Manouchehr Mottaki,
ministre iranien des Affaires étrangères, juge la conférence
de Charm Al-Cheikh positive, nie toute ingérence dans les
affaires iraqiennes et fustige Washington pour sa politique
qu’il qualifie d’unilatérale et d’arrogante.
« L’Iran est une partie de la solution »
Charm Al-Cheikh,
De notre envoyée spéciale —
Al-Ahram
Hebdo : Comment évaluez-vous la conférence de Charm
Al-Cheikh ? A-t-elle apporté le soutien nécessaire aux
Iraqiens ou était-ce juste une réunion de plus ?
Manouchehr Mottaki :
A vrai dire, c’était une réunion constructive. Une occasion
de soulever des questions indispensables, dont la nécessité
de fournir une assistance au gouvernement légitime de Nouri
Al-Maliki et une assistance à l’ensemble du peuple iraqien.
C’était aussi l’occasion d’examiner cette question de
sécurité qui mine l’Iraq. Je crois que l’on a remarqué une
véritable volonté politique de la part des participants de
soutenir les Iraqiens et leur gouvernement. L’empressement
de la communauté internationale pour la reconstruction
économique de l’Iraq était un autre résultat notable de
cette rencontre. Le sujet principal dans ce genre de
rencontre ou conférence est le fait de se réunir ensemble,
sur le plan régional et international, d’amener les
différentes parties à discuter et profiter de leurs
potentiels pour aider l’Iraq et non pour décider pour lui.
C’est le point principal que nous devrons prendre en
considération.
— Vous parlez d’un soutien au gouvernement Maliki, mais
celui-ci a été critiqué en raison de ce que certains
appellent l’oppression des sunnites en Iraq ...
— Nous croyons qu’il est dans notre devoir de soutenir le
gouvernement légitime iraqien. Avant Nouri Al-Maliki, il y
avait Ibrahim Jaafari, demain c’est peut-être quelqu’un
d’autre. Je ne parle pas d’une personne en particulier, mais
d’un gouvernement légitime basé sur une Constitution. Nous
n’allons pas nous ingérer dans les affaires internes de
l’Iraq.
Mais, certainement, toute nation doit penser à son unité
nationale, y compris l’Iraq. Je crois que tous les partis,
tous les groupes iraqiens, doivent prendre part dans le
processus politique.
— Mais est-ce que le gouvernement actuel entreprend des
démarches dans ce sens ?
— Le gouvernement Maliki a été établi sur les bases de la
Constitution, laquelle a été adoptée par le peuple.
Heureusement, il y a des groupes sunnites, chiites, kurdes
ou turkmans dans le gouvernement et au Parlement et c’est un
bon exemple pour tous les partis pour participer à la vie
politique. Mais dans le même temps, nous devons être très
vigilants, vu la situation interne en Iraq. Quelques
personnes — celles qui restent de l’ancien régime baassite
—, les officiels de cette époque qui avaient commis de
nombreux crimes contre les Iraqiens, changent de visages
aujourd’hui et prétendent parler au nom de l’ensemble des
Iraqiens. Ces Iraqiens dont des millions ont été tués par
l’ancien régime dictatorial. Nous devons surveiller de très
près leur travail, car la stabilité en Iraq entraînera celle
de la région et l’instabilité et l’insécurité dans ce pays
auront certainement leurs répercussions.
— Mais les Etats-Unis et certains pays arabes accusent
Téhéran de soutenir, même militairement, les chiites contre
les sunnites ...
— Nous soutenons l’ensemble du peuple iraqien, nous sommes
en contact avec les différents partis et groupes, je parle
des groupes légitimes, sunnites, chiites ou autres. Tous ont
fait des visites en Iran. Ces allégations que Téhéran
soutient un groupe particulier en Iraq ne sont qu’erronées.
Au contraire, nous sommes soucieux de l’intégrité
territoriale de l’Iraq et de son unité nationale.
— Vous avez annoncé votre disponibilité à coopérer pour
instaurer la stabilité dans le pays voisin. Concrètement,
comment envisagez-vous cette coopération ?
— Téhéran a établi un plan énergétique pour fournir
l’électricité à l’Iraq. Nous travaillons dans la
construction des hôpitaux et d’oléoducs pour acheminer le
pétrole de l’Iraq vers l’Iran. Nous fournissons aussi des
produits pétroliers aux Iraqiens. Aujourd’hui, nous
transportons le carburant par camions citernes, et il y a
deux semaines, cinq des conducteurs iraniens ont été tués en
Iraq par les groupes terroristes ...
— Et la coopération dans le domaine sécuritaire ?
— Certainement, l’Iran est le pays qui bénéficiera le plus
de la stabilité et de la sécurité en Iraq. C’est pourquoi
nous sommes en contact étroit avec le gouvernement et les
Iraqiens. Téhéran a en effet pris à son compte
l’entraînement et la formation des différents responsables
iraqiens. Je l’ai dit et je le répète, l’Iran est une partie
de la solution et non une partie du problème.
— Vous avez parlé de bons et mauvais terroristes, qu’est-ce
que cela veut-il dire exactement ?
— L’Iraq est certainement passé par des moments difficiles
et a souffert d’exécution collective. Aujourd’hui, il y a
des éléments du parti Baas et d’autres groupes terroristes
comme Al-Qaëda qui ont trouvé en l’Iraq un terrain fertile
pour leurs crimes. Ce que nous voyons aujourd’hui, c’est
l’échec de la politique des Etats-Unis dans la région. Une
politique unilatérale et arrogante. Je crois que cette
politique a prouvé son échec et il est temps de la
rectifier.
— Lors de la conférence, vous avez échangé quelques mots
avec la secrétaire d’Etat américain, ceci reflète-t-il un
changement de la politique américaine vis-à-vis de Téhéran ?
— L’échange de quelques mots avec Rice a effectivement eu
lieu, il y a eu aussi une rencontre informelle au niveau des
experts. Mais il faudrait aller au-delà des mots.
— Condoleezza Rice a-t-elle tenté de discuter longuement
avec vous, on a entendu parler d’une médiation européenne
pour un face-à-face avec vous ?
— Bon, il n’y avait pas de plan prévu pour une rencontre
dans nos agendas réciproques. D’ailleurs, une rencontre à un
tel niveau a besoin de préparation, comprenant d’abord la
volonté politique, outre un agenda des pourparlers.
Il est inutile de parler juste pour parler. Nous estimons
qu’une telle rencontre devrait être substantielle. Il doit y
avoir une volonté sérieuse et un agenda bien préparé et des
réunions entre les experts des deux pays avant une rencontre
pareille.
— Mais Rice a déclaré que Washington est prêt à revoir sa
politique envers l’Iran si celui-ci renonce à son programme
nucléaire ...
— Téhéran a l’intention de générer de l’énergie nucléaire et
d’y investir des millions de dollars. Nos activités sont
surveillées par les inspecteurs de l’Agence Internationale
de l’Energie Atomique (AIEA) et aucun de leurs rapports ne
montre une déviation de notre part vers un programme
militaire. Nous sommes contre les armes nucléaires quel que
soit le pays. Nous l’avons répété depuis des années tout
comme les Egyptiens. Je rappelle juste aux Américains que ce
sont eux qui ont eu recours à l’arme nucléaire à Hiroshima.
— Pensez-vous que les Américains partiront en guerre contre
vous ?
— Je pense que la situation dans la région ne le permet pas.
Les Etats-Unis ont échoué partout où ils sont intervenus, en
Iraq et avant en Afghanistan. Ils demandent de l’aide à tout
le monde maintenant. Laissons-les résoudre le problème
actuel et on verra plus tard s’ils auront encore la capacité
de se lancer dans une nouvelle guerre.
Samar
Al-Gamal