables. On devrait avoir des catégories plus diversifiées, des taux d’impôt croissants pour les tranches aux revenus élevés ». Al-Essawi critique de plus le fait que la taxe sur la valeur ajoutée soit identique pour tous les consommateurs, « ce qui creuse davantage les disparités, et représente une pression sur les revenus des pauvres », note-t-il.

La division sociale Nord-Sud est flagrante en Egypte. Le Sud compte 60 % des pauvres du pays. Et 6 Saïdis sur chaque 10 sont pauvres, dans les zones rurales du Sud. C’est pourquoi Gouda Abdel-Khaleq appelle à ce que la croissance de l’économie engendre une croissance parallèle des revenus des classes défavorisées, pour que leur pouvoir d’achat augmente. Mais le gouvernement qui favorise les hommes d’affaires peut-il atteindre cet objectif ? Gouda en doute fort. « C’est impossible. Le gouvernement ne renoncera jamais à prendre chaque jour des mesures favorables aux hommes d’affaires pour faire des classes défavorisées de la société une priorité », juge-t-il.

 

Les difficultés d’accès au crédit

Une croissance soutenue nécessite une redistribution juste de ses fruits. Mais également un financement durable au risque de vider les caisses des banques et priver les investisseurs de capitaux pour le développement de nouveaux projets. Pour le gouvernement, la question reste en examen pour parvenir à la solution appropriée. D’autant plus que les opinions des experts divergent. D’une part, certains affirment qu’il faudrait accroître le taux d’épargne, trop inférieur en Egypte, comparé à celui de la Malaisie ou de la Chine. Un défi difficile à relever pour le moment, vu le revenu moyen modeste des Egyptiens. Ahmad Qoura, ex-PDG de la Banque nationale égyptienne, estime que relever les taux d’intérêt n’encouragera pas non plus à épargner. « Relever les taux d’intérêt n’augmentera pas les dépôts pour la simple raison que les gens ne vont pas cesser de vivre. On ne peut pas s’attendre à des dépôts avec l’augmentation des prix. L’Etat doit avant tout faire quelque chose pour contrôler l’inflation ». Pour d’autres, il existe à moyen terme des ressources suffisantes auprès des banques. Cependant, une autre source bancaire qui a requis l’anonymat assure que « les banques craignent actuellement de prêter aux investisseurs notamment après le problème des insolvables. Les seuls investissements qui réussissent en Egypte sont ceux dans les secteurs des télécommunications, du gaz naturel et des produits chimiques ». Les banques préfèrent prêter au gouvernement, sous forme de bons du Trésor au lieu d’allouer des sommes aux projets industriels moyens. Pour le reste, elles se contentent « de diversifier les offres de crédits à la consommation bien plus lucratives pour elles », ajoute la même source.

Névine Kamel et Ibtessam Zayed

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3 questions à

Nenad Pacek, directeur du Centre des recherches de l'Economiste «Economist Intelligence Unit».  

Le paradoxe du chômage 

 « Le vrai problème qui entrave les activités est le manque de main-d’œuvre qualifiée.» 

Al-Ahram Hebdo : La croissance s’est avérée importante en Egypte ces dernières années. Aura-t-elle, à moyen terme, une influence négative sur l’économie du pays ?

Nenad Pacek : La présence de problèmes découlant d’un taux de croissance élevé est quelque chose de normal. Ce qui importe, c’est que le gouvernement égyptien ait reconnu leur existence. Il les place maintenant en tête de ses priorités, après les avoir longtemps délaissés. Mais la situation ne peut pas changer du jour au lendemain.

— Une étude de la Banque mondiale affirme que la croissance des pays développés freine celle des pays en voie de développement. L’Egypte peut-elle être touchée ?

— Je ne crois pas à ce constat. Surtout que les taux de croissance des 3 plus grandes entités économiques (Etats-Unis, Japon et Union européenne) ne dépasseront pas les 2 % ces 5 prochaines années. De même, le taux de croissance des pays en voie de développement s’aligne à quelque 6 %. Le taux de croissance de l’Egypte dépasse actuellement 7 %. Il augmente donc rapidement, et je crois qu’à moyen terme, rien ne le freinera. Les investissements des multinationales et des entreprises étrangères en Egypte en sont la meilleure preuve. Selon les statistiques internationales, l’Egypte est le deuxième pays qui attire le plus les entreprises étrangères.

— Comment est-ce possible étant donné le mauvais classement de l’Egypte dans d’autres rapports internationaux, tels que le Doing Business de la Banque mondiale ?

— Tout d’abord parce que l’augmentation de l’activité des multinationales les poussent à chercher de nouveaux marchés. Et l’instabilité politique qui domine la plupart des pays du Moyen-Orient fait de l’Egypte le terrain le plus fertile à ces entreprises. Les choses sont donc relatives. Les investisseurs savent bien qu’ils ne peuvent pas tout obtenir. Et en Egypte, le gouvernement s’attelle à venir à bout des problèmes qui préoccupent le plus les investisseurs.

— La baisse du taux d’épargne en Egypte, conséquence de la baisse des taux d’intérêt, est-elle susceptible de freiner la croissance à moyen terme ?

— Pas forcément. Le même scénario s’est déroulé en Europe il y a 7 ans. Il existait un nombre limité de banques et il n’y avait plus de concurrence. Mais la situation a complètement changé avec l’arrivée de banques étrangères sur le marché. Ces dernières ont diversifié leurs activités. Elles ont par exemple financé l’achat de véhicules et d’appartements. Je pense que le marché égyptien assistera à une concurrence similaire vu l’accroissement du nombre de banques étrangères dans le pays. Cependant, le problème de l’épargne et de la politique bancaire reste un sujet important à discuter avec le gouvernement égyptien. Surtout que le fait d’élever les taux d’intérêt n’est pas la bonne solution, car une telle mesure fera fuir les investisseurs du pays . 

Propos recueillis par Névine Kamel et Ebtessam Zayed

 




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