Développement .
C’est à la fois une solution au grignotage des terres
agricoles et à l’explosion démographique que propose le
célèbre géologue Farouq Al-Baz dans son ouvrage Un Couloir
pour le développement, assurer un meilleur avenir pour l’Egypte.
La deuxième vallée d’Al-Baz
En
1974 déjà, le projet avait commencé à germer. A l’époque,
Farouq Al-Baz travaillait à la NASA et revenait de temps à
autre en Egypte dans le cadre de missions scientifiques.
Parti d’un constat, celui qu’il « est impossible que nous
continuions à vivre sur 5 % de la surface du pays, tout en
construisant sur les terres agricoles », il propose au
gouvernement, en 1987, un projet pour mettre fin à ce
dangereux état de fait. Aujourd’hui, après vingt ans de
débats, l’idée n’a toujours pas été retenue. Alors, il
revient à la charge, s’adressant cette fois-ci au secteur
privé.
Al-Baz conçoit son idée comme un projet de « développement
global » permettant de dépasser les obstacles intrinsèques à
la géographie de l’Egypte. Il s’agit en effet de mettre en
place un « couloir de peuplement » parallèle au Nil, qui
permettrait de désengorger la vallée, et de lancer un
nouveau processus d’industrialisation destiné à donner une
réponse d’ensemble aux multiples problèmes liés à
l’explosion démographique. Il s’agit pour lui de
rationaliser l’expansion urbaine dans le cadre d’un plan
stratégique d’ensemble, pour mettre fin aux phénomènes
d’habitat informel construit sans autorisations, souvent sur
des terres agricoles, mais également pour trouver une
alternative à l’échec de plusieurs « nouvelles villes »
construites ex nihilo dans le désert.
Al-Baz explique cet échec par l’éloignement de ces nouvelles
zones d’habitation de la vallée du Nil, et par les
réticences naturelles des Egyptiens à s’éloigner de leurs
villages d’origine. C’est l’une des raisons pour lesquelles
il propose des expansions latérales vers l’ouest, à partir
de certaines installations urbaines dans la vallée. Douze
axes est-ouest réuniraient ainsi la vallée du Nil à un axe
nord-sud, long de 1 200 km, reliant la côte méditerranéenne,
à hauteur d’Al-Alamein, au lac Nasser, à l’extrême sud du
pays. Tout au long de ces axes (Alexandrie, Tanta, Le Caire,
Fayoum, Bahariya, Minya, Assiout, Qéna, Louqsor, Kom Ombo,
Assouan, Tochka, Abou-Simbel, lac Nasser) seraient édifiées
des zones de peuplement « urbain, agricole, industriel,
commercial, touristique » (p. 18). Si dans la zone de Tanta,
il propose de développer la production animalière (p. 56), à
Bahariya il s’agirait de gigantesques palmeraies (p. 74), à
Louqsor de la construction de « villes touristiques » (p.
98). Le tout serait pourvu d’une canalisation d’eau,
alimentant l’axe nord-sud à partir du lac Nasser, ainsi que
de câbles électriques.
Au
départ de ce projet, l’étude du Désert occidental égyptien.
En tant que chercheur à la NASA, Al-Baz a en effet eu accès
à un large éventail d’images satellites, qui lui ont permis
une étude précise du sol dans cette zone. De nombreuses
images sont publiées dans son ouvrage (la présentation de
chaque axe est-ouest est accompagnée entre autres d’images
satellites, radars, de cartes topographiques et
géologiques). Ce sont les images radars, raconte Al-Baz, qui
l’ont aidé à « délimiter le parcours d’anciens oueds,
maintenant ensevelis sous les sables » (p. 34), et partant,
à délimiter la présence de nappes d’eau souterraines. Il
détaille également l’origine de ces nappes dans son
introduction sur l’évolution géologique et climatique du
Désert occidental. Ce sont en effet les périodes pluvieuses,
fréquentes jusqu’à il y a 5 000 ans, qui en expliquent la
formation. Un élément qui permettrait de cultiver de
gigantesques surfaces, assure Al-Baz.
Un argument que ne partage pas Rouchdi Saïd, géologue de
renom, qui remet en question la quantité d’eau utilisable
dans la zone. Une critique parmi d’autres émises par les
spécialistes, auxquelles Al-Baz a réservé une partie en fin
d’ouvrage pour y répondre. Car si son projet, pharaonique, a
soulevé beaucoup d’enthousiasme, il a également suscité des
réserves. Parmi les arguments qui lui ont été opposés,
Al-Baz évoque d’abord le coût : 6 milliards de dollars il y
a vingt ans, il doit maintenant être multiplié par 4. Si la
faisabilité économique du projet fait l’objet d’une étude en
cours, les possibles effets secondaires sur l’environnement,
rapidement évoqués par Al-Baz, ne sont pour l’instant pas
encore détaillés. Enfin, la réalisation de l’idée semble
plus qu’aléatoire. Dans quelle mesure en effet les
investisseurs sur lesquels mise Al-Baz peuvent-ils s’engager
dans un projet qui vise rien moins qu’un « processus
d’industrialisation » et de développement de l’Egypte tout
entière ? En lisant Al-Baz, on lit en effet un « rêve
d’avenir », qui semble contradictoire avec les stratégies de
profit à court terme, centrées sur le secteur tertiaire,
auxquelles se cantonne le plus souvent le secteur privé.
Dina
Heshmat